« En mai, tonte à l’arrêt » : quatre raisons de gérer autrement nos jardins
Le succès de la deuxième édition de l’opération «En mai, tonte à l’arrêt» confirme l’intérêt de nombreux citoyens pour soutenir la biodiversité. Voici les vertus de la gestion différenciée dans son jardin, résultats à l’appui.
Plus d’un mètre carré sur dix en Belgique serait étanche à la pluie, à la nature et donc à la vie. La proportion de sols artificialisés ne cesse de s’accroître au fil des ans. Selon les données d’Eurostat, seuls Malte (27,5%) et les Pays-Bas (12,6%) font pire que la Belgique (11,7%) dans le palmarès européen de la bétonisation des sols, largement au-delà de la moyenne (4,4%) de l’Union européenne. A lui seul, et sans même prendre en compte les terres des monocultures, ce chiffre résume la pression sur les milieux naturels et sur la biodiversité environnante. Tout comme l’intérêt, inévitablement, de toute démarche permettant d’exploiter au mieux chaque parcelle de verdure, y compris les jardins.
Une telle opération a vocation à susciter un appel d’air en vue d’accroître le nombre d’espaces verts adhérant aux principes de la gestion différenciée.
C’était l’une des raisons d’être de l’opération En mai, tonte à l’arrêt, menée par Le Vif avec l’appui de la faculté Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège) et de l’asbl Adalia 2.0. Pas la seule, puisque les enseignements qui en résultent, notamment sur le plan de la richesse florale des pelouses domestiques, peuvent aussi alimenter la recherche scientifique – moyennant les nécessaires précautions face à l’interprétation des données. Au-delà de l’intérêt bien réel des citoyens au terme de cette seconde édition (plus de 1 400 participants) et du bilan chiffré (voir graphiques), les résultats démontrent quatre grandes vertus d’une gestion moins intensive de nos jardins.
1. Un renfort pour les milieux naturels
Tout au long du mois de mai, Le Vif a raconté les histoires de quelques milieux exceptionnels pour la biodiversité ou susceptibles de le devenir: les prairies à haute valeur biologique, les pelouses calcaires, les landes et tourbières, ainsi que les friches et terrils. «C’était attendu, l’objectif d’une opération comme En mai, tonte à l’arrêt n’est pas de créer des milieux pourvus d’espèces rares et menacées, comme ceux présentés pendant la campagne, mais de laisser de la place à la biodiversité ordinaire pour renforcer la qualité écologique des paysages», souligne Grégory Mahy, professeur à Gembloux Agro-Bio Tech.
L’apport des jardins dans le maillage écologique suppose d’abord d’éviter certaines pratiques néfastes, comme répandre des pesticides, trop d’engrais ou choisir des espèces exotiques envahissantes. Mais aussi de laisser davantage agir la nature dans les zones peu ou pas utilisées, en suivant les principes de la gestion différenciée là où c’est possible. «Pour atteindre des objectifs de biodiversité ambitieux dans son jardin, les pelouses moins tondues sont une des pièces du puzzle, confirme le professeur. Leur intérêt augmente quand elles sont accompagnées d’autres éléments favorables à la biodiversité.» Notamment des habitats pour les espèces (des tas de bois, de pierres, sol nu), des haies avec des espèces indigènes fleurissant toute l’année et fournissant des baies pour les oiseaux, ou encore des parterres composés, eux aussi, de plantes indigènes, pour diversifier la gamme des ressources.
2. Un soutien varié aux pollinisateurs
Dans certains jardins, il est possible que le bilan floral observé fin mai dans la zone de non-tonte soit presque équivalent à celui d’une pelouse tondue, où pâquerettes, trèfles et boutons d’or peuvent tout de même fleurir moyennant une hauteur de coupe raisonnable et un sol approprié. Néanmoins, le maintien d’une surface non tondue se prête davantage à l’éclosion de fleurs aux tiges plus hautes et d’une forme différente. «La biodiversité ordinaire présente dans nos jardins est régulièrement négligée, poursuit Grégory Mahy. Or, elle est souvent composée d’espèces très mellifères, pourvoyeuses de pollen et de nectar. La diversité des formes de fleurs est propice aux différences de morphologie et de comportement des insectes pollinisateurs.»
Ainsi, la pâquerette, le pissenlit ou le trèfle blanc, soit des espèces fréquemment observées pendant l’opération, se prêtent particulièrement aux hyménoptères (abeilles et bourdons), tandis que le lierre terrestre et le lamier blanc, par exemple, soutiennent davantage les papillons. «Ces insectes se nourrissent du nectar prélevé à l’aide de leur longue langue, appelée proboscis, ce qui contraint quelque peu leurs choix alimentaires, ajoute l’expert. Ils visitent dès lors principalement les plantes à corolle profonde et très nectarifères.» Enfin, là où certaines fleurs ont l’avantage d’être présentes pendant une longue période, d’autres éclosent à des moments clés. «La ficaire fausse-renoncule, par exemple, fleurit au début de la sortie des pollinisateurs, lorsqu’il y a moins de ressources alimentaires.»
Le sort des fleurs et celui des pollinisateurs sont intimement liés, puisque les premières ont besoin des seconds, et vice versa, pour se reproduire. Comme l’a récemment rappelé la Commission européenne, environ 78% des plantes à fleurs sauvages et 84% des espèces cultivées dans l’UE dépendent, au moins en partie, de la pollinisation animale, à la base de la chaîne alimentaire.
3. Un sol plus résilient face à la sécheresse
Des herbes plus hautes résistent bien mieux aux périodes de sécheresse qu’un gazon coupé au cordeau. Certains participants l’ont probablement constaté dans leur jardin. «En 2021, vu le printemps pluvieux, les pelouses n’ont pas subi de sécheresse, commente Grégory Mahy. Cette année, le printemps sec a davantage fait souffrir les pelouses. Des écosystèmes diversifiés résistent davantage aux stress climatiques.» D’autant qu’en cas de violentes précipitations par la suite, l’eau s’infiltre bien plus difficilement dans un sol aride. Cela peut entraîner des risques d’érosion, d’inondation, voire une baisse des réserves dans les nappes souterraines. Sur ce dernier aspect, l’automne et l’hiver précédents ont toutefois permis de constituer des réserves suffisantes, indiquait la cellule «sécheresse» de la Région wallonne, le 17 mai.
4. Un rôle d’ambassadeur pour d’autres jardins
Malgré les difficultés potentielles liées à la gestion d’une parcelle de pelouse sans céder au systématisme de la tondeuse, les particuliers, entreprises, écoles ou acteurs publics étaient encore plus nombreux à participer à cette deuxième édition d’En mai, tonte à l’arrêt. Dans l’absolu, la superficie cumulée des zones de non-tonte (48,5 hectares) peut sembler anecdotique à l’échelle de la Wallonie et de la Région de Bruxelles-Capitale. Néanmoins, une telle opération a vocation à susciter un appel d’air en vue d’accroître, progressivement, le nombre d’espaces verts adhérant aux principes de la gestion différenciée. De ce fait, les jardins participants s’apparentent à des ambassadeurs, dont les succès comme les déceptions éventuelles peuvent ensuite percoler auprès d’autres propriétaires ou gestionnaires.
De même, si l’opération se limite au mois de mai, elle constitue une vitrine de ce qu’il est possible d’entreprendre toute l’année dans son jardin, moyennant de bons réflexes et des interventions ponctuelles. Sachant que les besoins des pollinisateurs sont considérables, «l’impact de ce type d’actions dans son jardin dépend du nombre de fleurs disponibles tout au long de l’année», conclut Grégory Mahy.
«Maintenir des communautés abondantes et diversifiées d’abeilles sauvages ou de pollinisateurs en général nécessite la mise à disposition d’une large gamme d’espèces florales et, surtout, de beaucoup de fleurs de chaque espèce, de chaque genre ou de chaque famille botanique, confirme le Service public de Wallonie, dans l’un de ses guides méthodologiques pour un «fleurissement favorable aux pollinisateurs». Si l’approche des prairies fleuries présente un intérêt indéniable pour favoriser le bourdon et l’abeille mellifère, il peut être souhaitable d’atteindre un meilleur compromis en installant plusieurs massifs mono- floraux dans les aménagements, afin d’offrir également une plus forte abondance de certaines espèces végétales favorables aux abeilles sauvages et autres pollinisateurs spécialistes d’un point de vue alimentaire.»
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