Entre «revenge travel» et nouvelles destinations: comment la réforme des rythmes scolaires a impacté le secteur touristique
Les professionnels du tourisme sont globalement satisfaits des nouveaux rythmes scolaires, d’application depuis deux ans. L’étalement des congés permet à davantage de francophones de s’envoler à l’étranger. Pour le tourisme wallon, le bilan s’avère plus mitigé.
C’était l’un des grands points d’interrogation de la réforme des rythmes scolaires. Les professionnels du tourisme allaient-ils pâtir du décalage entre les congés francophones, flamands et germanophones? Cette nouvelle organisation allait-elle signer l’effondrement d’un secteur déjà sérieusement secoué par la crise sanitaire?
Deux ans plus tard, les craintes se sont envolées. Le sombre tableau a laissé place à un vent d’enthousiasme et de légèreté, notamment auprès des tours-opérateurs. «Le bilan est très positif, se réjouit Sébastien Crucifix, sectéraire général de l’Union professionnelle des agences de voyages (UPAV). Si cette réforme reste malheureusement incohérente pour les familles dont les enfants sont scolarisés à la fois au nord et au sud du pays, nos ventes s’en retrouvent boostées.»
Des prix concurrentiels
La désynchronisation des congés permet d’étaler la clientèle sur différentes périodes de l’année et d’ainsi éviter l’overbooking. Surtout, les deux semaines de vacances en automne et au carnaval encouragent les familles du sud du pays à voyager davantage. «Les francophones ont tendance à raccourcir leurs vacances estivales, pour s’octroyer un séjour supplémentaire à d’autres moments de l’année, note Sarah Saucin, porte-parole de Tui Belgium. Cet été, la durée d’un séjour estival est passé de 8,9 nuits à 8,1. Par contre, les réservations sont en hausse de 10% pour les congés d’automne, ce qui est un énorme changement.»
Une tendance justifiée par des prix bien plus attractifs lors de ces semaines de congé «isolé». Comme tout autre secteur, le tourisme répond à la logique de l’offre et la demande: si les francophones sont les seuls à envisager un voyage la première semaine de la Toussaint, par exemple, ils pourront bénéficier de promotions défiant toute concurrence, inenvisageables durant les périodes de forte affluence. Ainsi, les Wallons et Bruxellois moins fortunés s’adonneraient à ce que l’Observatoire wallon du tourisme appelle le «revenge travel»: incapables de s’offrir des vacances d’été, ils se ruent sur les offres des congés «secondaires» pour compenser. Un concept déjà utilisé après la crise sanitaire pour désigner la «fièvre voyageuse» qui s’était emparée de nombreux Européens, déterminés à ratrapper le temps perdu par les confinements à répétition.
Rythmes scolaires: les campings lésés
D’autant que ces deux semaines de répit octroient également plus de flexibilité dans les dates de départ. «Au lieu de partir du samedi au samedi, les francophones peuvent réserver du mardi au mardi pour bénéficier de prix encore plus compétitifs», observe Jo Thuys, porte-parole du tour-opérateur Corendon, qui enregistre une hausse de 28% de ses résérvations pour les congés d’automne. Une flexibilité qui modifie également les habitudes de voyage, avec des séjours plus longs et plus lointains. «Le décalage horaire pose moins problème, car les vacanciers ont deux semaines pour s’y adapter, insiste Sarah Saucin. On voit donc de nouvelles destinations émerger, comme la Républicaine Dominicaine (+47% de réservations cette automne) ou les city-trips à New York.» De son côté, Corendon épingle également l’Egypte parmi les destinations les plus prisées.
Si les agences de voyages tirent un bilan plus que satisfaisant de la réforme, les conclusions sont plus nuancées pour les acteurs du tourisme local. Selon un rapport publié par l’Observatoire wallon du tourisme en automne 2023 (soit un an après l’entrée en vigueur de la réforme), les nouveaux rythmes scolaires auraient eu un impact négatif pour 21% des hébergements touristiques du sud du pays, concurrencés par les séjours à l’étranger. Les hôtels et les campings en font particulièrement les frais. Ainsi, plus de la moitié des exploitants de campings (53%) considèrent avoir accueilli moins de clients à cause de la saison estivale raccourcie. Les propriétaires de gîtes ou d’autres hébergements propices aux camps scouts font également grise mine: 66% d’entre eux disent avoir accueillis moins de groupes en raison de la réduction des vacances d’été, surtout la première semaine de juillet, d’ordinaire très prisée par les mouvements de jeunesse.
Difficultés de recrutement
En revanche, les attractions touristiques et les musées wallons s’en tirent mieux: 38% des gestionnaires affirment avoir observé une hausse de leur fréquentation, alors que 36% n’ont observé aucun changement particulier lié à la réforme.
A la côte belge, les nouveaux rythmes scolaires ont eu un impact limité sur le tourisme. Les dépenses liées aux séjours de loisirs se maintiennent par rapport à 2021, relève Westtoer, l’office de tourisme de Flandre occidentale. La désynchronisation des congés entraîne simplement un étalement de la saison touristique, avec des périodes d’affluences différées.
Par contre, ce décalage engendre des difficultés de recrutement dans l’Horeca. Les étudiants flamands, contraints de suivre les cours durant les congés des francophones, sont moins disponibles pour donner un coup de main. Même son de cloche en Wallonie, où 75% des gestionnaires de musées et d’attractions touristiques ont éprouvé des difficultés à embaucher des saisonniers et des étudiants lors des vacances de détente et de printemps 2023. Or, l’étalement de la saison touristique nécessite plus de personnel, notamment pour accueillir à la fois des vacanciers néerlandophones et des groupes scolaires francophones (et inversement) au cours de la même période, pointe l’OTW. L’observatoire précise en outre qu’un nouveau rapport – plus approfondi – sortira fin novembre, afin d’objectiver l’impact réel de la réforme sur le secteur touristique wallon.
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