280 épaves en mer du Nord: une richesse historique, un désastre écologique
Des dizaines d’épaves gisent sur le sable couvrant le fond de notre littoral. Les deux tiers datent des Première et Seconde Guerres mondiales. S’il s’agit d’une bonne nouvelle pour le patrimoine, ça l’est un peu moins pour l’environnement…
La mer du Nord est un cimetière. Sur la carte marine belge, quelque 280 épaves sont répertoriées, principalement situées à proximité des ports d’Ostende et de Zeebruges. Parmi elles, onze sont officiellement mentionnées comme épaves historiques. Jeter l’ancre, tout comme pratiquer la pêche à la traîne ou le dragage sont interdits à leur proximité. « Et pour plonger sur l’une de ces épaves, il faut obtenir l’accord du gouverneur de la province de Flandre-Occidentale, en spécifiant l’heure de la plongée et le nombre de participants. Ces épaves historiques sont monitorées par radar, lequel repère toute personne non annoncée », explique Tomas Termote, archéologue sous-marin.
Lorsqu’on découvre une assiette, un canon ou encore un bout d’aile d’avion, on est tenu d’avertir le gouverneur.
Depuis février 2021, une nouvelle loi est entrée en vigueur. Le ministre en charge de la mer du Nord, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), a ainsi voulu considérer automatiquement comme patrimoine « tout ce qui se trouve sous l’eau depuis plus d’un siècle et qui présente un caractère culturel, historique ou archéologique ». En font partie les cinquante-cinq épaves de plus de 100 ans, minutieusement étudiées et cartographiées en 2020 par les scientifiques du Flanders Marine Institute et d’Immovable Heritage .
Un processus inexorable
Certains s’interrogent sur la pertinence de cette législation supplémentaire – et de sa mise en application entraînant des limitations d’accès dans la zone – alors même que la Belgique n’a qu’une toute petite superficie maritime et qu’elle était déjà dotée d’un bel arsenal juridique protégeant les épaves. Le 8 août 2013, déjà, elle devenait le quarante-cinquième pays à ratifier la convention Unesco de 2001 sur la protection du patrimoine culturel subaquatique. De ce fait, la protection des vestiges sous-marins résultant des batailles (notamment) navales de la Grande Guerre et gisant dans nos eaux territoriales était garantie. « Chaque Etat, partie à la Convention, est tenu de protéger les épaves âgées de plus de 100 ans. Bien entendu, chacun peut prévoir, par le biais de son droit national, une protection plus large. Par exemple, celle de sites plus récents », précise-t-on à l’Unesco.
L’or et l’argent de la Compagnie des Indes
Le mauvais temps avait contraint le capitaine Cornelis van der Horst à postposer le départ au 3 février 1735. A 14 heures, ‘t Vliegend Hert, trois-mâts de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, larguait les amarres à Fort Rammekens, en Zélande, en même temps que le Anna Catharina. Cap sur Batavia, en Indonésie. Mais le voyage s’est arrêté prématurément sur un banc de sable en mer du Nord. Après une lutte acharnée, le capitaine est parvenu à libérer ‘t Vliegend Hert. Partant à la dérive, les voiles déchirées, prenant l’eau, le bateau de 43,7 mètres de long pour 10,9 de large, a fini par s’immobiliser dans la zone dite Schoneveld où il coula à la verticale à 23 h 30, après un dernier appel de détresse. Emportant avec lui la vie des 167 membres d’équipage, des 83 soldats et des six passagers à son bord. Son épave, constituée de restes dispersés sur le fond marin et recouverts de sédiments – notamment des milliers de pièces d’or et d’argent, et des bouteilles de vin -, a été découverte en 1981 dans les eaux territoriales belges. Elle fait partie des onze épaves historiques de la mer du Nord. « Le Anna Catharina a également fait naufrage en 1735, à un endroit encore non identifié entre Zeebruges et Breskens (Pays-Bas). Trois caisses d’argent dormiraient toujours à bord », confie encore Tomas Termote.
Depuis lors, il est interdit de prélever quoi que ce soit sur les épaves gisant en mer du Nord. Qu’importent leur âge et leur classification en épave historique ou non. « Lorsque l’on fait une découverte sous-marine, une assiette, un canon ou encore un bout d’aile d’avion, on est tenu d’avertir le gouverneur. C’est lui qui décide si le vestige doit rester in situ ou s’il doit être prélevé pour compléter des collections muséales ou servir à la recherche scientifique. »
Les lois des hommes ne peuvent cependant rien contre le processus inexorable de destruction naturelle des épaves. « D’ici à une cinquantaine d’années, beaucoup auront disparu sous l’effet des tempêtes, des courants, de l’électrolyse », détaille l’archéologue sous-marin.
Les épaves en mer du Nord, ces désastres écologiques
Mais si les épaves sont souvent riches en histoire, elles favorisent aussi l’accumulation de déchets marins, mettant en péril la biodiversité qui les entoure. Vincent Van Quickenborne et sa collègue au fédéral Zakia Khattabi (Ecolo, en charge de l’Environnement) ont annoncé ce mardi le lancement d’un nouveau programme visant à lutter contre les déchets marins, dont l’une des mesures concerne la poursuite du nettoyage des épaves.
En 2021, le nettoyage du SS Kilmore (un cargo britannique de 2 215 tonnes, coulé en mer du Nord depuis 1906) a débuté, suivant celui du Westhinder (un bateau-balise qui gît à 30 kilomètres de Nieuport depuis 1912, suite à une collision), effectué en 2019. Un total de 4,5 tonnes de déchets avait alors été repêché: 2000 kilos de fer, de chaluts et de chaînes des filets de pêche, 1000 kilos de plomb, 1500 kilos de filets de pêche et autres déchets plastiques…
Le SPF Santé publique, qui supervisait ce nettoyage, continue à surveiller les autres épaves dormant quelque part au large des 67 kilomètres de la côte belge, afin d’éviter qu’elles ne deviennent des décharges sous-marines…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici