Thierry Fiorilli
C’est beau comme le vieil olivier d’Ivanovi? (chronique)
On dit qu’il fait 12,5 mètres de haut, 11 d’envergure et 4 de tour de taille, qu’il donne toujours des olives et que, sous ses branches, une brouille familiale ou conjugale s’éteint d’office.
Ce n’est pas Old Tjikko, dans le nord de la Suède, qui serait le plus vieil arbre au monde: 9 500 ans. Ce sont les racines de cet épicéa qui lui valent ce titre, même si certains l’attribuent plutôt à Pando, un ensemble de 47 000 peupliers de l’Utah, aux Etats-Unis, reliés à un même système racinaire âgé de 80 000 ans. Et si on élargit aux organismes vivant sous l’eau, la médaille reviendrait à une prairie de posidonies, au large de Formentera, la plus petite île des Baléares: entre 80 000 et 200 000 ans.
Ce n’est pas Mathusalem, un pin de Bristlecone, en Californie, avec son tronc d’origine et ses 4 850 ans. Et ce n’est pas l’olivier le plus âgé de la planète: Voúves et Kavousi, en Crète, Al-Walaja, en Cisjordanie, Bechealeh, au Liban, Echraf, en Tunisie, Urla, en Turquie, ou Santu Baltòlu di Karana, en Sardaigne, en ont de plus anciens, nés il y a entre 2 000 et 4 000 ans. Et la Catalogne, Malte, la Corse, Palerme, Roquebrune-Cap-Martin et Pedras d’el Rei (Portugal), entre autres, possèdent aussi des spécimens datant d’avant lui. L’île d’Eubée, en Grèce, avait le sien jusqu’à cet été, 2 500 ans au compteur, avant que le feu lui règle son compte.
En plus de 2 000 ans, il en a vu de belles, oeuvres des u0026#xE9;lu0026#xE9;ments comme de l’homme.
Mais Velja Maslina, à Ivanovic, près de Budva, au Monténégro, vaut le coup. Comme son pote Stara Maslina, de Mirovica, près de Bar, à une quarantaine de kilomètres au sud, il aurait plus de 2 000 ans. Il faut un peu grimper, sur un sentier pierreux, pour le rencontrer, au milieu d’un petit champ, surélevé, entouré de plein d’autres de ses semblables, mais beaucoup plus jeunes et un peu distants, par déférence, ou parce qu’il a peut-être mauvais caractère, ou parce qu’ils sont dégoûtés, ou parce que c’est impossible de grandir près d’un héros, qu’est-ce qu’on peut en savoir. Il y a trois bancs aussi, mais il manque une planche à l’un, elle est par terre, déjà. L’ancêtre aussi a perdu des bouts de branches. Normal: il en a vu de belles, oeuvres des éléments comme de l’homme. Tremblements de terre et ouragans, canicules et sibéries, épidémies et famines, guerres et occupations (illyrienne, romaine, germanique, ottomane, vénitienne, serbe, autrichienne, italienne, allemande), dictatures et démocraties…
A force, il a une peau d’éléphant, percée d’orifices. On dirait des gargouilles, ou des fantômes, ou des gens qui hurlent. Mais il a des pans tous lisses, et d’autres avec superpositions d’écorce. Et, le long de son corps, comme des bras, emmêlés, qui implorent. On peut se tenir debout, dans une anfractuosité du tronc, comme à l’entrée d’une caverne. On dit qu’il fait 12,5 mètres de haut, 11 d’envergure et 4 de tour de taille, qu’il donne toujours des olives et que, sous ses branches, une brouille familiale ou conjugale s’éteint d’office. Il est tout tordu mais vivant, tout marqué mais sur pied. Magnifique. On est seul, face à lui, contre lui, sur lui. A le toucher. Le renifler. Escalader ses racines. L’ enlacer. S’incliner. Et espérer qu’il nous transmette un peu de sa dignité. De son élégance. Et de sa sagesse.
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