François-Xavier Druet
Doléances d’un pangolin chagrin
Je m’appelle Ugolin. Pangolin à courte queue, je vis dans une forêt de Hubei, pas très loin de la ville de Wuhan. Je prends la parole pour plaider la cause animale au tribunal unilatéral des humains. Les grands singes, la chauve-souris ont déjà connu ça. Maintenant, c’est nous, les pangolins, qui sommes la cible. Nos virus vireraient de bord pour coloniser l’être humain.
C’est trop fort. On commence par nous chasser. On nous mange, chair et écailles. Puis on nous accuse d’infecter le consommateur. Conséquence ? Depuis le 24 février, je dors plus tranquille. Le gouvernement a décidé d’interdire, sans autre jugement, commerce et manducation des pangolins. Il a tranché. Sans tenir compte de la présomption d’innocence.
Je suis en quelque sorte confiné et j’en profite pour observer les humains. J’y invite tous mes congénères, mais aussi tous les animaux, dont beaucoup ont prouvé leur force en envahissant le langage des hommes. Allons-y : commentons ensemble le spectacle, devenu viral, offert par les détracteurs de la gent animale. Pourquoi ne balayent-ils pas d’abord devant leur porte ?
Au départ, rien qu’un virus. Mais il devient trop rapidement renommé : le Covid-19 circule à la vitesse d’un cheval au galop. Il provoque chez ses hôtes une fièvre de cheval, qui nécessiterait un remède de cheval. Mais quoi ? Un antivirus spécifique ? Un vaccin miraculeux ? Cela ne se trouve pas sous le pas d’un cheval. Panique dès lors chez les docteurs ès infections. Certains – les moins nombreux – donnent leur langue au chat. D’autres mettent la charrue avant les boeufs et répandent des boniments à la graisse d’oie. D’autres encore appellent un chat un chat : ils annoncent un cataclysme sanitaire. Je plains l’humain qui, en bon citoyen, cherche à se faire une opinion : les avis dits autorisés desdits spécialistes sont tellement divers qu’une vache n’y retrouverait pas son veau.
Et les politiques, me direz-vous ? Où sont-ils ? Jusque-là – c’est-à-dire avant l’alerte – la prévoyance n’a pas été au rendez-vous. Les responsables du Budget et de la Santé n’ont pas attaché leurs chiens avec des saucisses : une période de vaches maigres est peu propice pour (re)constituer des stocks de masques et d’équipements de protection. Et maintenant, voilà que, soudain, les cris d’orfraie poussés par les scientifiques les secouent. Il faut agir. Les chefs se retrouvent comme l’âne de Buridan : confiner ou non ? Oui, on va le faire. Presque partout.
Dur dur. Même si l’on est copain comme cochon, la distance est exigée. Toutes les brebis sont priées de rester au bercail. On n’obligera quand même pas à se coucher avec les poules. Mais la couleuvre reste difficile à avaler. Et les larmes de crocodile n’apitoieront personne. Dura lex, sed lex. La loi est dure, mais c’est la loi. (Je traduis. Le latin est la base de la formation d’un pangolin. Je ne sais pas si c’est pareil chez les humains.)
Qui d’autre que les poulets, exemptés de facto de bien d’autres tâches, comme chiens de garde de la règle établie ? Avec psychologie, s’il vous plaît ! À cheval sur les principes, mais souplesse du serpent dans l’action pour ramener au bercail – sans bavure, si possible – la brebis égarée. Les cerbères ne deviendront vaches que si on les prend, avec hauteur, pour les dindons de la farce.
Et l’économie ? Comment va-t-elle encaisser le choc ? Sera-ce le panier à crabes ? Même certains coqs en pâte, adorateurs du veau d’or, risquent bien de devoir manger de la vache enragée. Les investisseurs ont la chair de poule. La remise debout ne se fera qu’au prix d’un mal de chien.
Bien sûr, tous les médias sont sur le coup. Les médias à l’ancienne tiennent plutôt le cheval en bride, même si c’est parfois dans une profusion débridée. Les nouveaux médias, eux, lâchent les chevaux. Pour le fond, tous offrent le panorama complet des sentiments humains, des plus nobles et altruistes aux plus bas et égoïstes Pour la forme, on trouve souvent, dirait Baudelaire, « des compilateurs à foison, des ressasseurs, des plagiaires de plagiats et des critiques de critiques ». (Même un insectivore comme moi se plaît à citer l’auteur des Fleurs du mal.)
Je le reconnais : ce virus a mis les humains dans de sales draps. Mais pourquoi faire de nous, les pangolins, des boucs émissaires ? Nous vivions tranquilles dans nos forêts. Nous n’en demandions pas plus. Sont arrivés les mercantis et les trafiquants. Ne vous dérobez pas : ce sont bel et bien des humains. Foi d’Ugolin !
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