Des forêts dans la mer pour soulager la Terre
Une approche plurielle, à base d’algues et sur fond de partenariat international, pourrait aider à faire front contre le réchauffement climatique et l’accroissement de la population mondiale. Les solutions viendront-elles des océans dont, paradoxalement, on redoute la montée des eaux?
Avec la signature de la première Coalition mondiale de l’algue, en mars dernier, le concept de grandes forêts sous-marines quitte le domaine de la science- fiction. L’idée est de fédérer les divers acteurs de la filière de l’algue marine – producteurs, industriels, chercheurs et associations de protection de l’environnement – afin d’harmoniser les règles de sécurité et les connaissances à l’échelle de la planète et d’éviter, par exemple, des monocultures géantes mettant en danger les écosystèmes marins.
Si nous dédions seulement 2% de l’océan à la production d’algues, nous pourrions nourrir jusqu’à douze milliards de personnes.
Notre planète est à 70% recouverte d’eau. Si nous dédions seulement 2% de l’océan à la production d’algues, nous pourrions nourrir jusqu’à douze milliards de personnes, en plus du bétail aujourd’hui alimenté avec du soja. Les algues marines sont en effet extrêmement riches en protéines, en vitamines, en zinc, en iode, en fer et en oméga-3. Par ailleurs, elles présentent de nombreux atouts. Ainsi, elles luttent contre le réchauffement climatique, en absorbant du CO2 et en produisant de l’oxygène en grande quantité – deux tiers de celui que nous respirons. Elles régulent également les écosystèmes marins, en nettoyant l’eau des nitrates et des phosphates excédentaires et en offrant nutriments et habitat à la vie subaquatique. Enfin, les algues peuvent être utilisées comme engrais organique, comme substituts durables aux plastiques ou comme ingrédients intervenant dans la fabrication de médicaments et de cosmétiques. Le développement de cette filière permettrait en outre de créer de nombreux emplois.
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Bouée de secours
Pour l’heure, le projet rassemble des scientifiques du CNRS (Centre national de la recherche scientifique, en France), l’ONU et la fondation Lloyds Register, experte dans le développement de réponses aux grands défis de ce siècle. La création de la Coalition, très attendue, s’appuie sur le Seaweed Manifesto (le Manifeste de l’algue). Il fera office de bouée de sauvetage au milieu du grand flou juridique international dans lequel barbote la culture d’algues en milieu marin. Actuellement, cette filière, à laquelle ne se sont pas encore beaucoup intéressés les gouvernements, est laissée aux mains d’entreprises privées, peu désireuses de partager leurs connaissances. Il n’existe pas de normes internationales concernant la sécurité, alimentaire et de production, de la filière ou la préservation des milieux marins.
Si l’on modifiait le régime alimentaire du bétail, passant du maïs ou du soja à des aliments à base d’algues, les émissions de méthane des vaches diminueraient de 98%, estime une étude parue en juin 2020 dans le Journal of Cleaner Production. Il faut savoir qu’une vache produit, en moyenne, 150 kilos de méthane par an. Or, ce gaz à effet de serre est vingt-cinq fois plus réchauffant que le CO2. Nourrir les cheptels d’algues favoriserait aussi globalement la santé des animaux, en améliorant leur digestion et en renforçant leur système immunitaire. L’Ecosse l’a bien compris: depuis 2016, elle alimente ses moutons Ronaldsay avec ce type de végétaux. Cet automne, ce sera au tour de l’Irlande de s’essayer à ce type de nourrissage, pour ses bovins.
La révolution, le pétrolier et la Namibie
De façon ironique, cette « révolution des algues » passera par l’appui et le savoir-faire de grandes compagnies pétrolières, les seules à ce jour à disposer des connaissances indispensables à la gestion des vagues océaniques et des forts mouvements marins. Ainsi, un des plus gros projets de forêts sous-marines est piloté par un ancien cadre de Shell qui a créé la société Kelp Blue, spécialisée dans l’aquaculture ayant pour vocation de rétablir l’ équilibre environnemental. Le 21 juillet dernier, la ville de Luderitz, en Namibie, lui a donné le feu vert pour démarrer la culture d’une algue brune immense, du genre macrocystis, au large de ses côtes. Cette algue géante, la plus grande que l’on connaisse, peut atteindre trente mètres de long. En anglais, on l’appelle « kelp », d’où le nom de l’entreprise dédiée à sa culture. A terme, Kelp Blue entend implanter ses forêts de kelp sur 70 000 hectares, soit une surface supérieure à 70 000 terrains de football. La firme estime que son initiative sera hyperpositive à de nombreux égards. Kelp Blue avance notamment que ses forêts d’algues géantes attireront quelque deux cents espèces animales, ce qui entraînerait une croissance de 20% de la population de poissons, qui trouveront là non seulement le gîte mais aussi le couvert.
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