Deal
Le quartier des Moulins à Nice, où le taux de pauvreté peut être quatre fois plus élevé que la moyenne française. © Belga Image

Vivre au milieu des points de deal de drogue, les mineurs comme petites mains

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La journaliste Siam Spencer raconte son immersion, éprouvante et enrichissante, dans un quartier de Nice gangrené par le narcotrafic. Entre impuissance et résistance.

Que signifie vivre dans un quartier gangrené par le trafic de drogue? La question a pu traverser l’esprit de nombreux Belges depuis qu’Anderlecht est le théâtre répété de fusillades et de violences ostensiblement liées au narcotrafic. L’approfondir conduit immanquablement à constater que les premières victimes sont les habitants de ces territoires mal lotis, c’est peu de le dire. Comparaison n’est pas nécessairement raison. Le contexte du sud de la France est différent de celui de la capitale de l’Europe. Néanmoins, la lecture de l’éloquent récit, La Laverie, de la journaliste Siam Spencer, sur un an de vie quotidienne dans le quartier des Moulins à Nice, donnera de précieuses clés de compréhension de ce qu’est la cohabitation permanente avec des dealers et des guetteurs.

Les «ça passe» scandés à répétition sont le signal d’alerte, adressé aux vendeurs, de l’intrusion d’un véhicule de police dans la zone de chalandise de la drogue. Ils rythment le quotidien de l’autrice quand ce n’est pas les déflagrations des kalachnikovs et des armes des policiers. Dans ce quartier, la Laverie, près duquel le destin et des revenus limités de jeune journaliste ont conduit Siam Spencer, fut un temps le plus gros point de deal du département des Alpes-Maritimes et le plus lucratif avec ses rentrées estimées entre 15.000 et 20.000 euros par… jour. De quoi attiser les envies.

«Le profil type du guetteur: «Mineur, camé, pas si méchant, renfermé et déscolarisé.»

Matteo, guetteur installé à proximité de la fenêtre côté chambre de l’appartement de l’autrice, est représentatif des petites mains du trafic: «Mineur, camé, pas si méchant, renfermé et déscolarisé», âgé de 14 ans et ayant fumé son premier joint à 11. Mais l’éventail des recrues des trafiquants est bien plus large, depuis les mineurs étrangers non accompagnés issus d’une «migration narco-économique» organisée en Tunisie jusqu’aux «jobbeurs d’été» venus de la région parisienne et recrutés sur les réseaux sociaux.

Le grand mérite du livre de Siam Spencer est, plutôt que de se limiter à la description des affres de la vie au milieu des dealers, d’analyser le terreau menant à la constitution de ces zones criminogènes, par la misère économique, l’insalubrité (cafards, rats, pannes récurrentes…) et le mépris (de la part du bailleur des logements sociaux) qui y prospèrent. L’autrice n’occulte pas non plus tout ce qui s’y fait de bien, dans lequel les femmes prennent une large part.

La Laverie. Trafics, violences et vie quotidienne: un an d’immersion au cœur d’une cité, par Siam Spencer, Robert Laffont, 272 p.
© DR

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