Comment Disney s’est construit une image d’ami de la nature
Il y a dix ans, la multinationale aux oreilles de Mickey créait Disneynature, label écoresponsable qui produit chaque année un long métrage documentaire célébrant la fragile beauté de la nature. Décryptage et rencontre avec Jean-François Camilleri, son fondateur.
Jusqu’au 1er septembre prochain, le Muséum des sciences naturelles bruxellois accueille entre ses murs l’exposition Ours et Nounours, qui entend explorer les deux facettes radicalement contrastées du même animal. L’histoire est connue: au tout début du XXe siècle, Theodore Roosevelt, président à la conscience écologiste tout à fait inédite dans l’Histoire américaine, rentre complètement bredouille d’une chasse à l’ours, cette bête féroce inspirant la terreur dans l’imaginaire populaire. On lui présente alors un ourson blessé à abattre afin de sauver la face. Outré, Roosevelt refuse et ordonne la libération du petit mammifère. La presse s’empare de l’affaire et attendrit l’opinion publique: le Teddy’s bear (littéralement « l’ours de Theodore ») est né, et rapidement récupéré par les commerçants new-yorkais qui écoulent de mignons petits ours en peluche (« teddy bears ») sur le marché.
Passée par Toulouse et Paname, cette expo tendre et sauvage à la fois a été conçue et réalisée en partenariat avec Disneynature, branche du studio Walt Disney Pictures chargée de produire des longs métrages documentaires célébrant la beauté de la nature tout en soulignant sa fragilité. Il y a cinq ans, sortait ainsi le film Grizzly, dont les images et la trame ont largement nourri et inspiré le déroulé d’Ours et Nounours. Dans les bureaux parisiens de Disney où il reçoit en quinqua gentleman et affable, Jean-François Camilleri, directeur général de la Walt Disney Company pour la France, le Benelux, le Maghreb et l’Afrique francophone, et par ailleurs fondateur en 2008 du label Disneynature, résume très simplement: « Nous mettons nos images au service de la pédagogie pour qu’elles portent un message. »
Un ADN animalier
Mettre ses images au service d’un message, c’est au fond la philosophie de Disneynature depuis une bonne décennie déjà. Chaque année, ce label écoresponsable dont le logo fige le château de Cendrillon en iceberg se fend en effet, en collaboration étroite avec des équipes de scientifiques, d’un docu animalier qui entend sensibiliser le public aux grands défis environnementaux. Dernier-né en date de cette usine à rêves conscientisés, Blue, l’an passé, invitait par exemple à une plongée au coeur de l’océan, et plus spécifiquement des grands récifs coralliens, dans le sillage d’un jeune dauphin couvé par le regard protecteur de sa mère. Une expérience cinématographique immersive sur fond d’orgasmiques explosions de couleurs et de vie qui succédait ainsi à quelques solides films du genre aux titres évocateurs: Pollen, Félins, Chimpanzés, Au Royaume des Singes… « Disneynature, c’est une idée que j’ai eue en 2005 à la suite de l’immense succès de La Marche de l’empereur, ce documentaire consacré aux manchots empereurs que j’avais coproduit », se souvient Camilleri. « Je me suis dit que la nature offrait plein d’autres histoires à raconter. C’était la première fois depuis plusieurs décennies qu’un label était créé au sein de Disney. »
Pour autant, ce label ne naît pas de rien, qui s’inscrit dans une ligne éditoriale où le monde animalier a toujours occupé une place déterminante. Mieux: de 1948 à 1960, les studios Disney produisaient déjà les True-Life Adventures, soit une série de courts et longs métrages documentaires sur la nature couronnée de plusieurs Oscars dans les années 50. « Cette expérience avait été quelque peu oubliée. Lors du lancement de Disneynature en 2008, il nous tenait donc à coeur d’en célébrer le souvenir. Nous avons diffusé un petit film de présentation où Walt Disney lui-même évoquait les True-Life Adventures mais aussi l’importance des animaux dans l’univers Disney. Nous avons fait le pont avec ces éléments, et c’est un pont logique. C’est vraiment dans l’ADN de Disney. »
Engagé mais pas trop
À chaque long métrage produit par Disneynature est associée une ONG entretenant un rapport étroit avec le thème spécifique développé par le documentaire en question. « On ne peut pas faire un film sur les félins sans s’impliquer dans la préservation des espèces. Il ne reste que quelques milliers de guépards et quelques dizaines de milliers de lions sur la planète aujourd’hui. » En ce sens, la collaboration avec les ONG est double. D’une part, celles-ci et leurs affiliés sont utilisés comme sources de communication privilégiées afin de faire parler des productions Disneynature. D’autre part, le label s’engage à reverser une partie de ses recettes à ces ONG afin de favoriser leurs actions, mais aussi à les faire connaître auprès de ses spectateurs sensibilisés et avides de contribuer.
On l’aura compris, la question de la rentabilité des films labellisés Disneynature n’en est pas vraiment une, même si, comme le dit Jean-François Camilleri, « on ne fait pas des films pour perdre de l’argent ». Mais l’objectif premier n’est clairement pas ici de rapporter des millions au groupe Disney. « Nous avons des marques comme Star Wars, Marvel ou Pixar pour ça. » Au-delà de la seule démarche charitable de conscientisation, et de tournages qui se déroulent en suivant une charte éthique très rigoureuse, la célèbre multinationale a néanmoins bien sûr autre chose à y gagner que de l’argent. En phase avec sa stratégie RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) qui s’appuie sur trois piliers indéfectibles -divertir, sensibiliser, inspirer-, la marque à l’iceberg contribue en effet grandement à renforcer son image positive auprès du public, dans un esprit au fond peut-être pas toujours très éloigné de celui présidant au « greenwashing », ce procédé marketing utilisé par les grands requins du monde entrepreneurial pour se créer une aura avantageuse, écolo et responsable. « Notre image auprès du public est très importante pour nous, c’est indéniable », opine Camilleri. « Mais nous sommes sincères dans notre démarche. Et il nous tient à coeur de bien faire les choses. On arrive à chaque fois avec un vrai projet de fond, qui s’inscrit dans le temps. On n’est pas du tout dans une forme d’opportunisme par rapport à une urgence climatique. Je me prends d’ailleurs parfois à rêver que les ados comme Greta qui manifestent aujourd’hui ont peut-être grandi depuis dix ans avec des films Disneynature et que, quelque part, ça a participé de leur prise de conscience. »
Je me prends parfois à rêver que les ados comme Greta qui manifestent aujourd’hui ont peut-être grandi avec des films Disneynature et que ça a participé de leur prise de conscience.
Convaincu du pouvoir des images, Jean-François Camilleri veut continuer à croire au cinéma comme vecteur de changement -si pas du monde, en tout cas des mentalités. Mais il le fait bien sûr dans un esprit très Disney. Gentil et bienveillant, donc. « Il s’agit de sensibiliser sans dénoncer. Nous sommes engagés mais pas militants. Avec Disneynature, on n’est pas dans l’alarmisme, ni la culpabilisation ou le côté donneur de leçons. Notre démarche, c’est de faire découvrir et, on l’espère, de faire aimer la nature. Parce qu’on ne protège que ce que l’on aime. En ce sens, nous nous en tenons à ce que nous savons faire de mieux. À savoir, raconter des histoires. »
Des hommes et des bêtes
Refusant le catastrophisme et la sinistrose, ces histoires s’accompagnent donc d’un discours positif légitimé par une ligne éditoriale de la beauté complètement assumée. Quitte à parfois édulcorer certaines réalités… « Oui mais on communique quand même sur les problèmes », reprend Jean-François Camilleri. « Dans Blue, on dit que le corail est en danger. Mais l’accent n’est pas mis là-dessus, c’est un fait. Maintenant, quand, à propos de Félins, on nous reproche d’édulcorer la violence des fauves, je ne suis pas d’accord. Ce n’est pas notre identité d’aller montrer une antilope qui se fait déchiqueter par un guépard. Nous, on va montrer la chasse, cette poursuite terrible, mais une fois qu’il lui a fait le baiser de la mort, on en reste là. A-t-on vraiment besoin d’aller plus loin? Le message est passé. On comprend que la nature peut parfois être violente et cruelle. »
Le slogan de Disneynature? « La nature invente les plus belles histoires. » Mais ces histoires restent racontées par des hommes, et le label a plus d’une fois essuyé des critiques sévères quant à sa propension à anthropomorphiser à l’excès ses récits. « OK, oui, il y a peut-être des moments où on a été trop loin dans l’anthropomorphisme », reconnaît Camilleri. « Mais n’oublions quand même pas que, ces dernières années, énormément d’études scientifiques ont prouvé que les animaux sont doués de sentiments, beaucoup plus que ce qu’on a toujours cru. Culturellement, il faut savoir que le public américain et le public européen sont très différents sur cette question-là. Dans nos films, la voix narrative est beaucoup plus anthropomorphique aux États-Unis que celle qu’on utilise en France ou dans le Benelux. Si on prend l’exemple de Blue, quand le bébé dauphin finit par retrouver sa mère, je n’accepterais jamais qu’on dise: « Il est fou de joie, sa maman lui manquait tellement. » On n’en sait rien. On se contente de constater que le petit dauphin s’est éloigné et que, clairement, sa mère l’a cherché jusqu’à ce qu’ils se retrouvent. Il faut garder une distinction nette: Le Roi Lion c’est une histoire inventée par l’homme, Félins c’est une histoire inventée par la nature. Donc on ne peut pas prêter des sentiments sucés de notre pouce à la maman guépard. Ceci étant dit, quand cette dernière réalise au réveil que deux de ses cinq petits ont été bouffés par des hyènes durant la nuit et qu’on l’entend pousser son fameux cri, identifié par les scientifiques eux-mêmes comme un cri de désespoir, il ne serait pas aberrant non plus de lui prêter une émotion de pure détresse. »
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