Economie circulaire: les boues d’épuration, mines de phosphore
Elément chimique indispensable à l’agriculture, le phosphore est une denrée rare en Europe. Un projet innovant vise à le récupérer dans les boues des stations d’épuration.
Le territoire européen ne compte qu’une seule mine de phosphate, en Finlande. Dès lors, près de 90% du phosphore utilisé en Europe dépend des importations. Essentiellement du Maroc, pays recelant plus de 70% des réserves mondiales. Classé parmi les matières premières critiques, le phosphore est essentiel à la croissance des plantes. Sans lui, pas de maraîchage, et donc pas de légumes. Un projet européen vise à l’extraire des boues de stations d’épuration et à le recycler comme amendement agricole.
Parmi les 210 000 tonnes de boues brutes des stations d’épuration wallonnes à traiter annuellement, 70% sont hygiénisées. « C’est-à-dire chaulées puis déshydratées. Ce processus les rend inactives. C’est ainsi, par exemple, que le coronavirus présent dans les boues est rendu non infectieux », précise Jean-Luc Martin, président du comité de direction de la Société publique de gestion de l’eau (SPGE). Autrement dit, 70% des boues des stations d’épuration ont une qualité agronomique et des caractéristiques telles qu’elles peuvent être directement épandues sur les champs.
Quid des 30% restants, trop chargés en métaux lourds ou en micro-organismes, médicaments et autres produits de contraste rejetés par les hôpitaux? Jusqu’alors, ces boues rejoignaient la filière incinération et co-incinération, en étant notamment brûlées dans les cimenteries ou les usines de traitement des déchets. Le projet Phos4You, auquel participent douze partenaires de la zone nord-ouest de l’Europe ainsi que la Suisse, veut changer la donne. Et faire entrer ces boues polluées et riches en phosphore dans une boucle d’économie circulaire en les recyclant en engrais agricoles. C’est dans ce cadre que des chercheurs de l’ULiège ont développé Pulse, un dispositif pilote préindustriel permettant de récupérer entre 60% et 80% du phosphore renfermé dans ces boues.
Ce phosphore se présente sous une forme chimique assimilable par les plantes. Des expériences menées à l’université de Gand, partenaire du projet, l’ont attesté. « En parallèle, des essais ont également été lancés par l’entreprise liégeoise Prayon, leader mondial dans la chimie du phosphate, souligne la professeure Angélique Léonard, directrice de l’unité de recherche chemical engineering de l’ULiège. Selon les premiers résultats, le produit phosphoré tel qu’il est obtenu à la fin de notre processus peut directement être incorporé dans leur propre formulation d’engrais, sous forme de granules. »
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Grâce à cette technologie, environ 113 000 tonnes de phosphore pourraient être récupérées par an dans les pays du nord-ouest de l’Europe concernés par le projet. De quoi couvrir 26% de la demande. Le dispositif pilote préindustriel a été installé à la station d’épuration d’Oupeye. Il vient de la quitter, direction l’Ecosse pour y être monté par deux ingénieurs du projet Pulse avant de revenir en Belgique après deux mois. « Des discussions sont cours avec des industriels pour un déploiement à plus grande échelle », se réjouit la professeure Léonard.
Ôter les médicaments des eaux usées
A partir de 400 kilos de boues déshydratées puis séchées, le démonstrateur Pulse (Phosphorus ULiège Sludge Extraction) récupère douze kilos de produit enrichi en phosphore pouvant être recyclé de manière sûre comme engrais dans l’agriculture. En effet, après traitement des boues séchées et extraction du phosphore, métaux et métaux lourds sont éliminés, les eaux usées résiduaires pouvant alors être réinjectées dans le processus d’épuration. Quid des médicaments présents initialement dans les eaux usées? « Avec notre système Pulse, ils sont détruits grâce à l’utilisation d’acides en grandes quantités », explique la professeure Angélique Léonard (ULiège). Mais la véritable solution pour contrer cette problématique médicamenteuse doit se situer en amont. Dans certaines stations d’épuration, il existe des procédés qui dégradent les résidus médicamenteux pour éviter de les retrouver dans les boues d’épuration. « Plusieurs, comme Medix, vendu par John Cockerill Environment, exploitent des micro-organismes. La Suisse, qui est hors UE, impose déjà de traiter les micropolluants – médicaments, mais aussi pesticides, hormones, etc. – présents dans les eaux usées. En prévision d’une future obligation européenne, de nombreuses recherches sont en cours pour développer des procédés adéquats. »
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