« En mai, tonte à l’arrêt »: la biodiversité à la conquête des jardins historiques
Les parcs des châteaux et résidences peuvent-ils accueillir davantage de biodiversité sans dénaturer la mise en valeur du patrimoine? C’est tout l’enjeu du projet de recherche Bio/Pat., qui tente d’instaurer un dialogue entre deux logiques parfois conflictuelles.
Non, un jardin à la française bordant un château du XVIIIe siècle ne doit pas devenir une prairie de fauche pour se conformer aux seuls critères de l’aide à la biodiversité. Faut-il pour autant le laisser aussi net de toutes parts, y compris dans des zones où un entretien moins intensif ne porterait aucun préjudice à la valorisation des lieux? Aujourd’hui, patrimoine et environnement s’opposent régulièrement dès qu’il s’agit d’adapter la gestion des nombreux parcs et jardins du pays. La Belgique est d’ailleurs une terre de châteaux: elle en compterait, dit-on, le plus grand nombre par kilomètre carré au monde. Le champ des parcs et jardins historiques ne se limite toutefois pas à cette catégorie. Le qualificatif vise aussi les domaines de maisons de plaisance, de villas, de résidences de grands industriels ou encore certains parcs publics jouant un rôle dans l’infrastructure urbaine.
Si on perpétue un entretien soutenu dans un jardin pendant des dizaines d’années, on restreint le potentiel de développement de la diversité biologique.
L’ancienneté du parc constitue l’un des principaux critères de reconnaissance . «Dans les inventaires de la plupart des pays d’Europe, un parc a longtemps dû être antérieur à la Seconde Guerre mondiale pour être considéré comme historique, retrace Nathalie de Harlez, historienne des jardins et maître-assistante à la haute école Charlemagne (HECh). Aujourd’hui, on considère globalement qu’un tel parc doit au minimum avoir trente ans afin de disposer d’un regard rétrospectif sur la qualité des aménagements, de son originalité éventuelle ou sa signification culturelle en tant que reflet de la société qui l’a vu naître.» D’autres valeurs peuvent justifier une telle reconnaissance: la notoriété de son concepteur ou de son commanditaire, sa richesse botanique, la rareté de ses composantes…
1 035 sites en Wallonie
De 1992 à 2003, Nathalie de Harlez a coordonné la réalisation d’un inventaire détaillé des parcs et jardins historiques (essentiellement privés, certains étant accessibles au public) en Wallonie. La publication des neuf volumes d’inventaires et de l’ouvrage de synthèse a abouti en 2008. Comme le montre la base de données disponible sur le site europeangardens.eu, le sud du pays en compterait ainsi plus de mille: 311 dans le Hainaut, 270 en province de Liège, 258 dans celle de Namur, 103 dans la province de Luxembourg et 93 dans le Brabant wallon. Si le travail d’inventaire est toujours en cours en Flandre, il pourrait aboutir à l’identification de presque cinq mille parcs et jardins. Aucun inventaire comparable n’a été mené en Région de Bruxelles-Capitale.
Outre leur qualité patrimoniale, les parcs et jardins historiques peuvent s’avérer précieux pour la faune et la flore, y compris pour des espèces ou variétés rares. C’est le point de départ du projet de recherche Bio/Pat., financé par la HECh avec le soutien du fonds Gestion naturelle de la Fondation roi Baudouin. Porté par Nathalie de Harlez et Grégory Mahy, professeur à la faculté Gembloux Agro-Bio Tech, il vise à concilier la gestion du patrimoine et la biodiversité. «’ allègement de certains modes d’entretien des parcs et jardins historiques peut parfois être favorable à l’accueil de la biodiversité, poursuit Nathalie de Harlez. Un jardin comprend différentes formes de nature. Si on y perpétue un entretien soutenu pendant des dizaines, voire des centaines d’années, on restreint le potentiel de développement de la diversité biologique.»
Celui-ci dépendra non seulement de la superficie du terrain, des milieux présents mais aussi mais aussi de son identité et de son histoire. Les principes de la gestion différenciée, qui consistent par exemple à combiner du gazon à des pâtures ou des prairies de fauche, se prêtent davantage à un jardin à l’anglaise qu’à un jardin français ou italien. Pour autant, ces derniers ne sont pas dépourvus d’intérêt pour la biodiversité, ni nécessairement incompatibles avec une gestion moins soutenue par endroits. «Dans un site classé comme les Jardins d’Annevoie, par exemple, il y a évidemment une limite au changement de paradigme, précise l’historienne. J’imagine mal que le grand canal soit entouré de berges avec des herbes folles. Cela empêcherait de percevoir ses lignes d’eau, qui ont toujours été conçues pour offrir un dessin extrêmement précis dans le paysage. Mais on y trouve quand même des espaces propices à des aménagements plus légers, susceptibles d’accueillir la biodiversité.»
Un effort de pédagogie
En 2021, 74 propriétaires de parcs ou jardins historiques ont répondu à l’enquête de perception de la biodiversité qui leur a été soumise dans le cadre du projet Bio/Pat. «Cela a permis de révéler les actions déjà mises en œuvre par certains afin d’en accroître le potentiel d’accueil, souligne-t-elle. La plupart sont demandeurs de conseils techniques pour favoriser concrètement la biodiversité. C’est aussi une manière de valoriser des espaces qui n’ont pas toujours bénéficié d’une gestion efficiente. Le manque d’entretien dans certains cas peut aussi être une opportunité de faire les choses différemment.»
Tout l’enjeu consiste à placer adéquatement le curseur entre patrimoine et environnement, et donc dépasser le conflit idéologique opposant les deux logiques. La prochaine phase du projet Bio/Pat. pourrait précisément consister à ajuster les modes de gestion des parcs et jardins historiques qui en font la demande, grâce à une expertise scientifique permettant de les quantifier et de confirmer le bénéfice des actions pour la biodiversité. Avec, en filigrane, un indispensable effort pédagogique pour expliquer la démarche au grand public dans les sites qui lui sont ouverts.
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