Alimentation, agriculture, beauté… Le raz-de-marée des algues
Il y a longtemps qu’on utilise leurs bienfaits sous forme de bains, de shampoings, de soupes ou de compléments alimentaires. Voilà que les algues remplacent des protéines animales, comme les œufs, le lait ou le beurre, pour la cuisine quotidienne. Et requinquent nos terres agricoles.
Dans Les Goémons, de Serge Gainsbourg, chanson écrite en 1962, qu’elles soient brunes ou rouges, c’est dessous les vagues que les algues bougent. Soixante ans plus tard, dans la vraie vie, c’est bien au-dessus qu’elles surfent. Recommandées pour leurs bienfaits sur les muscles, les os, la peau, les cheveux et la circulation sanguine, utilisées en cuisine comme légumes, condiments ou aromates pour leurs saveurs et leur richesse en fibres et nutriments, voilà qu’elles remplacent, dans l’alimentation quotidienne, les protéines animales, suscitant l’intérêt marqué du secteur agroalimentaire mondial, des investisseurs et des décideurs tant sont énormes les débouchés et les enjeux en termes économiques, écologiques et démographiques.
Il y a un besoin urgent de plus de types et de quantités de produits à base d’algues.
L’un des acteurs majeurs et pionniers de ce créneau est ancré à Malakoff, en Ile-de-France. Créée en 2013, Algama a déposé plus de trente brevets protégeant ses procédés menant à des produits, liquides ou en poudre, 100% végétaux puisque tous à base d’algues, qui se substituent aux œufs, au lait, au beurre, au thon, au saumon, tout en en maintenant et le goût et la consistance. Sont déjà commercialisés, en Europe et outre-Atlantique, à des prix abordables, une mayonnaise, un lait, des biscuits, des petits pains, une boisson antioxydante…
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Une véritable success story: ouverture d’un bureau aux Etats-Unis, plus de dix millions d’euros levés auprès d’investisseurs internationaux (en Belgique, Newtree Impact, dont le fonds d’investissement liégeois Noshaq, ex-Meusinvest, est actionnaire, a entamé des négociations), subvention de deux millions de la Commission européenne dans le cadre de Feamp 2020 Blue Economy Window – soutien à de nouveaux produits, services et modèles économiques pour développer une économie bleue européenne durable et innovante –, passage de 25 salariés à cinquante d’ici à 2023…
D’autres s’y sont mis: on trouve désormais, en grande surface, dans des magasins spécialisés, sur les marchés bio ou en ligne, des brassées de compléments ou produits alimentaires de différentes marques à base d’algues (particulièrement la spiruline et la chlorelle): barres de céréales, crackers, nuggets, pâtes, additifs, épaississants, émulsifiants…
Une mine d’or pour la santé et l’environnement
C’est que, micro ou macro, rouges, vertes ou brunes, de mer, de rivière ou de lac, elles fournissent à l’organisme protéines, calcium, vitamines B-12, fer, iode, magnésium, oligoéléments, oméga-3… Et, se reproduisant à l’infini, absorbant et recyclant la moitié du CO2 sur la planète, «elles consomment beaucoup moins d’énergie et d’eau que les élevages animaliers, résumait l’an passé Alvyn Severien, l’un des patrons d’ Algama, dans Les Echos, et occupent bien moins de terres arables». Son entreprise estime qu’en 2026, sa production d’ingrédients à base de microalgues «permettra d’éviter le rejet de 800 000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère, de capturer 1 300 tonnes de carbone et d’économiser quarante millions de mètres cubes d’eau par rapport aux protéines issues de l’élevage ou de l’agriculture».
Et chez nous? Ruée sur cet or-là? Oui et non. Ainsi, fin avril, l’Institut flamand pour la recherche technologique (Vito) a conclu plusieurs années de recherches par la conviction que «les microalgues constituent une alternative durable aux combustibles fossiles». Pour Vito, qui relève qu’actuellement 90% des produits chimiques organiques sont d’origine fossile et que 70% des protéines sont importées, «il y a un besoin urgent de plus de types et de quantités de produits à base d’algues». Comment? En rendant «l’ensemble de la chaîne de processus viable dans notre région: de la croissance des algues, en passant par la récolte, la réutilisation et le traitement de la masse jusqu’à de nouveaux produits finis commercialisables».
Valérie Cavillot, conseillère en innovation technologique dans l’agroalimentaire pour ID2Food, l’un des incubateurs de l’asbl Cap Innove (ULB), constate, elle, que «les microalgues sont très peu utilisées en Belgique en tant qu’ingrédients alimentaires. Certains essaient de les produire dans des fermenteurs, mais c’est complexe. Vu le coût de production, ces algues seront plutôt destinées au secteur des compléments alimentaires.» La production d’algues ne fait en tout cas pas partie du plan stratégique wallon Filière protéines végétales, adopté en 2019. Mais il existe des initiatives ici et là, notamment parmi les agriculteurs, dont plusieurs se regroupent pour importer des algues. Comme à Faurœulx (Estinnes), dans le Hainaut, où on les fait venir du Finistère, en Bretagne, pour les utiliser comme engrais et fertilisant et ainsi éviter les effets sur les terres de la production intensive (donc de l’usage d’intrants chimiques) et du dérèglement climatique: diminution du taux de matière organique, vulnérabilité à l’érosion, réduction de l’infiltration et du stockage de l’eau, perturbation du développement racinaire et de l’activité des vers, dégradation de l’oxygénation et de la minéralisation. Bref, une agriculture responsable, durable et biostimulée.
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