Engagement citoyen: les coulisses de la création d’un collectif
Comment ces collectifs se forment-ils, s’organisent-ils, fonctionnent-ils? Illustration avec des membres de Celly-C-Nous, en Ardenne, qui luttent depuis huit mois contre un mégaprojet hôtelier sur un espace boisé de 83 hectares.
On dirait que ça s’est créé pour rappeler que la beauté est à portée de main. On est à Lavacherie, commune de Sainte-Ode, vallée de l’Ourthe occidentale, Ardenne, province de Luxembourg. Devant la butte du Celly et ses 83 hectares de bois, de nuances vertes, de courbes et renfoncements. Face à cette majesté paisible, cette tranquillité grandiose, on réalise qu’il y a des paradis à peine la porte franchie. Pour Fabian et Marylène Maziers, c’est littéralement le cas: leur maison, toute de pierres et d’angles, est posée juste en face de la butte qui ondoie à quelques centaines de mètres. On dirait qu’elle veille sur Lavacherie. Un peu phare, un peu rempart. Un peu mère, un peu repère.
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Mais en sursis. Là où trône le château du Celly, abandonné, une société d’investissement projette de construire un vaste complexe hôtelier de luxe: jusqu’à cinquante gîtes de grande capacité, quarante suites, des appartements, des restaurants, un centre de bien-être… Capacité d’accueil: sept cents clients par jour. Il faudra des routes. Des parkings. Une centrale énergétique. La société voit grand. Elle ne s’appelle pas Mamm-Ut pour rien.
La butte, située dans le parc naturel des deux Ourthes, est reprise au plan de secteur comme zone de services publics et équipements communautaires, zone forestière et agricole. Elle appartient à la Province. Qui l’a mise en vente: 1,8 million d’euros. Le conseil provincial a validé le compromis avec Mamm-Ut, soutenue par l’intercommunale Idelux, l’asbl Sainte-Ode et Sana Belgica, la commune voisine de Tenneville… Du lourd. Le collège communal de Sainte-Ode était pour, aussi, mais le collectif de citoyens Celly-C-Nous, formé pour s’opposer au projet, «démesuré et totalement en contradiction avec l’urgence environnementale actuelle», et dont une pétition a déjà rassemblé plus de 2 700 signatures, semble lui avoir entrouvert les yeux.
Comment le collectif s’est formé et organisé
D’abord, «il a fallu définir ce qu’on voulait, notre ligne d’action, un canevas sur lequel nous étions tous d’accord et duquel nous ne dérogerions pas. On a dégagé cinq axes: non à l’urbanisation de nos forêts, oui à la rénovation du bâti existant, non à de nouvelles constructions sur le site, non à la privatisation d’un bien commun et oui pour travailler à un projet alternatif avec les autorités.» Ça a pris des soirées et des soirées. Comme pour tout, depuis huit mois: le logo, le site Web, le choix des mots, les délais à respecter, les démarches, les pétitions… En restant «factuel, sans verser dans le combat individuel».
« Il a fallu définir notre ligne d’action, un canevas sur lequel on était tous d’accord et duquel on ne dérogerait pas. »
Fabian Maziers, médecin généraliste et porte-parole de Celly-C-Nous
Fabian Maziers, médecin généraliste, est le porte-parole de Celly-C-Nous, créé après la réunion publique du 4 novembre dernier, dans une petite salle, au village. Les habitants y sont tombés des nues. «Il y avait trois rangées de chaises, comme s’ils attendaient deux pelés et trois tondus ; en fait, on était une centaine. La présentation du projet était très « greenwashée » mais la nature, on la connaît, et les mots du promoteur étaient ceux de quelqu’un qui n’y vit pas – comme « on va déplanter des hêtres et les replanter ailleurs », or on ne sait pas transplanter un hêtre adulte! L’hôtel apporterait aussi emplois Horeca et développement touristique: mais ici, on ne trouve jamais personne pour l’Horeca, et on est déjà une zone touristique! On s’est dit: « Il faut qu’on fasse quelque chose. » Dès le lendemain, on s’est réunis. Pour comprendre ce qu’il se passait, s’informer et informer clairement.» Soit mettre en place une structure, son mode de fonctionnement et ses moyens de communication, internes comme externes.
Comment le collectif fonctionne
Le noyau dur est fort d’une dizaine de personnes. On monte à la trentaine avec les réguliers, qui sont âgés de moins de 30 ans à plus de 60 ans. Il y a également les sympathisants, «de celui à qui on peut demander un coup de main ponctuel à celle qui dit « je suis là si besoin »». Fabian en est «le leader évident, justifie Nathalie, directrice d’une fondation de services aux personnes présentant de l’autisme et à leurs familles. Pour que la structure roule, il fallait quelqu’un habilité à trancher. On était tous d’accord: ce ne pouvait qu’être lui.» Qui dit que «ç’aurait été lâche de ne pas accepter».
Rien n’est diffusé sans son aval. Mais rien n’est décidé sans consultation des autres. «Parfois par vote, précise Marylène, comptable au centre d’accueil pour réfugiés géré par la Croix-Rouge, pas loin de là. Mais plutôt par consensus, après débat, où chacun s’exprime.» Pour cela, spécifie Nathalie, «il a fallu adopter une discipline et apprendre à se connaître, parce qu’on se rencontrait parfois pour la première fois. A dialoguer aussi, en restant cordial, respectueux, même quand on était tendus, fatigués: on a tous un boulot, une vie de famille, des activités…» Et ça marche: «Il n’y a eu ni disputes ni conflits.»
Au début, vu l’urgence, les réunions étaient quotidiennes. Chez Fabian et Marylène, ou chez Nathalie. Ça commençait à 19 h 30 pour se terminer après 23 h 30. «Nous avons alors fixé 21 h 30 comme limite, mais ça déborde toujours», rigole Nathalie. Puis on est passés, pour les plénières, au mercredi soir. Ordre du jour et PV rédigés par Marylène. «En plus des groupes de travail, par thématique, détaille Fabian: logistique, communication, Facebook… Composés selon les disponibilités, les compétences, la motivation.» Il y a aussi l’épluchage des réglementations, de «la nébuleuse» derrière le projet. C’est Sylvie, agronome, qui s’en charge, à coup de «dizaines d’heures». Fabian résume: «Il n’y a pas un jour sans qu’on y travaille. Il y a toujours un coup de fil, une info à vérifier, un truc à régler…»
Aventure humaine
Chacun y a aussi mis de sa poche, pour une caisse commune, qui a surtout servi à payer des avocats («même si Sylvie a tout fait») et des frais de justice («nous sommes allés en référé, on a perdu»). La forme juridique? «On a tout comparé, note Sylvie. L’association de fait était le meilleur modèle. Mais nous sommes amenés à proposer une alternative au projet hôtelier, obtenir des aides, etc., il faudra se transformer.» Et les recours? «La Région wallonne nous a à chaque fois envoyés dans les lattes.»
Fabian admet: «C’est difficile de sortir du « tous pourris » mais nous ne voulons pas y tomber.» Et Nathalie parachève: «Ce projet commun nous porte. Ce n’est que du positif. Une aventure humaine exaltante. Même si ça ne devait pas aboutir, on a déjà tout gagné.» Tous opinent. Celly, c’est eux.
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