Le lycée Emile Jacqmain doit son nom à l’échevin de l’instruction publique (puis bourgmestre) de la Ville de Bruxelles. © MRBC

De Saint-Joseph à Maurice Carême, le surprenant «palmarès» des noms d’écoles

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le Vif a épluché les noms de près de 2 500 établissements scolaires en Communauté française. Voici ce que révèlent les patronymes choisis et ce qu’ils racontent de l’histoire de la Belgique.

A ses grands hommes (et quelques femmes), la Belgique et ses écoles semblent éternellement reconnaissantes. Depuis deux siècles, le royaume rend hommage aux grands noms de l’histoire du pays, de la littérature et des sciences, ou de la politique, en baptisant de leurs noms écoles, collèges et athénées. Les personnalités honorées racontent l’histoire de la construction de l’établissement, les héros célébrés par la Belgique. Et ceux qu’elle a oubliés.

Sur la base de quelque 2 454 écoles, collèges et athénées , nous avons dressé le «palmarès» des noms des établissements scolaires. Voici ce qu’il révèle et dit de l’histoire de la Belgique.

1. Un contexte décisif

Il existe des différences notables selon les niveaux d’enseignement. Ce qui est assez logique: les écoles primaires ont, pour beaucoup, été construites dans la première vague de massification de l’éducation, après le vote des lois rendant l’école libre et obligatoire. Une histoire belge marquée par l’opposition entre cléricaux et anticléricaux, chacun appuyant son réseau lors de ses prises de pouvoir. Ainsi, près de trois cents établissements portent simplement le nom d’«école communale», probable marqueur des batailles passées avec l’école catholique, dont 36 écoles ont néanmoins été baptisées de la sorte. Des entités communales se sont contentées de distinguer leur école par le nom et le numéro de rue. Dans d’autres cas, la géographie l’emporte sur l’originalité: 26 écoles «du centre», cinq «du village» ou «de la ville», sept de la ville «haute» ou «basse», neuf «du nord», «du sud», «de l’ouest», des rives gauche ou droite. Ce qui servait à distinguer ces établissements des écoles localisées dans des hameaux proches, dont la plupart ont disparu. Aujourd’hui, nombre d’entre elles connaissent une vague de «rebaptisation», comme cette dizaine d’établissements carolos «du centre» qui ont vu leur dénomination changer.

Bruxelles célèbre ses héros, comme Adolphe Max.
Bruxelles célèbre ses héros de la lutte scolaire, comme Adolphe Max. © belgaimage

Le contexte historique dans lequel l’inauguration d’une école a eu lieu se révèle également décisif dans le choix du nom qu’elle porte. En effet, pour avoir la chance d’être célébrés, les héros doivent traverser une période de forte construction d’établissements. Entre la Première Guerre mondiale et la Seconde, très peu d’écoles secondaires furent bâties, ce qui explique que les héros de 14-18 comme Willy Coppens, pilote aux 37 victoires homologuées, ou le général Jacques de Dixmude n’ont pas cette reconnaissance. D’autant que ces figures ont également souffert du traditionnel pacifisme du monde enseignant. Le décalage entre l’hommage rendu par la nation à travers le baptême des rues et l’appellation des écoles est saisissant. Une étude réalisée par Open Knowledge Belgium et le collectif Noms Peut-être! montre que ces personnages figurent, d’un point de vue quantitatif, parmi les plus célébrés dans l’espace public bruxellois. Avec, de surcroît, l’honneur de baptiser fréquemment de grands axes. Le monde éducatif, lui, n’a jamais souhaité honorer les héros de la Guerre. En revanche, il n’a pas oublié les résistants et les déportés de la Seconde Guerre, honorant leur mémoire dans une quinzaine d’établissements.

Parfois, on retrouve les patronymes de carrures internationales, dont Simone Veil.
Parfois, on retrouve dans les noms d’écoles des carrures internationales, dont Simone Veil. © belgaimage

Les quelque sept cents collèges, lycées ou athénées, pour la plupart construits après la Seconde Guerre, sont le résultat du baby-boom et de la massification de l’enseignement, en particulier à partir des années 1960. Dans les années 1970 et 1980, il fallait des établissements secondaires pour absorber la poussée démographique. Les noms choisis témoignent de ce contexte. Outre l’hommage aux déportés et aux résistants, le choix de noms d’un nombre important d’artistes traduit la volonté de placer l’école sous l’égide de la culture à une époque où elle se démocratise.

Quant à la fonction de ministre de l’Enseignement, elle ne constitue pas une garantie de voir son nom gravé sur les façades des établissements. Ainsi, ceux qui ont occupé le poste depuis deux siècles y ont laissé une place très variable. Jules Destrée, ministre POB des Sciences et des Arts en 1919 comprenant l’instruction publique, Léo Collard, ministre socialiste de l’Instruction publique en 1946, puis en 1954, et Léon Hurez, ministre socialiste de l’Education nationale, sont les seuls à donner leur nom à un établissement. Leurs successeurs n’ont, eux, fait l’objet d’aucune célébration.

2. L’enseignement libre confessionnel, un cas particulier

Les écoles catholiques trustent le haut de la liste du «palmarès» des noms les plus courants. La raison? Le manque d’originalité: les saints et les «Notre-Dame» donnant leur nom à plus de deux tiers des établissements.

Saint-Joseph est ainsi gravé au fronton de 96 écoles. Le saint patron des familles, des pères de famille et des travailleurs est le nom le plus célébré dans l’enseignement catholique. Lui succèdent Sainte-Marie (48), Saint-Louis (24), Saint-François d’Assise (23), Saint-Pierre (18) et Saint-Martin (18). On compte par ailleurs 128 «Notre-Dame» et ses différentes déclinaisons («Notre-Dame de la Paix», «de la Sagesse», «de Bonne-Espérance», «de la Consolation»…) ou encore 34 «Sacré-Cœur».

Après le saint patron des enseignants, Jean-Baptiste de La Salle (20), le premier personnage historique qui apparaît dans le palmarès des écoles catholiques est Jean Bosco, patron des éducateurs et des apprentis. Logiquement, les figures laïques sont très peu représentées, mais on y trouve, outre Marie-Thérèse d’Autriche, les rois Baudouin et Albert Ier, la reine Fabiola et le navigateur Magellan.

3. Noms des écoles: une géographie politique et… culturelle

Sans surprise, la carte des implantations des écoles recouvre celle des querelles entre cléricaux et anticléricaux, et les guerres scolaires. Ainsi, à Bruxelles, vaste réseau scolaire, les noms des établissements portent l’héritage des libéraux progressistes, promoteurs de l’école pluraliste, gratuite et laïque, des francs-maçons et des membres de la Ligue de l’enseignement, luttant alors contre le monopole de l’enseignement catholique. La ville célèbre ainsi ses héros de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe: Jonathan Bischoffsheim, banquier mécène, cofondateur de la Ligue de l’enseignement, est mort en 1883 ; Auguste Couvreur, créateur de la première école professionnelle pour jeunes filles, en 1894 ; Emile De Mot et Léon Lepage, en 1909 ; Charles Buls, en 1914 ; Emile Jacqmain, en 1933 ; Adolphe Max, en 1939 ; Robert Catteau, en 1956.

Parmi les personnalités non politiques, on trouve des peintres. C’est le cas de Paul Delvaux.
On dénombre dans les noms d’écoles, des personnalités non politiques, comme des peintres. C’est le cas de Paul Delvaux. © belgaimage

On doit en effet la plupart des particularismes géographiques à des raisons historiques ou culturelles. Les établissements Jules Destrée, Ernest Solvay, Léo Collard ou Orsini Dewerpe l’emportent logiquement dans la région de Charleroi. Raoul Warocqué, Achille Delattre, ouvrier syndicaliste devenu ministre, Alfred Busieau, ouvrier mineur et politicien local, Arthur Nazé, député socialiste œuvrant à la reconnaissance des maladies professionnelles, ou encore Léon Hurez, qui fut ministre de l’Education, s’imposent dans le Hainaut.

Aussi, Charleroi, par exemple, valorise son patrimoine en baptisant des écoles «La Marsaude», ancienne lampe à huile employée dans les galeries souterraines par les mineurs, «La Duchère», en référence aux puits exploités par la société Trieu Kaisin dès 1833, ou encore «du Try Charly», signifiant en patois la «friche du charron», spécialiste du travail du métal et du bois.

4. Politiques et artistes devancent scientifiques et philosophes

L’école, essentiellement communale et, dans une moindre mesure, celle du réseau Wallonie-Bruxelles, laisse une large place aux politiques (47). Il y a des carrures nationales, parfois internationales: Jules Destrée, Jean Rey, Jules Bara côtoient Charles Rogier ou Paul-Henri Spaak. Charles de Gaulle, Simone Veil et François Mitterrand comptent parmi les politiques étrangers. Mais aussi de nombreux bourgmestres et échevins: Guy Cudell, Marinette De Cloedt, Jean Namotte…

Au panthéon des personnalités non politiques célébrées par les établissements, les écrivains et les peintres (44) devancent largement les scientifiques. Les auteurs sont davantage honorés que les plasticiens et, parmi eux, une seule femme, Marguerite Yourcenar, dont l’école fut inaugurée en 2012.

Comme sur le plan politique, le XIXe siècle culturel est bien représenté avec, outre Victor Hugo et Jules Verne, Octave Pirmez, Carl Grün, Paul Verlaine, Félicien Rops, Léon Mignon et Pierre-Joseph Redouté. Ces artistes arrivent loin derrière ceux de la première moitié du XXe siècle, au sein desquels on trouve Nestor Outer, Antoine de Saint-Exupéry, Maurice Carême, René Magritte, Luc Hommel, Arthur Haulot, Emile Verhaeren, Georges Simenon ou encore Louis Delattre.

Peu de place à la musique classique dans ce palmarès, à l’exception de Giuseppe Verdi, et de quelques contemporains comme l’harmoniciste Toots Thielemans et le violoniste Arthur Grumiaux. Mais quelques auteurs-compositeurs, à l’instar de Jacques Brel et de Pierre Perret.

Les savants sont les moins représentés dans les établissements scolaires, avec douze personnalités honorées. Des stars, tels l’architecte Victor Horta, l’ingénieur Vauban, l’inventeur Thomas Edison, le prix Nobel de médecine Jules Bordet, le polyscientifique Léonard de Vinci bénéficient d’une certaine reconnaissance. Parmi les vedettes, une femme se distingue: Marie Curie, deux fois nobelisée. On note encore la présence de scientifiques plutôt méconnus: le géographe et démographe belge Robert André, le médecin chimiste Jean-Baptiste Van Helmont, le chirurgien Georges Primo ou encore l’ingénieur Henri Maus.

Les philosophes, eux, font figure d’oubliés de l’histoire intellectuelle. On note un établissement Denis Diderot, philosophe et encyclopédiste des Lumières.

Quant aux couples les plus célébrés (22 établissements), les saints dominent très largement. Sur le podium apparaissent Saint-Joseph et consorts. Quatre paires seulement au sein de l’école non confessionnelle: Justin Bloom et Yvan Mays, deux résistants de la Seconde Guerre, dont l’un fut fusillé ; Alfred Nazé et Alfred Busieau, l’un politique et l’autre syndicaliste ; Germain et Gilbert Gilson, des industriels ; Emile De Mot et Auguste Couvreur, bourgmestre de Bruxelles et député, tous deux francs-maçons.

Fait rarissime: certaines célébrités voient leur nom offert à un établissement de leur vivant. C’est le cas d’Eddy Merckx, d’Enrico Macias, de Philippe Geluck, de Pierre Perret ou encore du poète Pierre Coran.

5. Les noms d’écoles rendent hommage aux pédagogues

Evidement, les pédagogues ont laissé leur nom à la postérité. On retrouve ainsi Emile Max, considéré comme un des pères du lycée pour filles, en 1917, permettant l’entrée à l’université sans devoir passer le redoutable jury central ; Arnould Clausse, principal promoteur de l’enseignement rénové au début des années 1970 ; Emile Gryzon, qui fut sénateur et créateur, en 1949, de l’école hôtelière du Centre d’enseignement et de recherches des industries alimentaires et chimiques (Ceria).

Quant aux initiateurs du mouvement d’«éducation nouvelle», qui défendent les pédagogies dites «coopératives», celles qui avancent que les élèves apprennent mieux ensemble, en se questionnant, en réalisant des projets communs, on distingue Ovide Decroly, qui créa son école en 1907. Célestin Freinet, lui, ne donne son nom à aucun établissement, quand bien même des écoles appliquent sa pédagogie.

Le nom de Jean-Baptiste de La Salle (1651 – 1719) domine la pédagogie chrétienne. Dès 1684, le fondateur de la congrégation des Frères des écoles chrétiennes (34 établissements), crée des écoles gratuites en français (et non en latin) pour les garçons de milieux populaires. A la pédagogie individuelle, en usage à l’époque et réservée aux riches, Jean-Baptiste de La Salle préfère l’enseignement simultané prodigué à un groupe d’élèves réunis dans une même classe. Il introduit également le regroupement des élèves par niveaux.

Une quinzaine d’établissements portent le nom de Jean Bosco (1815 – 1888), qui fonde, en 1854, la congrégation des Salésiens. Si Don Bosco fut un authentique pédagogue, il n’a pas laissé de théorie mais des orientations qui ont formé un système pédagogique: la raison (utiliser le discernement et exclure le châtiment), l’affection (laquelle engendre un esprit de communauté) et la religion (en agissant avec une finalité pastorale).

Dans ce panthéon masculin, émergent Isabelle Gatti de Gamond, fondatrice, en 1864, de la première école laïque d’enseignement moyen pour filles en Belgique ainsi qu’ Henriette Dachsbeck, sa proche collaboratrice, qui organise, dès 1897, une section préuniversitaire préparant au jury central, passage alors obligé pour les jeunes filles souhaitant accéder à l’université. Sans oublier Léonie de Waha, qui crée, à Liège, en 1868, le premier institut d’enseignement supérieur pour filles. On trouve également Amélie Hamaïde, restée dans l’ombre d’Ovide Decroly, qui édifie, en 1934, deux ans après la mort de son «maître», ses propres écoles actives.

6. Femmes et étrangers oubliés

L’école ne laisse qu’une place dérisoire aux femmes. Une vingtaine seulement parmi les noms donnés aux établissements. Le réseau Wallonie-Bruxelles l’emporte (9), devant le primaire (6) et secondaire (3) subventionné. Le secondaire libre confessionnel célèbre Jeanne d’Arc, Marie-Thérèse d’Autriche et sœur Emmanuelle. Quant à l’officiel, il préfère des pionnières (Lucie Dejardin, première députée, Marie Popelin, première docteure en droit) ou des résistantes (Marguerite Bervoets, Augusta Marcoux). Enfin, l’école rend hommage à ses têtes couronnées, au premier rang desquelles la reine Paola, déjà honorée lorsqu’elle était princesse de Liège. La reine Astrid, la très populaire princesse Elisabeth, épouse d’Albert Ier, et la reine Fabiola disposent également d’établissements à leur nom.

Dans le panthéon très masculin des pédagogues, Isabelle Gatti de Gamond fait figure d’exception.
Parmi les noms donnés aux écoles, peu de femmes pédagogues, à l’exception, par exemple, d’Isabelle Gatti de Gamond. © wikepedia

Comme les femmes, les grandes personnalités étrangères ornent rarement la façade des écoles. Quelques-unes (7) portent les noms de Charlemagne, auquel on attribue à tort l’invention de l’école primaire, Charles de Gaulle, Jean Jaurès, François Mitterrand, Thomas Edison, Léonard De Vinci et Simone Veil.

7. Enfin, une hiérarchie bucolique des noms des écoles

Evidemment, le baptême d’une nouvelle école est un geste politique. Certains élus choisissent une prudente neutralité. Et quoi de plus neutres que des arbres, des plantes ou des animaux? Dans une hiérarchie bucolique difficilement explicable, les bruyères sont les plus célébrées (10), devant les bois (9), les prés (7), à égalité avec les tilleuls. En vrac, on trouve aussi les vals (5), les vallées (5), les lys (5) ou encore les étangs (4).

Qui choisit les noms d’école?

Un seul principe: les noms sont sélectionnés par l’administration qui les gère, soit la commune, la Ville, la province ou encore la Cocof, à Bruxelles, pour les écoles, les instituts, les athénées et les lycées de l’«officiel subventionné», et que la Communauté subsidie. Il y a aussi des personnes privées, comme des associations sans but lucratif, également subventionnées par la Communauté française. Si leur enseignement s’inspire d’une religion reconnue, leurs écoles font partie du «réseau libre confessionnel» – à l’inverse, elles se classent dans le «réseau libre non confessionnel». Enfin, la Communauté française organise son propre réseau. Celui-ci est représenté par Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE).

Dans les faits, la désignation, particulièrement quand il s’agit de rebaptiser un établissement, résulte le plus souvent d’une codécision entre l’autorité, les directions d’établissement et les équipes pédagogiques – auxquelles sont parfois associés les élèves. La Ville de Bruxelles recueille, par exemple, l’avis de ses habitants. Elle précise que les noms doivent faire référence à l’histoire ou à l’identité du quartier, au monde de l’enfance ou être réservés aux personnalités féminines qui se sont illustrées par leur contribution au développement de l’éducation ou des sciences. Dans le sillage d’une campagne, plus large, de féminisation des noms de rue, on note d’ailleurs une augmentation des noms de femmes ces dernières années.

Choisir un nom conduit à des prises de bec, particulièrement au sein des collèges communaux. A Forest, en 2019, majorité et opposition s’étaient accrochées sur ce dossier. La première proposait les noms de «kaléidoscope» pour l’école 6 et de «la preuve par 9» pour l’école 9, faisant suite à une réflexion pédagogique. La seconde souhaitait honorer deux personnalités d’envergure: Simone Veil, première femme présidente du Parlement européen et auteure de la loi sur la dépénalisation de l’IVG, et Nelson Mandela, prix Nobel de la paix, figure du combat contre l’apartheid. La majorité a tranché.

L’école rend hommage à ses têtes couronnées, dont la reine Paola.
Les noms d’écoles rendent aussi hommage aux têtes couronnées, dont la reine Paola. © belgaimage
Lire plus de:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire