DECEMBER 1: World Heads of State pose for a group photo at Al Wasl during the UN Climate Change Conference COP28 at Expo City Dubai on December 1, 2023, in Dubai, United Arab Emirates. (Photo by COP28 / Mahmoud Khaled)

COP 28 : pourquoi l’ombre de Donald Trump plane sur les négociations

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

L’éventualité d’une réélection en 2024 de Trump, dont on connaît le climato-scepticisme, influencera inévitablement l’issue de la COP de Dubaï.

Il n’est pas sur la photo de famille officielle de la 28ème conférence des Nations Unies sur le climat. Donald Trump ? Non, Joe Biden, l’actuel locataire de la Maison Blanche. L’absence du démocrate, pourtant engagé dans la lutte contre le réchauffement, est remarquée et très commentée dans les couloirs de la COP. En réintégrant les accords de Paris, que son prédécesseur avait rejeté, et en faisant adopter un plan climat de près de 400 milliards de dollars, Biden était apparu – hormis son âge – comme le plus « vert » des derniers présidents américains.

Il était présent à la COP 26 de Glasgow et à la COP 27 de Charm-el-Cheik. Nombre de ses collaborateurs, selon le New York Times, espéraient qu’il soit le premier président à assister à trois sommets au cours de son mandat. Même Barack Obama ne peut se targuer de ce record : il n’était pas présent à Paris, en 2015, lors de la COP historique qui avait fixé l’objectif de 1,5 °C pour décarboner la planète.

Alors, pourquoi Biden est-il le grand absent de Dubaï ? Son équipe a argué d’un agenda chargé. C’est vrai qu’entre l’illumination du grand sapin de Noël de Washington et une rencontre avec le président angolais à qui il a promis de venir bientôt dans son pays, il y avait peu de marge… D’autres rumeurs ont évoqué des problèmes de santé. Mais de là à ce que ça l’empêche de montrer son nez aux Emirats Arabes Unis… Peu crédible. D’autant de manière visiblement concertée, sa vice-présidente Kamala Harris avait, elle aussi, fait savoir qu’elle ne se rendrait pas à la COP, avant de changer d’avis le week-end dernier.

L’explication la plus plausible de ces tergiversations et de cette impasse sur Dubaï est la campagne pour les élections présidentielles qui auront lieu dans moins d’un an. L’ancien président républicain Donald Trump s’y est déjà lancé corps et âme avec un objectif : prendre sa revanche, voire carrément se venger contre ceux qui ont saboté sa réélection il y a quatre ans.

Biden lorgne les électeurs de droite

Le milliardaire excentrique a annoncé qu’il sortirait à nouveau son pays des accords de Paris et qu’il mettrait le paquet sur la production d’énergies fossiles, comme il l’avait fait en 2017 suite aux promesses données aux électeurs de la Rust Belt, ces Etats industriels du Nord des Etats-Unis qui avaient fait basculer les élections en sa faveur. Pour l’instant, Trump est le favori des sondages. Si les élections avaient lieu en cette fin d’année, Biden serait battu, malgré son bon bilan économique (des créations d’emplois qui explosent et un PIB en forte hausse). La menace est donc là : si Trump réintègre le bureau ovale, cela aura des conséquences dommageables pour la lutte contre le dérèglement climatique, avec un indubitable effet en cascade au-delà des frontières américaines.

Cette perspective incertaine rend forcément les participants de la conférence dubaïote attentistes. L’avenir électoral américain fait plus que probablement partie des discussions en coulisses. En tout cas, Joe Biden est astreint à un périlleux exercice d’équilibriste. S’il n’est pas à la COP, c’est fort probablement parce qu’il lorgne les électeurs de droite, en tout cas ceux qui n’approuvent pas un retour de Trump. Mais on sait qu’une majorité de Républicains n’adhère que très peu voire pas du tout aux mesures de lutte contre le réchauffement. Le futur candidat démocrate ne souhaite donc désormais plus trop s’afficher en grand défenseur du climat.

Les Etats-Unis n’en ont pas moins rejoint les 128 pays qui, à Dubaï, viennent de s’engager à tripler la capacité des énergies renouvelables, contrairement à la Russie, l’Arabie Saoudite ou la Chine. A la tribune de la COP, Kamala Harris a également annoncé que son pays verserait 3 milliards de dollars pour le Fonds vert destiné à aider les pays en développement à investir dans les énergies propres et à prendre des mesures pour s’adapter au changement climatique. Le dernier engagement de ce genre datait de 2014 et avait été annoncé par Obama. La promesse de la vice-présidente doit encore être avalisée par le Congrès américain, ce qui n’est pas encore gagné.

Tarification carbone, tabou américain

Vu cet enjeu américain et le risque d’un come-back de Donald Trump, il y a peu de chance que le thème de la tarification carbone soit sérieusement abordé dans les négociations de la COP 28. Il s’agit pourtant d’un instrument très prometteur pour la réduction des gaz à effet de serre, puisque cette taxe est une incitation forte à consommer moins d’énergie fossiles et à investir dans des technologies propres. Mais la taxation carbone est un tabou aux Etats-Unis, surtout chez les Républicains. On l’a vu avec l’Inflation Reduction Act (IRA), le grand plan pour le climat et la santé, que Biden a réussi à faire adopter par le Congrès en août 2022. Ce plan, plutôt que de tarifier les émissions de CO2, subventionne les équipements qui produisent ou utilisent de l’électricité, comme le voulait le compromis négocié au Sénat où les Démocrates ne jouissent que d’une très courte majorité.

En provoquant une baisse du coût de l’énergie et en ne taxant pas les émissions de CO2, l’IRA pousse à consommer davantage de combustibles fossiles. Les majors américaines se frottent les mains. La production de pétrole, qui est un enjeu politique majeur au pays de l’Oncle Sam, y a atteint un niveau record cette année : plus de 13 millions de barils par jour. Les Républicains avaient accusé Biden d’hypothéquer l’indépendance énergétique du pays en limitant les permis de forage. Le président démocrate a fait machine arrière en autorisant même un projet géant d’exploitation décrié en Alaska, connu sous le nom de Willow. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit une nouvelle hause de la production US en 2024. L’électoralisme ambiant, avec l’ombre d’un Trump qui défend toujours la dérèglementation du secteur pétrolier, risque aussi de peser sur les négociations de la COP autour de la sortie des énergies fossiles.

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