© Getty

Agriculture: sept solutions pour freiner l’utilisation des pesticides

Estelle Spoto Journaliste

Les pesticides, même parfois ceux qui sont interdits depuis les années 1970, sont bien présents dans le corps des Wallons, provoquant des effets néfastes pour la santé. Mais comment s’en passer ? Pour rester à flot financièrement, les agriculteurs peuvent difficilement prendre le risque de diminuer leurs rendements et donc de faire une croix sur les pesticides. Des solutions existent toutefois pour en freiner fortement l’utilisation, à défaut de les supprimer.

Pesticides: tous contaminés, tous concernés. Le premier biomonitoring humain wallon, dévoilé en octobre dernier, a révélé que des traces de métaux et de pesticides, parfois interdits depuis plus de 40 ans, étaient encore présents dans le corps des Wallons, comme Le Vif l’analysait lundi.Mais, au-delà des constats, quelles solutions peuvent être mises en place ?

A l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture est entrée dans un système de production de plus en plus intensif dont les pesticides et les engrais de synthèse ont assuré les rendements. Lorsqu’on s’est progressivement rendu compte des effets nocifs de ces produits chimiques sur la santé humaine, l’environnement et le réchauffement climatique, avec des sols morts qui ne séquestrent plus de carbone, il était trop tard. Une agriculture plus durable est pourtant possible si l’on applique ces sept leviers.

1. Un sol à nouveau vivant

Le sol, ce « grand continent inconnu », comme l’appellent Claude et Lydia Bourguignon, spécialistes de l’analyse des sols et des terroirs, héberge 80 % de la vie de la planète. Vers de terre bien sûr (en moyenne une à deux tonnes à l’hectare dans un sol sain), mais aussi collemboles, acariens, diplopodes, champignons… L’agriculture intensive a pratiquement détruit cette vie invisible. On aurait perdu à peu près 90 % de l’activité biologique de nos sols cultivés. Sur ces sols « fertilisés mais plus fertiles », le rendement diminue. Les fruits et légumes qui y sont cultivés perdent de leur résistance aux maladies et de leurs qualités nutritives. Entre 1950 et 1999, les pommes de terre ont perdu 100 % de leur teneur en vitamine A, et 50 % de leur teneur en vitamine C selon les Bourguigon. Des producteurs de pesticides comme Bayer et BASF se sont d’ailleurs rués sur le nouveau marché généré par ces nouvelles carences : les compléments alimentaires.

Pour inverser la tendance, il faut d’abord se sortir d’un mythe biblique : le labour, « instrument de destruction massive des sols », dixit les Bourguignon. « Le non-labour, c’est la clé, affirme Etienne Allard, agriculteur à Petit-Enghien. On n’a plus labouré depuis plus de vingt ans. Passer au non-labour, c’était d’abord par souci de simplification du travail : un passage en moins dans les champs, moins de mazout consommé. Puis on s’est rendu compte que c’était bon aussi pour le reste, avec un sol plus vivant, moins d’érosion… »

Autre pilier des sols vivants : la couverture permanente. En agriculture de conservation des sols, elle se constitue en partie de la matière organique non récoltée (tiges, feuillages, racines) qui au lieu d’être enfouie au fond des sillons par le labour reste en surface. L’interculture permet aussi de garder les sols couverts. C’est une obligation légale en Wallonie : une  » culture intermédiaire piège à nitrate  » (Cipan) doit être implantée avant le 15 septembre et maintenue jusqu’au 15 novembre, pour limiter la pollution des eaux par les nitrates.

« Entre une céréale qu’on récolte au mois d’août et une culture qu’on plantera au printemps suivant, on sème des couverts multiespèces, en général des légumineuses, des tournesols, des phacélies…, poursuit Etienne Allard. C’est une culture qu’on ne récolte pas et pour beaucoup d’agriculteurs, c’est une contrainte. Si la moisson est tardive, des dérogations autorisent le semis des Cipan jusqu’à fin octobre. C’est absurde : les plantes n’auront aucun enracinement avant l’hiver et ne piégeront pas les nitrates. Nous, à la fin août, tous nos engrais verts sont semés. Les tournesols ont fleuri, attirant les insectes. On y retrouve une vraie biodiversité. »

2. Plantes compagnes et lutte biologique

La technique ? Une espèce est plantée pour attirer les insectes ravageurs, en leur servant de plat de résistance, ou bien en attirant leurs prédateurs. C’est « la lutte biologique ». Etienne Allard a semé de la féverole en même temps que son colza – une culture qui exige beaucoup d’insecticide. « Les coccinelles adorent la féverole et elles sont prêtes quand les pucerons arrivent, souligne-t-il. En plus, c’est une légumineuse, donc elle restituera de l’azote pour mon colza, tout en occupant le sol au maximum. »

Certaines sociétés se sont spécialisées dans la production massive d’insectes prédateurs de nuisibles à lâcher dans les cultures. « C’est une aberration, estime Simon Dierickx de Greenotec, une asbl fondée par des agriculteurs wallons désireux de changer leurs pratiques. Autant favoriser les coccinelles présentes naturellement dans l’environnement par des bandes enherbées, des couverts, en évitant le travail du sol. De toute façon, si l’environnement n’est pas favorable, on peut mettre autant d’insectes qu’on veut, ils mourront quand même. »

3. Des espèces et des variétés adaptées

« On a fait croire aux agriculteurs qu’on pourrait faire pousser n’importe quoi n’importe où « , relevait Lydia Bourguignon dans une conférence en 2015 à Louvain-la-Neuve. Enfin, pas tout à fait n’importe quoi, plutôt les espèces et les variétés de plantes commercialisées par les sociétés productrices de pesticides et d’engrais. On vend les semences et le programme de pulvérisation qui va avec. Conséquence : un effondrement du nombre de variétés cultivées, suivi logiquement par un appauvrissement de la biodiversité. En France : 90 % des variétés de pommes cultivées sont originaires des Etats-Unis ou d’Australie, pas adaptées au sol français, et qu’il faut donc stimuler chimiquement. La Golden Delicious, reine des étals, nécessite trente traitements pendant sa culture.

4. Développer le bio

« On définit souvent le bio de manière réductrice, par une définition négative : une filière où on n’utilise pas de pesticides chimiques. Mais le bio c’est avant tout une agriculture durable, basée sur les cycles naturels, avec des techniques adaptées, en respectant le bien-être animal », précise Blaise Hommelen, fondateur de Certisys, pionnier de la certification bio en Belgique. Il faut également préciser que bio n’équivaut pas à une absence totale d’utilisation de pesticides, mais qu’il s’agit alors de substances d’origine naturelle végétale ou animale, ou des substances simples, comme le soufre et le cuivre, dans une utilisation réglementée par l’Union européenne.

Les ambitions sont grandes en Région wallonne pour le bio. Alors que le Pacte vert européen prévoit d’arriver en 2030 à 25 % des surfaces agricoles cultivées en bio, le nouveau Plan Bio wallon présenté en juin dernier vise les 30 %. En 2020, on était à 12 %.

5. Réensauvager

Pour l’ethnobotaniste François Couplan, les origines de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons avec les pesticides de synthèse remontent à 8 000 ans, quand l’homme a commencé à domestiquer son environnement, perdant au fur et à mesure les connaissances qui lui permettaient de se nourrir de chasse et surtout (à 80 %) de cueillette. Avec une coupure plus nette au Moyen Age, quand la noblesse, puis la bourgeoisie, s’est démarquée du reste de la population par la consommation de produits exotiques, qui nécessitent une culture attentive : haricots verts, pomme de terre et tomates, venus du Nouveau Monde, petits pois et épinards originaires d’Asie… La cueillette des plantes spontanées, les « sauvages », est devenue honteuse, réservée aux pauvres. Aujourd’hui même la traditionnelle cueillette des pissenlits ne se pratique quasiment plus.

La voie à suivre selon François Couplan ? « Observer les plantes qui poussent partout et comprendre ce qu’elles ont à nous offrir, dit l’auteur des récents Le Régal végétal (éd.Sang de la Terre) et Ce que les plantes ont à nous dire (éd. Les liens qui libèrent). Ce n’est pas remettre en cause son alimentation, plutôt son mode de vie, sa vision du monde. Tant qu’on considère les plantes sauvages comme des mauvaises herbes qui ne nous servent à rien et qu’il faut détruire, que toutes les bestioles qui bouffent nos tomates et pommes de terre sont des nuisibles à exterminer, on continue à tourner en rond, y compris avec l’agriculture biologique, la permaculture. » Ce que François Couplan reproche à ces dernières, pourtant plus durables ? Leur hypocrisie, puisqu’il s’agit, au-delà du respect avancé, de plier la nature à sa volonté pour produire de la nourriture.

S’il semble utopique de réensauvager les surfaces agricoles pour cueillir à nouveau, la connaissance des apports des plantes sauvages pourrait ouvrir de nouvelles pratiques. « Les glands, par exemple, sont une source de glucides phénoménale, et bien plus faciles à cultiver que le blé, note François Couplan. On pourrait devenir des glandiculteurs, sinon des glandeurs. »

6. Manger autrement

Par le choix des aliments achetés (produits bio, locaux, de saison), mais aussi en acceptant de payer le prix juste d’une alimentation durable. « Parce qu’il ne faut pas se leurrer, si on veut diminuer les produits phytosanitaires, on diminuera les rendements », affirme Simon Dierickx, de Greenotec. En bio, on est entre 40 et 60 % des rendement de l’agriculture conventionnelle. » Mais l’augmentation du budget consacré à l’alimentation pourrait être compensée par la diminution du gaspillage, aujourd’hui dantesque. « On gaspille 105 kilos de nourriture par personne et par an », soulignent Claude et Lydia Bourguignon.

7. L’indispensable soutien politique

La transition du secteur agricole vers des pratiques plus durables nécessitera le soutien du monde politique, avec des incitants et des efforts économiques à la mesure des enjeux. Le Plan Bio wallon prévoit un investissement de trente millions d’euros d’ici à 2030. Et pour les efforts de transition dans l’agriculture conventionnelle ? « Actuellement, qu’on soit en non-labour avec une réduction forte des fongicides ou dans un système très intensif, on vend les produits exactement au même prix, constate Simon Dierickx. Une solution serait d’internaliser au prix de vente des produits les effets positifs et négatifs des pratiques agricoles. Mais ce surcoût devrait aller dans la poche des agriculteurs et des cellules qui les encadrent, pas dans la poche des industriels. »

Lire aussi: Fini les promesses : 10 leviers pour agir concrètement en faveur du climat

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire