Incendies en Gironde : «On a cru qu’on n’en viendrait pas à bout»
Il aura fallu des renforts venus de toute la France pour parvenir à contenir les deux incendies qui se sont déclarés en Gironde. En cause, une accumulation de circonstances défavorables mais aussi un manque de moyens matériels.
« Le monstre.» Voilà comment beaucoup de pompiers déployés en Gironde ont surnommé le feu qui a ravagé la forêt de Landiras, située au sud-est de la capitale régionale, Bordeaux. Si l’incendie était contenu en milieu de semaine, il semblait ne pas avoir dit son dernier mot, et des reprises de feu menaçaient encore et toujours.
Ici comme sur le théâtre du deuxième brasier qui a sévi sur le bassin d’Arcachon, à La Teste-de-Buch à une centaine de kilomètres de là, le décor à l’intérieur des périmètres bouclés par les forces de police est apocalyptique. Arbres pluricentenaires calcinés, faune locale bouleversée, animaux sauvages errants ou morts, villages déserts… Saturant le paysage, des colonnes de fumée s’échappent tout droit des entrailles de la Terre, stigmates encore visibles de la fournaise qui a réduit en cendres tout un patrimoine naturel. Au plus fort de la crise, les images de flammes d’une trentaine de mètres de hauteur, venues lécher le rivage à l’extrémité de la dune du Pilat, ont fait le tour du monde.
C’est notre devoir. Les vrais héros sont tous les civils qui nous ont aidés.
Au total, avec ces deux incendies, ce sont près de 20 600 hectares de végétation qui ont brûlé en quelques jours, soit plus de deux fois la superficie de Paris. Une quinzaine de jours après le début du sinistre, une partie des 36 000 habitants évacués de leur domicile n’avaient toujours pas regagné leur domicile.
Une solidarité exceptionnelle
Près de Landiras, assis le long d’un mur de la salle polyvalente de Louchats, un groupe de pompiers est au repos. Après dix jours d’hostilités, la situation vient tout juste de tourner à leur avantage. «Au plus fort de l’incendie, on a cru qu’on n’en viendrait jamais à bout. On en a parlé entre nous, personne n’avait jamais vu ça, même les plus anciens», lâche l’un d’entre eux, éreinté.
A ses côtés, Lionel Pudal, 48 ans, a les traits tirés. L’homme, originaire de Saint-Symphorien, un village situé à quelques kilomètres de là, n’est pas du genre à se plaindre. Sur site depuis les premières heures du feu – qui a sévi sur son périmètre –, il confesse que la bataille a été «épuisante». «On arrive toujours à venir à bout d’un incendie. Mais là, ce fut très compliqué, il a fallu des renforts nationaux pour que nous puissions le contenir, la Défense des forêts contre les incendies, la sécurité civile, le soutien aérien…» Une union sacrée où tous ceux qui pouvaient apporter leur aide l’ont fait: ce fut le cas de nombreux agriculteurs qui sont venus avec leurs engins au plus près du brasier afin de ravitailler les pompiers en eau, et d’irriguer eux-mêmes les lisières. «Sans leur courage, on n’en serait pas là. Sans compter les habitants qui nous ont apporté des tonnes de vivres afin que nous tenions le coup», assure Lionel Pudal.
A quelques kilomètres de là, une fumée âcre continue de saisir les voies respiratoires. Les immatriculations des véhicules de secours ne laissent pas la place au doute: beaucoup ont fait plusieurs centaines de kilomètres pour venir prêter main-forte à leurs collègues. Gregory Lalaque, pompier girondin de 39 ans, n’a, quant à lui, pu passer que quelques journées sur le terrain. Affectés à la banlieue bordelaise, lui et ses collègues ont dû continuer leurs missions sur leur secteur d’attache, assistant à distance et parfois de manière impuissante à la bataille menée à leurs portes: «Evidemment, c’est frustrant. Nous sommes pompiers, et combattre le feu, surtout quand il est de cette importance, c’est notre vocation», commente-t-il.
Face à la très forte demande dans les rangs des sapeurs-pompiers girondins, les officiers expliquent avoir été contraints d’établir des roulements, afin de conserver une équité entre les agents et de permettre au plus grand nombre d’aider leurs collègues.
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Manque de soutiens aériens pour les incendies
«Nous avons fait face à un véritable scénario catastrophe: des températures caniculaires, des vents qui n’arrêtaient pas changer de direction, des sautes de feu et une hydrométrie très basse. Tout cela cumulé a créé les conditions d’une perte totale de contrôle», souligne Gregory Lalaque, qui y voit «les conséquences claires du changement climatique». Ce dernier gardera longtemps en mémoire une nuit entière de bataille acharnée afin de contenir le feu d’un côté de la départementale qui bordait la dune du Pilat. En vain.
Si les pompiers se montrent peu prolixes sur le manque de moyens auquel ils ont dû faire face, l’affaire a cependant pris un tournant très politique, obligeant le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à s’exprimer publiquement. Car, dans la bataille, le nombre très limité de soutiens aériens semble avoir retardé le contrôle des deux feux. «Comment est-il possible que le sud-ouest de la France, qui possède un massif forestier énorme, n’ait pas de base de canadairs? Le changement climatique est une réalité et il n’y a aucune anticipation», enrage un pompier, sous couvert d’anonymat.
Pour autant, si seulement une poignée de maisons ont été détruites durant les deux incendies et qu’aucune victime n’est à déplorer – presque miraculeusement –, les autorités ne crient pas victoire. Le sous-préfet de Langon, Vincent Ferrier, a annoncé que ces zones resteront à risque «au moins jusqu’à la fin du mois d’août».
A la lisière de ces incendies, les pompiers continuent d’ailleurs de traquer les fumerolles, des émanations de gaz échappées de la terre brûlée qui pourraient susciter de nouveaux départs de feu. Une mission compliquée par la tourbe, une matière organique issue de la décomposition des végétaux, omniprésente sur le territoire, qui permet à l’incendie de se revitaliser plusieurs dizaines de centimètres sous terre, sans aucune fumée apparente. «Normalement, nous traitons les fumerolles à l’intérieur des zones calcinées. Mais là, la surface est trop importante, alors nous nous concentrons sur les lisières, afin que le feu ne se propage pas plus loin. Le reste du travail sera fait par la pluie, si elle finit par arriver», espère Gregory Lalaque.
En attendant, les marques de sympathie affluent dans les casernes girondines. Une gratitude qui, si elle touche les sapeurs-pompiers, «n’est pas justifiée». «C’est notre devoir. Les vrais héros sont tous les civils qui nous ont aidés», conclut Lionel Pudal.
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