Cop 15 biodiversité
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COP15 sur la biodiversité : cap sur un accord aussi historique que Paris 2015?

Un vent d’optimisme soufflait à la COP15 pour la biodiversité où un accord de compromis semblait se dessiner même si la question financière, cruciale pour les pays du Sud, restait en suspens.

Le ministre chinois de l’Environnement, Huang Runqiu, président de la COP15, a déclaré devant la presse: « je suis très confiant dans le fait que nous allons pouvoir maintenir nos ambitions et obtenir un accord ». L’ambition reste de sceller d’ici le 19 décembre un accord sur la biodiversité aussi historique que celui de Paris pour le climat en 2015. « Portons ensemble l’accord le plus ambitieux qui soit. Le monde en a besoin », a twitté samedi le président français Emmanuel Macron « Les pays les plus vulnérables hébergent des trésors de biodiversité. Nous devons augmenter nos financements pour les accompagner, mettre le paquet », a-t-il ajouté avant un appel à élargir le groupe des donateurs du Nord.

En l’absence des chefs d’Etat ou de gouvernement à ce sommet de la décennie, crucial pour l’humanité et la planète, les ministres de l’Environnement sont à pied d’œuvre. Le texte se veut une feuille de route pour les nations jusqu’en 2030, le dernier plan décennal signé au Japon en 2010 n’ayant atteint aucun de ses objectifs, notamment en raison de l’absence de mécanismes de suivi.

Parmi les principaux objectifs, toujours débattus, figure la proposition de protéger 30% des terres et des océans d’ici à 2030, la diminution de moitié de l’usage des pesticides, la restauration de milliards d’hectares de terres dégradées, etc. « Nous avons fait d’énormes progrès », s’est félicité Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement du Canada, qui accueille le sommet. Fort des avancées de ces dernières heures, le président chinois de la COP15 a promis de délivrer aux différents pays une « proposition de texte » dimanche à 08H00 (13H00 GMT) qui sera « ambitieux, équilibré et applicable ». Toutefois, de nombreux points sont encore âprement discutés dans leurs détails, notamment avec les pays du Sud. Ceux-ci craignent des critères trop restrictifs, incompatibles avec leurs besoins de développement ou leurs moyens techniques et financiers.

« Nous ne pouvons plus attendre »

Les pays en développement, où se trouve la majeure partie de la biodiversité mondiale, estiment par ailleurs que le partage des bénéfices des ressources naturelles, objectif au cœur de la Convention sur la diversité biologique (CDB) de 1992, n’a pas eu lieu. Pour s’engager sur des objectifs ambitieux, ils réclament donc 100 milliards de dollars par an. Le montant, calqué sur celui de la promesse non tenue de l’aide internationale pour le climat, équivaudrait à multiplier par dix les transferts actuels du Nord vers le Sud au titre de la biodiversité.

Les pays du Sud poussent donc toujours pour la création d’un nouveau fonds distinct, à l’image de celui obtenu en novembre pour les aider à affronter les dégâts climatiques. « Je pense que nous allons obtenir un accord, la question est sa qualité: nous avons besoin d’ambition autant sur le financement que sur les cibles de conservation », a commenté Li Shuo, conseiller chez Greenpeace.

Optimisme

L’optimisme est partagé par Alfred DeGemmis, conseiller de la Wildlife Conservation Society, même s’il reste « beaucoup de travail et de compromis prudents à élaborer » pour que « les gouvernements saisissent cette occasion, peut-être la dernière, d’éviter une extinction de masse ». Plusieurs textes provisoires publiés samedi, sur des questions techniques mais essentielles, laissaient entrevoir un accord final. L’un des documents concerne les mécanismes de suivi et de contrôle, indispensables pour ne pas répéter l’échec précédent. L’autre porte sur la promesse de résoudre un point sensible pour le Sud: l’absence de partage avec eux des bénéfices des médicaments ou produits cosmétiques issus de leurs ressources biologiques. « Il y a une obligation morale » à stopper la perte de la biodiversité, affirment plus de 3.100 chercheurs de 128 pays dans une lettre ouverte samedi, inquiets de voir les négociations piétiner. « C’est réalisable si nous agissons maintenant, et de manière décisive », et « nous le devons à nous-mêmes et aux générations futures – nous ne pouvons plus attendre », ont-ils lancé. Car le temps presse: 75% des écosystèmes mondiaux sont altérés, largement à cause de l’activité humaine, plus d’un million d’espèces sont menacées de disparition sur la planète, etc.

Et au-delà des implications morales, c’est toute la prospérité du monde qui est en jeu, rappellent les experts: plus de la moitié du PIB mondial dépend de la nature et de ses services.

Les points clés à résoudre pour un accord biodiversité réussi

30% de la planète protégée?

L’objectif phare de protéger 30% des terres et des mers d’ici 2030 ne fait toujours pas consensus. Alors que scientifiques et ONG estiment qu’il en faut 50% pour enrayer la crise de la biodiversité. A ce jour, 17% des terres et 8% des mers sont protégées, mais pour certains pays la marche à franchir en huit ans est trop haute. La définition même d’une aire protégée est encore très débattue: faut-il comptabiliser seulement les zones « hautement ou totalement » protégées? Doit-on y prohiber toutes les « activités nuisibles à l’environnement »?  La plupart des pays en développement, critiques de l’approche conservationniste du Nord, mais aussi certains pays riches veulent des aires protégées où « un usage durable » des ressources (bois, minerais, poissons…) reste autorisé. A l’inverse, des ONG craignent de voir naître des « parcs sur le papier ».

Quid des 70% restants de la planète?

Un déficit d’ambition sur les autres objectifs, décisifs pour la biodiversité sur les 70% restants de la planète, inquiète aussi fortement. « Si le cadre mondial est faible, nous nous y opposerons certainement et nous encouragerons les parties à ne pas le signer », met en garde Brian O’Donnell, directeur de l’ONG Campaign for Nature. Les négociateurs doivent préciser la feuille de route pour 2030 d’ici lundi: faut-il s’engager à restaurer 20%, 30% ou des milliards d’hectares de terres dégradées?  A diviser au moins par deux la circulation des espèces invasives? A réduire l’usage des pesticides et des engrais de moitié? Sur ce dernier point, l’Union européenne est isolée et pourrait devoir céder.

Populations autochtones

Les populations autochtones, dont les territoires abritent 80% de la biodiversité restante sur Terre, s’inquiètent particulièrement de manquer de garanties pour les protéger du « colonialisme vert » que pourrait relancer l’accord. « C’est nous qui fournissons les solutions: vous pouvez être nos partenaires mais vous ne pouvez pas nous évincer », a déclaré samedi Valentin Engobo, chef du village de Lokokama, connu pour ses tourbières dans le Bassin du Congo. Pour nombre d’ONG, un manque de reconnaissance de leur rôle, de leurs savoirs traditionnels et de leurs droits tout au long du texte serait une ligne rouge.

Les subventions du Nord vers le Sud

C’est le nerf des négociations: en coulisses, Nord et Sud marchandent l’aide financière internationale en contrepartie d’engagements chiffrés et ambitieux dans la feuille route. Les pays en développement –Brésil, Inde et Indonésie en tête– réclament « au moins 100 milliards de dollars par an ou 1% du PIB mondial jusqu’en 2030 ».  Cela équivaudrait à multiplier par dix l’aide internationale actuelle pour la biodiversité. Mais le montant est avant tout politique, une demande de solidarité et de justice calquée sur les 100 milliards promis, mais pas totalement versés, dans la lutte contre le changement climatique.

Une douzaine de pays, dont le Canada, le Japon, les Etats-Unis et les principales puissances européennes, ont donné à Montréal quelques premiers signes d’efforts supplémentaires. Mais arguant ne pas pouvoir décupler leurs aides publiques, ils renvoient à une réforme des flux financiers, aux fonds privés et à la redirection des subventions négatives pour l’environnement dans tous les pays.

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