En mai, tonte à l’arrêt: focus sur les prairies à haute valeur biologique
Il en existe un peu partout en Wallonie. Petit à petit, les prairies reconnues pour leur haute valeur biologique gagnent du terrain. Récit dans le décor coloré de Ciney, où des agriculteurs et leurs troupeaux croisent une foule d’autres acteurs de la nature.
Etendue en contrebas d’un écrin de verdure, une prairie humide se révèle dans un décor bien plus réfléchi qu’il n’y paraît. Après quelques pas dans l’herbe spongieuse, recouverte ça et là de tas de branches et d’un arbre tombé, trois silhouettes aussi rousses qu’imposantes s’approchent en trottinant, avant de s’arrêter dans un ultime mâchouillement. Originaire d’Ecosse, les vaches Highland sont des gestionnaires naturelles toutes désignées pour garder à l’état de prairie naturelle ce qui n’était auparavant qu’un terrain broussailleux. A quelques kilomètres de là, des orchidées violettes s’épandent sur le flan ensoleillé d’une vallée champêtre, redevenue le terrain de jeu d’une flore particulièrement riche, tandis que tritons, grenouilles et oiseaux s’en sont réapproprié les petites mares créées par endroits.
Les surfaces sous contrat de gestion sont en constante augmentation. Et la grande majorité des agriculteurs concernés renouvellent leur engagement.
C’est ici, dans le village d’Ychippe, près de Ciney, que Pascal Bigneron s’est lancé dans l’agriculture bio il y a dix ans, avec son frère Cédric. Tout est parti d’un parc éolien non loin de là, en compensation duquel quelques hectares inutilisés sont devenus des réserves naturelles. «A l’époque, nous avons ainsi récupéré une série de petites parcelles, pour la plupart embroussaillées, raconte ce costaud barbu travaillant toujours à mi-temps chez GSK. Au fur et à mesure, avec l’aide des animaux, on y a obtenu des prairies à l’ancienne. Nous sommes en autonomie complète, puisque nos animaux ne mangent que ce que l’on produit sur l’exploitation.» Aujourd’hui, Pascal et Cédric Bigneron gèrent entre cinquante et soixante hectares, dont une quinzaine en tant que prairies à haute valeur biologique.
Le mouton plutôt que le gyrobroyeur
Outre ses vaches Highland et quelques ânes, ses troupeaux de chèvres, de moutons classiques et de Soay sont les indispensables alliés d’une démarche où la nature rend autant service à elle-même qu’aux acteurs des environs. Ce cadre verdoyant est en effet le terrain de travail du Département de la nature et des forêts (DNF) de Wallonie, de l’asbl Natagriwal, qui accompagne les agriculteurs sur le terrain, ou encore des botanistes et étudiants de la faculté Gembloux Agro-Bio Tech, qui y effectuent des recensements et observations diverses. Il se prête aussi à une étroite collaboration avec le Domaine provincial de Chevetogne, situé à proximité immédiate de l’exploitation de Pascal Bigneron. «Nous voulions un peu plus d’espace, eux avaient du mal à entretenir certains terrains, précise-t-il. Le domaine devait parfois faire appel à des ouvriers pendant plusieurs jours, munis de gyrobroyeurs ou de débroussailleuses. Nous avons dès lors mis en place un système de pâturage mobile couvrant plusieurs hectares dans le domaine, où l’on fait même un peu de fauche.»
Les prairies à haute valeur biologique constituent un sous-ensemble des prairies naturelles, qui se caractérisent toutes par leur gestion peu intensive. Pour ces dernières, un agriculteur peut prétendre à une prime annuelle de deux cents euros par hectare, moyennant le respect d’un cahier des charges défini par Natagriwal. Dès qu’elles accueillent une biodiversité particulièrement riche, le renforcement de ce cahier des charges justifie le paiement d’un montant annuel de 450 euros à l’hectare, après le diagnostic de terrain par un expert de l’asbl. «Majoritairement, les prairies à haute valeur biologique ont un intérêt botanique, confirme François Cerisier, conseiller en méthodes agroenvironnementales chez Natagriwal. Elles révèlent souvent un cortège particulièrement riche d’espèces prairiales de plantes, que ce soient des graminées ou des fleurs. Bien sûr, nous affinons les critères en fonction des régions.»
Par essai-erreur
La Famenne, l’Ardenne, la Gaume et la Lorraine constituent autant de régions naturelles susceptibles d’accueillir un grand nombre de prairies à haute valeur biologique, bien qu’il en existe partout en Wallonie. L’un des critères les plus simples pour justifier ce statut consiste à observer au moins quinze espèces intéressantes de plantes à plusieurs endroits d’une même prairie. Par la suite, les agriculteurs sensibles à la démarche adaptent le mode de gestion au cas par cas, en suivant de bonnes pratiques définies en concertation avec Natagriwal. «On fonctionne parfois par essai-erreur avant d’obtenir un résultat satisfaisant, commente Pascal Bigneron. En haute valeur biologique, il y a deux manières principales de pratiquer: soit par fauche, soit par pâturage pour les parcelles les moins accessibles. On peut décaler les fauches dans la saison pour obtenir des floraisons perpétuelles, tout comme on peut faire pâturer des parcelles à certaines périodes. Il est évident que pour le moment, nous ne mettons pas nos bovins dans les orchidées.»
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Entre 1980 et 2018, la superficie des prairies permanentes a régressé de 23% en Wallonie, souligne Natagriwal. Celles-ci s’étendraient sur environ 308 000 hectares. L’urbanisation, la déprise agricole ou la mise en culture en sont les causes principales. Néanmoins, l’asbl constate un intérêt croissant des agriculteurs pour les préceptes des méthodes agro- environnementales et climatiques. «Les surfaces sous contrat de gestion sont en constante augmentation, indique François Cerisier. Par ailleurs, la grande majorité des agriculteurs concernés renouvellent leur engagement.» Les bénéfices sont évidents, comme l’atteste l’une des prairies cinaciennes visitées, où le versant restauré s’avère bien plus riche en espèces et en couleurs que celui qui lui fait face.
Malgré ce cercle vertueux et le retour de certaines espèces rares, le déclin de la biodiversité avoisinante reste drastique, a remarqué Pascal Bigneron au cours des dix dernières années: les papillons et certains oiseaux, en particulier, se font toujours plus rares. D’où la nécessité de renouer autant que possible avec une gestion moins intrusive.
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