Série | Ces produits oubliés: la griotte de Schaerbeek
La culture de cette espèce particulière permet de relancer la production des krieks, ces gueuzes aux levures naturelles rares, auxquelles sont ajoutées des cerises.
Ce sont de tout petits fruits, rouges et sucrés. Les soldats du redoutable Philippe II d’Espagne, maître des terres belges au XVIe siècle, les ont apportés jusqu’ici. Très vite, la griotte s’est trouvée bien sous nos latitudes. Un tableau du XVIIIe siècle ne représente-t-il pas un transport de ces cerises à dos d’âne, l’animal fétiche de Schaerbeek? La commune bruxelloise s’est rapidement spécialisée dans sa culture, essentiellement pour en tirer une kriek, une bière lambic à laquelle sont ajoutées des griottes. Une spécialisation partagée avec le Pajottenland, au sud-ouest de Bruxelles, la vallée de la Senne étant le seul lieu où l’on trouve les levures naturelles indispensables à la fabrication de la gueuze: brettanomyces bruxellensis et brettanomyces lambicus. Ce sont elles qui font tourner les brasseries artisanales locales, nombreuses à l’époque.
Puis vint le XXe siècle, la mondialisation, l’uniformisation des goûts, la concurrence des productions industrielles. «A l’époque, bien des productions traditionnelles locales ont été oubliées pour ces raisons, confirme Thomas Matei, historien d’art au sein du collectif des Bûûmplanters (planteurs d’arbres, en dialecte bruxellois). Seules ont survécu les espèces faciles à cultiver et à transporter et dont le goût uniforme était supposé plaire au plus grand nombre. On a perdu énormément de variétés, notamment en cerises, en pommes et en poires.» Cent ans plus tard, les esprits se réveillent, redécouvrant l’importance, le charme et la qualité nutritionnelle des productions locales. A Schaerbeek, depuis une dizaine d’années, les Bûûmplanters s’évertuent à relancer la culture des griottes locales en proposant des plants de cerisiers à tout habitant intéressé, comme aux pouvoirs publics. A ce jour, 2 154 griottiers ont été plantés dans la commune. «Nous prenons des nouvelles de ces arbres régulièrement et intervenons en cas de problème, précise Thomas Matei. Nous offrons aussi des filets à poser par-dessus pour éviter que les oiseaux ne dévorent la production.»
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Lorsque sonne l’heure de la récolte, les particuliers qui le souhaitent peuvent offrir une partie de leurs cerises pour le brassage d’une vraie kriek locale, réalisée par exemple par la brasserie schaerbeekoise de la Mule: la première du genre, depuis des dizaines d’années, a vu le jour en 2022, conçue au départ des quelques dizaines de kilos de cerises cueillies. Les particuliers participants ont bien sûr pu goûter la bière, baptisée Kriot.
Précieux ferments
Des griottes schaerbeekoises peuvent se cultiver n’importe où. Mais il n’y a que dans la vallée de la Senne et dans le Pajottenland que l’on trouve les micro-organismes – ou levures – nécessaires à la fabrication de la gueuze. Après avoir fait bouillir le froment, le houblon et l’orge, les brasseurs laissent refroidir le moût dans une cuve ouverte peu profonde. Ce sont ces levures sauvages naturellement présentes dans l’air qui transforment le moût, par fermentation spontanée. Aucune autre levure n’est ajoutée. Dans le Pajottenland, assure l’association Just Beer, 86 souches de levures sauvages distinctes ont été identifiées.
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