Grèce: après les catastrophes naturelles, le spectre des pénuries alimentaires
Après les catastrophes naturelles de l’été en Grèce, les craintes de l’hiver: les récoltes seront-elles à la hauteur des années précédentes?
C’est un problème total!» Le secrétaire général du ministère grec de l’Agriculture, Giorgos Stratakos, va droit au but quand il évoque les effets de l’été 2023, au cours duquel les catastrophes se sont enchaînées en Grèce. D’abord, les incendies ont ravagé les alentours d’Alexandroupoli, capitale de la région agricole de l’Evros, au nord-est du pays, les îles de Rhodes et de Corfou, ou encore la zone du mont Parnès, véritable poumon vert d’Athènes. Ensuite, des pluies torrentielles se sont déversées sur la plaine de Thessalie, grenier alimentaire du pays. L’heure est aux premiers bilans.
Dans la région de l’Evros, 93 511 hectares ont brûlé, dont près de la moitié de forêts. Quelque 8 114 hectares de terres agricoles (soit 55,6% du total de la région) sont carbonisés. «Les conséquences sont immenses pour la biodiversité», analyse Pavlos Georgiadis, ethnobotaniste originaire de la vallée, qui enseigne à l’université Hohenheim, en Allemagne.
Des effets à long terme en Grèce
Un point de vue partagé par la vigneronne Kiriaki Chatzisavvas, 37 ans. «C’était un petit paradis ici», confie-t-elle en montrant ses vignes plantées à flanc de coteaux. Puis traversée par l’émotion, elle lâche: «C’est une catastrophe.» Les pieds de vigne sont calcinés, les grappes de raisin desséchées, le sol jonché de cendres. Sur les sept hectares du domaine Chatzisavvas plâne une odeur âcre. «Si je replante, il faudra cinq à dix ans pour retrouver une production d’une telle qualité», estime celle qui se demande si elle reprendra son activité.
Biologiste de formation, elle avait pourtant tout quitté pour gérer ce domaine: «Mon mot clé est biodiversité, mon approche holistique. L’intervention humaine était faible. J’avais même mené une expérience avec un apiculteur qui avait entreposé des ruches autour des vignes. C’était incroyable de voir à quel point la nature trouvait son propre équilibre.» Il est aujourd’hui réduit à néant à la suite des incendies que l’homme n’a pas maîtrisés à temps. Sur leur route, les flammes ont tout emporté: les vignes, les forêts, les terres agricoles, les champs d’oliviers.
«De quoi mes abeilles se nourriront-elles?», s’interroge Michalis, 31 ans, qui possède deux cents ruches. Il les a sauvées. «Mais désormais, il est impossible de continuer ici. C’est un désastre qui aura des effets à long terme» prévient l’homme, qui se demande comment il pourra continuer à vivre. Car, dit-il, la production de miel était «la source essentielle de mes revenus. Je les ai perdus. Le prix du miel va exploser, mais pas pour moi!»
«Le sol, l’air, l’eau, la biodiversité: tout est affecté par ces feux», déroule Pavlos Georgiadis. Il insiste sur le risque d’un cercle vicieux: «Des milliers d’oliviers ont brûlé. Des terres arables sont détruites. Des animaux sont morts dans les flammes. Les abeilles, essentielles pour la pollinisation, n’ont plus de quoi se nourrir, même quand les ruches ont été sauvées. Dans ce contexte, il y a un risque de désertification.»
Le propos surprend quand, dans le même temps, au centre du pays, la Thessalie est sous les eaux. «Avec le changement climatique, les phénomènes extrêmes sont plus fréquents», rappelle le professeur Nikitas Milopoulos, directeur du département de génie civil à l’université de Thessalie. A ses yeux, «l’Etat n’est pas prêt à affronter ces événements bien qu’il existe des solutions telles que la construction de petits barrages pour contenir les eaux, le maillage entre des ruisseaux et des rivières existant pour détourner les inondations vers des bassins versants plus petits… Malgré les recommandations européennes, par manque de volonté politique, le gouvernement ne les a pas mises en œuvre.»
Si je replante, il faudra cinq à dix ans pour retrouver une production d’une telle qualité.
Aussi, 21 villages de Thessalie ont été inondés. Nombre d’entre eux manquent toujours d’eau potable. Les productions agricoles sont détruites. Les terres sont rendues infertiles pour plusieurs années. Or, la plaine de Thessalie représente près de 15% des terres agricoles du pays, soit plus de 400 000 hectares. Elle est le grenier à blé de la Grèce. Y sont également produits 70% des betteraves sucrières, 50% des tomates «industrielles» et des principales légumineuses comme les pois, 30% du coton et de l’orge, 20% du foin nécessaire à l’élevage, une grande partie des fruits et légumes. Elle est un pilier de la production de viande, de lait et de fromages.
Aide européenne
Quelles seront, alors, les conséquences de cet été ravageur? Le directeur général de l’Union nationale des coopératives agricoles de Grèce, Moschos Korasidis, estime que «les dégâts varient selon les produits et leur période de récolte. Mais nous déplorons aussi des catastrophes du côté des produits stockés, comme les céréales. Entre offre de denrées alimentaires sur le marché considérablement réduit et graves problèmes dus à la spéculation, les conditions sont créées pour une augmentation des prix.» Dans un pays où, en juillet dernier, ils ont déjà augmenté de 12,3%, le directeur insiste: «La pénurie en Thessalie risque de faire grimper encore plus l’inflation des denrées alimentaires.»
La situation est si sérieuse que, le 12 septembre, le Premier ministre grec, Kyriákos Mitsotákis, s’est rendu à Strasbourg pour y rencontrer la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Il a sollicité une aide qui devrait atteindre 2,25 milliards d’euros alors que les dommages sont, pour l’instant, estimés à 2,85 milliards d’euros. Mais, prévient déjà Moschos Korasidis, «la dégradation de vastes surfaces agricoles fait peser de graves menaces sur la sécurité alimentaire locale et nationale. Les pénuries de cultures essentielles peuvent entraîner une dépendance accrue à l’égard des importations, qui aura des répercussions négatives sur la balance commerciale du pays.» Après dix ans de crise économique et financière, un nouveau spectre hante la Grèce: celui d’une dépendance alimentaire.
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