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Economie circulaire: quand le champagne devient zéro-déchet

Pépins, peaux, lies… La production de vin laisse derrière elle différents résidus. Ils sont de plus en plus utilisés, de la cosmétique à l’énergie en passant par l’alimentation animale. A l’approche des fêtes, focus sur le champagne et sa revalorisation jusqu’au-boutiste.

Aux oenotouristes curieux, Isabelle Rousseau, de Aÿ Champagne Expérience, raconte sa région « telle qu’un local la vit, la boit et la connaît ». Installée à Aÿ, terre de caves mais aussi de la plus importante distillerie de la région (Goyard), elle évoque au détour d’une visite un aspect moins connu qui attire notre attention: « Il existe une tradition très ancienne de spiritueux comme le ratafia de champagne, fait à partir du jus de raisin, mais aussi la fine de la Marne et le marc de champagne obtenus à partir des résidus du pressage (peau, pépins…). Mais cela ne représente qu’un faible pourcentage du recyclage de ces restes. A côté de cela, on trouve des huiles essentielles, de l’engrais, de l’alcool ménager et une foule d’autres produits. »

La seule chose que l’on a encore du mal à valoriser, ce sont les rafles, la tige de la grappe de raisin.

Pierre Naviaux, responsable des projets développement durable au Comité Champagne (CIVC) le confirme, il est loin le temps où les distilleries se contentaient de produire de l’alcool et où l’on épandait les restes dans les champs. « On parle encore de distillerie, mais le terme exact serait plutôt bioraffinerie vinicole, précise-t-il. D’une ressource végétale, on extraira toutes les molécules d’intérêt. On a à peu près une douzaine de familles de valorisation et à la fin on a zéro déchet, même si on n’aime pas le terme « déchets » ; il s’agit de sous-produits, dans une logique d’économie circulaire. »

D’autres régions de France s’attaquent à cette question (lire l’encadré ci-dessous) mais l’une des forces de la Champagne est de bénéficier de distilleries proches et actives, capables de faire face à l’afflux massif de ces matières biologiques, et donc vivantes, durant les trois semaines que durent traditionnellement les vendanges. « Sur une année moyenne, on collecte et récupère environ 75 000 tonnes de marc de raisin, évalue Michaël Robinet, responsable commercial de la Distillerie Jean Goyard avant de faire la liste des différentes transformations.

Une pratique généralisée

La Champagne n’est pas la seule région à valoriser ses sous-produits vinicoles. Du Côtes-de-Provence au Sylvaner (et plus largement en Europe), les producteurs ont l’obligation de livrer les sous-produits issus de la fabrication de leur vin à une distillerie. Cette réglementation, à laquelle échappent en partie les vignobles bio, s’explique par la forte teneur en alcool des résidus de la vinification et la volonté de l’Etat de contrôler la circulation de l’alcool.

La région tire en revanche parti des spécificités de son vignoble, mais surtout du processus champenois. Les grappes sont obligatoirement récupérées entières, à la main, et l’extraction au pressurage étant relativement faible pour garantir la qualité, il reste plus de jus que dans d’autres régions après la manoeuvre. Les polyphénols extraits de cette vigne AOC sont aussi très réputés.

Par-delà cette approche circulaire, la filière est particulièrement attentive à son impact carbone depuis le début des années 2000, avec des bilans effectués tous les cinq ans. « Entre 2003 et 2018, la Champagne a réduit de 14% l’empreinte carbone de la filière et parmi tous les postes d’amélioration, les distilleries ont fait un gros travail sur leur mix énergétique », se félicite Pierre Naviaux, du Comité Champagne.

Les pépins, riches en antioxydants, sont séchés au plus tard quarante-huit heures après la sortie du pressoir et utilisés dans l’industrie pharmaceutique, cosmétique et pour des compléments alimentaires. La pulpe de raisin déshydratée sera commercialisée pour l’alimentation animale (chevaux, lapins…). A côté de la production de spiritueux, coexiste une fabrication d’alcool dédiée aux biocarburants avec les marcs et jus de marc. Le tartare de calcium, additif alimentaire recherché pour ses propriétés régulatrices d’acidité, est récupéré. Une huile essentielle de lie de vin (blanche et verte) est également produite par la maison et des réflexions sont en cours pour mieux exploiter l’huile des pépins de raisin. « La seule chose que l’on a encore du mal à valoriser, déplore l’expert à l’issue de son inventaire, ce sont les rafles, la tige de la grappe de raisin. On a testé la méthanisation, là on fait des tests pour des amendements organiques (NDLR: des fertilisants), mais pour l’instant on n’a pas trouvé le produit miracle. »

Même avant la vendange

La recherche et développement est permanente et le Comité Champagne reçoit régulièrement des demandes d’entreprises désireuses de concevoir des biomatériaux ou autres innovations et qui sont en quête d’interlocuteurs sur le terrain. Pierre Naviaux note une accélération dans le domaine depuis une dizaine d’années. Une dynamique encouragée notamment par le programme Anaxagore (lancé en 2010). Ce projet champenois dédié à l’innovation visait à mieux valoriser les sous-produits vitivinicoles et à trouver des moyens pour remplacer les intrants d’origine fossile par des produits biosourcés. Une cinquantaine d’idées avaient émergé et plusieurs ont pu être financées. C’est le cas du projet Matagraf qui a permis de concevoir des agrafes à vigne 100% biosourcées (à base d’amidon) et biodégradables directement dans le sol de vignes, pour remplacer leurs équivalents issus de la pétrochimie.

La distillerie Goyard collecte et récupère en moyenne 75 000 tonnes de marc de raisin par an.
La distillerie Goyard collecte et récupère en moyenne 75 000 tonnes de marc de raisin par an.© GETTY IMAGES

Parmi les projets qui sortent du lot, pointons également BioViVe (Biomasse viticole pour la fusion du verre) auquel a collaboré l’entreprise néo-louvaniste Xylowatt. Cette innovation est on ne peut plus ancrée dans le secteur viticole champenois puisqu’elle utilise le bois de la vigne pour fournir une partie de l’énergie nécessaire à… la fabrication des bouteilles qui contiendront les précieux nectars. C’est la gazéification des sarments et autres résultats de la taille ou l’arrachage de la vigne qui permet de créer un gaz de synthèse.

On observe donc que la vigne elle-même est une ressource et que le travail de revalorisation des sous-produits commence parfois bien avant les vendanges. Dans cette logique, l’entreprise Sarmance développe des cosmétiques avec des vignerons en biodynamie (en Corse, Loire, Champagne). Marc Augustin (Champagne Augustin) est l’un d’entre eux. « Je leur fournis les apex, c’est-à-dire ce petit bourgeon qui pousse et qui capte toute l’énergie solaire. Il pousse et atteint souvent 10 à 15 cm au moment où on le coupe. On peut tresser la vigne, mais 99,9% des gens coupent cette partie et elle est perdue. Sarmance les utilise dans des produits contour des yeux et des soins visage. » L’entreprise met en avant « la puissance des antioxydants présents dans les jeunes pousses de vignes bio » et le fait que les polyphénols sont « un actif repulpant et hydratant naturel ».

Discrétion exigée

Difficile en revanche pour les marques qui s’approvisionnent en Champagne de capitaliser sur le prestige du vin effervescent le plus plébiscité au monde. « Il n’est champagne que de la Champagne », tel est l’adage du Comité Champagne, qui rappelle régulièrement des marques à l’ordre (même Apple a dû rebaptiser son iPhone couleur « champagne » en 2013). Des acteurs majeurs de la cosmétique comme Dior ou Caudalie s’arrangent pour que l’on sache qu’ils utilisent des polyphénols de la Marne, mais personne ne pourrait sortir une mousse nettoyante ou une semelle de baskets « bulles de champagne ».

Par contre, on trouvera très probablement bien plus que du vin et des eaux-de-vie dans les boutiques des producteurs. Les moeurs évoluent et les grandes maisons avec elle. Voici quelques années, il aurait été inconcevable d’associer luxe et recyclage. Désormais, l’économie circulaire a la cote: « C’est embryonnaire, mais nous avons de plus en plus de demandes de grandes maisons pour revaloriser leurs produits », confie Michaël Robinet. Pour les fêtes, oubliez les magnums tape-à-l’oeil, sous-produit is the new chic.

La vigne elle-même est une ressource et le travail de revalorisation des sous-produits commence parfois avant les vendanges.
La vigne elle-même est une ressource et le travail de revalorisation des sous-produits commence parfois avant les vendanges.© GETTY IMAGES

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