Que nous préparent El Niño et La Niña pour l’été?
Ils influencent le climat sur la quasi-totalité du globe. Comment expliquer ces phénomènes naturels? Voici les clés pour tout comprendre.
Ces enfants sont aussi vieux que le monde. El Niño existerait depuis la période du Pliocène chaud, selon des simulations climatiques qui suggèrent qu’il y a plusieurs millions d’années, le «gamin» n’était pas très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Seule différence: le contexte du réchauffement global qui s’ajoute à ce phénomène naturel de variation d’alizées et de déplacement d’eau de surface chaude dans le Pacifique. D’où l’impression que les deux enfants sont plus farouches que jamais. El Niño et sa sœur, La Niña, sont une histoire de vents et de courants marins. Au départ, tout se passe donc dans l’océan Pacifique Sud, au niveau de l’équateur.
Tous les cinq ans en moyenne, les alizées –ces vents réguliers qui soufflent d’est en ouest dans les régions intertropicales– faiblissent, voire s’inversent, modifiant certains courants marins. Conséquence directe: les eaux de surface habituellement plus chaudes à l’ouest du Pacifique Sud, du côté de l’Australie et de l’Indonésie, s’écoulent vers l’est, soit du côté du Pérou, de l’Equateur, de la Colombie, qui voient alors l’océan se réchauffer le long de leur littoral. Ce chamboulement naturel et ses conséquences ne se produisent évidemment pas du jour au lendemain, mais s’étalent sur plusieurs mois, parfois même deux ans. Certaines années, El Niño peut s’avérer particulièrement virulent. En 2015, les météorologues américains l’ont nommé «Bruce Lee» tant il était déchaîné.
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Aux caprices d’El Niño, désormais enfin de course, succèdent souvent (pas toujours) ceux de La Niña. La «gamine», qui affiche un esprit de contradiction face à son frangin, ranime plus fort qu’habituellement les alizées soufflant d’est en ouest et rapporte les eaux chaudes vers l’Océanie et le sud de l’Asie. Cela entraîne un refroidissement des températures dans le centre et l’est du Pacifique équatorial et un changement dans la circulation atmosphérique tropicale. On ne sait guère ce qui déclenche ces phénomènes. Des recherches récentes évoquent une possible influence du cycle solaire sur la variabilité des océans. Quoi qu’il en soit, ces deux modèles climatiques opposés, qui brisent les conditions normales, bouleversent la météo non seulement des deux côtés du Pacifique Sud mais aussi des autres océans tropicaux et du Pacifique Nord.
«Le Pacifique est un océan gigantesque, un moteur de la circulation atmosphérique terrestre, détaille Hugues Goosse, climatologue à l’ULB. Là où l’eau est chaude, il y a de l’air chaud et humide à la surface de l’océan, qui va s’élever et former des nuages et des montées d’air. Cela générera des ondes atmosphériques en altitude, comme celles qu’on voit à la surface d’un lac lorsqu’on y lance un caillou. Ces ondes vont perturber le climat sur les trois quarts de la planète, provoquant soit des périodes de sécheresse soit des périodes de tempêtes et de pluies intenses.» Les pays les plus touchés par les enfants terribles sont toutefois ceux qui ont les pieds dans le Pacifique Sud (Pérou, Equateur, Australie, Indonésie…).
«Le plus préoccupant, c’est l’augmentation de température de nombreux océans.»
De plus en plus fort, El Niño?
D’autres régions peuvent également être très affectées, comme récemment le sud du Brésil, le Kenya, la Tanzanie où les inondations ont été ravageuses. «Le Canada, les Etats-Unis et le Mexique, bordés par le Pacifique Nord, subissent aussi directement les effets d’El Niño et de La Niña, constate David Dehenauw, chef du service scientifique Prévision du temps, à l’IRM. En revanche, le lien est beaucoup moins clair avec l’Europe qui se situe du côté Atlantique. D’autres influences à l’échelle de l’océan Atlantique jouent sur la météo de l’Europe occidentale, de l’Afrique du Nord et même de l’Afrique équatoriale. Il est difficile de déterminer quelle est la prédominance de tel ou tel élément, surtout sur des distances aussi grandes.»
Le réchauffement climatique augmente-t-il la fréquence et l’intensité du phénomène El Niño? «A ma connaissance, aucune étude ne le démontre, affirme le Pr. Goosse. On pourrait s’attendre à des changements en ce qui concerne l’intensité, mais, pour l’instant, cela n’a pas été observé scientifiquement. Cela dit, le réchauffement s’ajoute au phénomène naturel et cela a donc des conséquences. Si on prend l’exemple de la canicule, on ne peut pas dire que c’est le réchauffement enregistré depuis l’époque préindustrielle qui, en Belgique, provoque parfois des journées où le thermomètre pointe jusqu’à 40 °C. Mais si, en plus du réchauffement, une variabilité naturelle comme El Niño impose une chaleur plus forte, les deux se renforceront mutuellement.»
A chaque El Niño, on constate un réchauffement de l’ordre de 0,25 °C. Il n’est donc pas surprenant que les derniers records de chaleur, en 2023, 2016 ou 2010, ont été enregistrés pendant des années El Niño. Toutefois, La Niña, que l’Organisation météorologique mondiale (OMM) annonce pour cet automne et qui est censée avoir un effet refroidissant, ne devrait pas faire chuter sensiblement le mercure tant le réchauffement global est déjà important. «Tout au plus, on n’enregistre pas de record de chaleur les années de La Niña, continue Hugues Goosse. Mais la tendance à la hausse des températures reste continue et la baisse de température due à La Niña ne compense de toute façon pas l’augmentation de CO2 causée par l’activité humaine.»
Significatif: aujourd’hui, les températures mondiales observées pendant La Niña sont plus élevées que pendant les El Niño d’il y a plus d’un quart de siècle. «Le réchauffement climatique est le principal responsable de nombreux événements comme la sécheresse du bassin méditerranéen qui s’est déclarée bien avant le dernier El Niño et qu’on peut donc très peu relier à l’enfant terrible, relève David Dehenauw. Le mois de mai très pluvieux que nous venons de connaître ne peut pas non plus être attribué à El Niño. De manière générale, ce qui est le plus préoccupant, c’est l’augmentation de la température de nombreux océans à cause du réchauffement climatique. On sait aujourd’hui que cela influence le climat sur tous les continents.»
Le Noël des pêcheurs péruviens
Cela dit, La Niña risque, elle aussi, d’engendrer des pluies diluviennes. Non pas du côté de l’Amérique latine, mais en Australie ou en Indonésie. Combinée aux températures élevées de l’océan Atlantique, elle pourrait, en outre, engendrer une saison exceptionnelle d’ouragans et de cyclones dans l’Atlantique Nord et les Caraïbes, selon l’OMM. Un point positif, néanmoins: en poussant les eaux chaudes vers l’ouest, elle entraînera à l’est une remontée d’eau froide des profondeurs, riche en nutriments pour la faune aquatique. Les pêcheurs péruviens se frottent déjà les mains, comme à chaque La Niña.
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Ce sont d’ailleurs des marins du Pérou qui, dans les années 1600, ont observé les premiers un changement dans la circulation océanique ayant un effet sur les prises de leurs filets. Ils l’ont appelé El Niño en référence à Jésus, parce que cela se produisait le plus intensément autour de Noël. Trois cents ans plus tard, en 1920, un physicien anglais, Gilbert Walker, a décrit le phénomène atmosphérique, connu sous le nom de cycle de Walker. Mais c’est seulement dans les années 1990 que l’on démontrera l’effet mondial d’El Niño, bien au-delà du Pacifique Sud, grâce à plus de 650.000 mesures effectuées par bateau sur plusieurs océans tropicaux.
Au début des années 2000, l’ONU a créé le Centre international de recherche sur le phénomène El Niño (Ciifen), dont le siège se trouve à Guayaquil, en Equateur. Ce centre rassemble des données climatiques provenant de centaines de responsables régionaux pour mieux appréhender le phénomène et gérer les risques liés aux événements extrêmes causés par El Niño et La Niña. Ces derniers peuvent avoir des effets sur les populations, l’agriculture, l’économie. Et la santé aussi, avec parfois des conséquences insoupçonnées. Ainsi, depuis le début du printemps, l’Amérique latine et les Caraïbes font face à la pire épidémie de dengue jamais connue. Cette maladie virale est propagée par les moustiques qui raffolent d’El Niño car ils se reproduisent davantage et vivent aussi plus longtemps quand il fait humide et chaud.
El Niño peut être si virulent qu’en 2015, des météorologues l’ont nommé «Bruce Lee».
Il y a dix ans, un chercheur de l’université américaine Johns Hopkins a relevé une diminution de la croissance des enfants péruviens nés en 1997 et 1998 alors que leur pays avait subi d’énormes inondations dues à El Niño. Avant cela, la taille des petits péruviens augmentait d’année en année, mais après le passage d’El Niño, leur taille a diminué en moyenne de 0,3 centimètre, et même de quatre centimètres dans certains villages fort isolés par les inondations. La montée des eaux a détruit de nombreuses routes et ravagé les récoltes, entraînant des épidémies de diarrhée, la malnutrition et un accès réduit aux soins médicaux, ce qui expliquerait cette diminution de taille. Les dommages collatéraux d’El Niño et La Niña sont plus nombreux qu’on ne le pense.
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