Dans les pays riches, la croissance ne sert plus la lutte contre la pauvreté
Pour Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur les droits humains et l’extrême pauvreté, combattre les inégalités est la priorité.
Entre 1990 et 2015, le nombre de pauvres dans le monde est passé de 1,9 milliard à 736 millions, un progrès permis, pour une large partie, par la croissance de la Chine qui, à elle seule, a sorti 750 millions de ses concitoyens de la précarité. Pourtant, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits humains et l’extrême pauvreté, Olivier De Schutter, dézingue, dans son essai Changer de boussole (1), le mythe selon lequel le combat contre la pauvreté passe obligatoirement par la croissance.
L’expert belge distingue toutefois la situation des pays riches de celle des Etats pauvres. Dans ceux-ci, la croissance économique peut encore avoir une utilité dans la lutte contre la pauvreté «en ce qu’elle offrirait des opportunités de revenu à une main-d’œuvre en forte augmentation, en même temps qu’elle permettrait aux ménages d’atteindre des niveaux de vie qui les rapprocheraient de l’aisance des populations du Nord».
Dans les pays riches, en revanche, «la croissance économique a franchi le pic de son utilité ; elle est devenue contre-productive». Comment expliquer cette évolution? «Ne contribuant plus à améliorer le bien-être, elle “modernise” la pauvreté sans l’éliminer, en plus d’exercer une pression insupportable sur les capacités de la planète à fournir des ressources en quantité suffisante et à absorber les pollutions générées par son essor», analyse Olivier De Schutter. Par «pauvreté moderne», le rapporteur spécial de l’ONU évoque, outre ses difficultés pour accéder aux biens de première nécessité, «l’incapacité de l’individu à répondre aux attentes de la société dans laquelle il vit». Et de citer comme exemples l’absence de téléphone portable ou d’accès à Internet, l’incapacité d’organiser des funérailles dignes pour ses parents ou un mariage pour ses enfants…
Bref, les bénéfices que la croissance apportait dans la lutte contre la pauvreté sont désormais inopérants alors que ses effets néfastes sur la société et sur l’environnement ont explosé. Dans son plaidoyer revigorant, Olivier De Schutter prône donc différentes pistes (la garantie d’accès à un emploi, la réduction du temps de travail, l’opposition à la marchandisation universelle) pour délier croissance et combat contre la pauvreté, et même réconcilier les plus défavorisés avec la nécessité de la transition écologique. Car pour l’expert, «la prospérité sans croissance est possible».
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