Des masters 100% en anglais, why not ? Le signe d’une « marchandisation » de l’enseignement supérieur
La Flandre vient de confirmer l’interdiction des masters dispensés uniquement en anglais. Dans les universités européennes, la tendance est pourtant à l’anglicisation des cursus universitaires.
Aucun master ne pourra être dispensé exclusivement en anglais en Flandre. C’est ce qu’a annoncé lundi Ben Weyts (N-VA), le ministre flamand de l’enseignement. Plus précisément, les quelque 150 programmes de master dont les cours sont dispensés dans la langue de Shakespeare en Flandre devront toujours disposer d’un équivalent en néerlandais. Les recteurs de plusieurs universités du nord du pays, qui souhaitaient voir Ben Weyts leur accorder le droit de proposer certaines formations spécifiques uniquement en anglais, sont déçus. Pour justifier ce « no », le ministre invoque la nécessité de permettre aux jeunes flamands de suivre le cursus de leur choix dans leur langue.
Qu’en est-il dans l’espace francophone?
Au sein de la Communauté française, une quarantaine de masters sont dispensées uniquement en anglais. Ceci a été rendu possible par l’entrée en vigueur du décret Paysage en 2014. Celui-ci permet des dérogations au principe général selon lequel la langue principale d’enseignement et d’évaluation des activités d’apprentissage en Fédération Wallonie-Bruxelles est le français. Jusque la moitié des cours inclus dans les masters traditionnels peuvent par ailleurs être proposés en anglais. L’objectif de ces assouplissements : internationaliser les formations et favoriser le multilinguisme chez les étudiants.
D’après Pierre Frath, spécialiste de la linguistique de l’anglais et professeur émérite à Reims, cette anglicisation de l’enseignement supérieur comporterait toutefois certains inconvénients. La maitrise de l’anglais des professeurs francophones amenés à le pratiquer dans le cadre de leurs cours ne serait en effet pas toujours suffisante pour assurer une qualité d’enseignement optimale. En conséquence, l’apprentissage en anglais pourrait nuire à la nuance et à l’intégration de phénomènes complexes chez les étudiants.
Maastricht, cas archétypal de l’anglicisation des masters
De manière générale, une hausse du niveau de l’anglais au sein de la jeunesse européenne est constatée depuis quelques décennies. C’est notamment lié au fait que l’anglais prend une place de plus en plus importante dans l’enseignement supérieur en Europe, particulièrement dans les pays du nord. Les Pays-Bas comptent ainsi 1600 programmes de master en anglais, un record au niveau européen. Les universités de Twente, Tilburg, et plus encore celle de Maastricht, qui attire énormément d’étudiants allemands, se sont d’ailleurs faites une réputation grâce à leurs cursus intégralement dispensés en anglais.
« Il y a des domaines que les anglophones maitrisent peu et dans lesquels les francophones vont dès lors moins publier »
Pierre Frath
Pour Pierre Frath, cette anglicisation participe d’une logique de marchandisation de l’enseignement supérieur : « L’établissement d’équivalences entre les diplômes de différents pays européens qu’a permis le processus de Bologne à partir des années 1990 a accru la demande de mobilité des étudiants et favorisé l’établissement de formations en langue anglaise, souvent à des tarifs élevés ». Le chercheur pointe par ailleurs le fait que les cursus universitaires en néerlandais ont quasiment disparu aux Pays-Bas, ce qu’il juge dommageable pour les étudiants hollandais. D’autant que ceux-ci éprouvent de surcroit des difficultés à trouver des logements à des prix abordables à proximité de ces universités qui accueillent des étudiants aisés venus des quatre coins de l’Europe.
Anglais et recherche universitaire, un bon mélange?
Le phénomène d’anglicisation touche également le milieu de la recherche universitaire. Là aussi, il comporte son lot d’avantages et d’inconvénients. Le fait que les articles scientifiques soient davantage valorisés lorsqu’ils sont publiés en anglais favorise en effet une vision anglo-saxonne de la recherche au détriment de certains secteurs scientifiques. « Il y a des domaines que les anglophones maîtrisent peu et dans lesquels les francophones vont dès lors moins publier, faute d’audience potentielle. C’est le cas de la psychologie sociale » explique encore Pierre Frath, auteur de l’ouvrage « Anthropologie de l’anglicisation ».
Le fait que la majorité des publications soient rédigées en anglais permet toutefois une diffusion plus aisée du savoir au sein de la communauté scientifique et facilite les échanges par delà les nationalités et les langues d’origine des chercheurs. De quoi donner à la langue de Shakespeare certains arguments pour continuer à étendre son influence.
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