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Pourquoi avons-nous la certitude que les autres ne nous aiment pas? Les ravages de l’ «écart d’appréciation»
De nombreuses personnes doutent d’elles-mêmes après avoir parlé avec quelqu’un, pensant parfois erronément que leur interlocuteur ne les apprécie pas. Ce sentiment universel appelé «l’écart d’appréciation» peut avoir des répercussions sur la confiance en soi et sur le comportement de l’individu, mais il est possible de le surmonter.
Après avoir discuté avec une personne, peut-être vous êtes-vous déjà demandé si vous aviez fait bonne impression. Pire: un regard, un sourire, un geste que vous n’avez pas compris, et peut-être vous êtes-vous convaincu que votre interlocuteur ou votre interlocutrice ne vous aimait pas. Vous mettant alors à ressasser: «Aurais-je pu raconter une meilleure blague?», «Aurais-je dû expliquer mon histoire plus rapidement?», «Est-ce que je n’ai pas été trop sec en lui répondant?», «Pourquoi ai-je dit ça?» … Des questions qui peuvent finir par provoquer de l’anxiété.
Cette angoisse n’aurait parfois pas lieu d’être. Selon une récente étude américaine parue dans la revue spécialisée Computers in Human Behavior Reports, l’être humain a tendance à mal évaluer l’appréciation des autres à son égard. Les scientifiques expliquent que les individus sous-estiment systématiquement la sympathie qu’ils inspirent à leur entourage, et ce, indépendamment du fait que la conversation ait lieu «dans la vraie vie» ou par écran de téléphone/d’ordinateur interposé.
Un message neutre peut être perçu comme froid ou distant, alors qu’il n’a peut-être aucune signification particulière.
Jennifer Denis
Docteure en psychologie à l’UMONS
Un biais cognitif universel
Cette disparité entre l’impression de déplaire à autrui et ce que l’interlocuteur pense réellement s’appelle «l’écart d’appréciation». Le terme est né en 2018 d’une précédente étude qui explorait les interactions entre individus dans le cadre d’une première rencontre. Dans tous les scénarios mis en place par les chercheurs, les participants ont sous-évalué l’appréciation des autres à leur égard par rapport à leur propre appréciation de leurs interlocuteurs. Parfois, ils étaient encore convaincus d’être moins amicaux que leurs homologues un an plus tard, alors que ceux-ci s’étaient déjà liés d’amitié.
«L’écart d’appréciation est un biais cognitif (NDLR: un raccourci mental), et comme tout biais cognitif, on peut considérer son fonctionnement comme étant universel», indique Jennifer Denis, docteure en psychologie et professeure associée en psychologie clinique à l’UMons. Son intensité variant toutefois d’un individu à l’autre. Les personnes plus timides ou qui manquent de confiance en elles, par exemple, peuvent être plus enclines à penser qu’elles ne sont pas appréciées. «Il n’y a cependant pas de règle absolue», insiste la psychologue.
Quoi qu’il en soit, autant chez les personnes timides que celles plus extraverties, plusieurs facteurs peuvent expliquer cette erreur d’appréciation. Tout d’abord, les filtres subjectifs propres à chacun, qui «viennent construire et renforcer nos représentations mentales». Mais également «un manque de communication claire entre les individus, des fonctionnements narcissiques qui entravent l’individu dans la manière dont il va prendre sa place dans la relation, des projections plus personnelles qui amènent l’individu à penser que l’autre pense comme lui, des dynamiques relationnelles où l’écoute de soi en lien avec l’écoute de l’autre n’est pas opérante», ou encore «un manque d’empathie et une incapacité à exprimer clairement ses ressentis», énumère la psychologue.
Un écart d’appréciation exacerbé par le numérique
L’étude publiée dans Psychological Science n’abordait alors que les interactions en présence physique. Cette nouvelle recherche menée par Vanessa Oviedo, de l’Université de Californie, à Santa Cruz, montre cette fois que le «liking gap», en anglais, existe aussi dans les communications numériques.
Il est toujours fascinant de constater que nous avons un outil incroyable qui est le langage, et que, malheureusement, nous le manions parfois piètrement.
Jennifer Denis
Docteure en psychologie à l’UMONS
Si les auteurs ne notent pas de différences entre les interactions numériques et de visu, Jennifer Denis estime que «les communications numériques peuvent accentuer le sentiment erroné de ne pas être apprécié». Et ce, en raison de l’absence d’indices non-verbaux, ou encore de la tendance à interpréter négativement les silences. «Par exemple, un message neutre peut être perçu comme froid ou distant, et un retard de réponse peut être interprété comme un signe de désintérêt ou de rejet, alors qu’il n’a peut-être aucune signification particulière», expose la psychologue clinicienne. Elle ajoute: «Une personne peut être plus distante ou formelle qu’en face-à-face, simplement parce que le médium numérique encourage un style de communication plus rationnel et moins émotionnel.»
Prendre du recul pour mieux communiquer
Ce sentiment de ne pas être apprécié peut avoir des répercussions sur la confiance en soi et entraîner un effet boule de neige sur le fonctionnement de l’individu: isolement social, jugement hâtif, rejet, réticence à exprimer ses besoins et ses attentes… Mais il est possible de travailler sur ce sentiment d’écart d’appréciation, «même s’il est parfois difficile à surmonter», admet le Dr Denis. En prenant du recul et en tentant d’observer plus objectivement les interactions avec les autres, à savoir aussi bien leur verbal que leur non-verbal. «Peut-être que les autres vous apprécient, mais qu’ils l’expriment différemment de ce que vous attendez», commente-t-elle.
«La métacommunication est la clé. C’est-à-dire communiquer sur la communication ou communiquer sur les enjeux de la communication ou l’impossibilité de communiquer correctement. Il est toujours fascinant de constater que nous avons un outil incroyable qui est le langage, et que, malheureusement, nous le manions parfois piètrement…», conclut Jennifer Denis.
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