© Hatim Kaghat

Dans les coulisses des Barjoret.tes: les nouvelles majorettes de Charleroi (Récit)

Mathieu Colinet Journaliste

Les stéréotypes passent, les majorettes restent. Une nouvelle troupe a vu le jour à Charleroi. Aucun critère n’était requis lors du recrutement si ce n’est l’envie de vivre une aventure collective. Mi-juillet, les «Barjoret.tes» ont fait leur première sortie.

Pour qu’on ne les voie pas, les nouvelles majorettes sont sorties par la porte arrière du Vecteur, l’espace culturel carolo, puis ont contourné l’îlot d’immeubles, une partie par la droite, une autre par la gauche, laissant invariablement derrière elles le sillage blanc et bleu de leur tenue. Postées aux deux extrémités de la rue, elles attendent que la musique commence. Ce samedi de la mi-juillet, dans le quartier de la Ville Basse, à Charleroi, elles vivent leur première sortie officielle. Il y a du stress dans l’air et, sous les tee-shirts barrés de l’inscription «Les Barjoret.tes», les cœurs battent vite.

Elles sont quinze en tout, de tous les âges. Il y a aussi Florent et Manu, embarqués dans l’aventure. A dix-sept donc, alignés au cordeau dans cette rue étroite, ils et elles incarnent parfaitement cette troupe atypique au sein de laquelle l’âge, le genre et les mille aspects d’un corps n’ont plus la moindre importance devant l’envie de défiler, bâton à la main, et de participer à une entreprise collective. Celle des Barjoret.tes – avec le point médian de rigueur – a commencé discrètement à la fin avril, puis s’est accélérée. Début de l’été, elle était devenue un sujet de conversation dans la métropole wallonne.

Mosaïque d’âges et de vécus

A l’origine du projet, il y a Christine et une collection de souvenirs lumineux. Enfant, elle défilait en majorette. La vie, ensuite, a filé, pas toujours douce. Par contraste, sans doute, ces images d’autrefois ont pris une valeur particulière. Elle en parle un jour à Charlotte et lui propose timidement de créer une troupe de majorettes. L’animatrice carolo de Présence et action culturelles (PAC) ne trouve pas l’idée saugrenue. Elle accepte, avec sa structure, de la soutenir à la condition de sortir des «critères» traditionnels de recrutement: pas que des fillettes ou des adolescentes mais des femmes peu importe leur âge et leur physique et, pourquoi pas, sur des bases similaires, des garçons et tout qui se retrouverait dans le projet.

© Hatim Kaghat

Fin avril, Charlotte et Christine exposent le projet aux personnes venues pour une séance d’information. L’animatrice de PAC le remet aussi dans un contexte plus général: celui de la disparition des troupes de majorettes. Il y a encore trente ou quarante ans, celles-ci étaient des éléments incontournables de la Belgique festive. Pas une ducasse, une cavalcade ou une fête de village ne se tenaient sans un défilé. Pour des raisons que des sociologues mettront en lumière peut-être un jour, elles ont ensuite progressivement disparu pour ne se maintenir qu’en de rares endroits.

Ce soir-là, les deux femmes en convainquent d’autres. Le bouche-à-oreille fait son œuvre les jours suivants et, très rapidement, la troupe voit le jour avec, dans ses effectifs, une quinzaine de membres et, en point de mire, une première sortie à la mi-juillet lors de la fête de quartier de la rue de Marcinelle, à Charleroi.

Dans sa composition, la troupe tient de la jolie mosaïque d’âges, de parcours, de vécus, de quotidiens. Au milieu de tout cela, l’envie de se glisser dans la peau d’une majorette occupe une place centrale. Enfants, certaines ont pu goûter à l’expérience et enfiler le costume et les bottes qui les faisaient tant rêver. D’autres pas, à l’instar d’Aurélie-Anne ou de Laurence, dont les parents «assez éloignés de cette culture populaire» n’ont pas voulu qu’elles fréquentent les cafés du village. Où précisément se trouvaient les locaux des majorettes…

D’autres motivations pointent également derrière la volonté de faire partie de la troupe, souvent plus intimes. Comme celles de donner de l’air à une vie personnelle un peu morose ou de trouver du répit à côté d’une activité professionnelle exigeante. Sandrine, elle, cherchait une «activité créative qui lui permette d’apprendre de nouvelles choses». Séduite, elle a fini par attirer dans le groupe une copine, qui a tendance à «broyer du noir ces temps-ci et a trop peu confiance en elle».

Manu, lui, a rejoint la troupe à la demande de Christine, sa voisine, à l’origine du projet. Il n’a pas sourcillé plus que cela. C’est l’avantage, sans doute, d’avoir eu plusieurs vies, dont une d’artiste transformiste et de drag queen durant les années 1990 sur les podiums des plus grandes discothèques du pays. A sa manière un peu punk d’envisager les choses, Florent, quant à lui, laisse à d’autres le soin de penser qu’un homme n’a pas sa place dans une troupe de majorettes. Sa boussole personnelle semble ailleurs. Dans le plaisir, peut-être, d’explorer des choses et de s’inviter où on ne l’attend pas. «Il y a cinq ans, je n’aurais pas imaginé non plus être sacristain dans une église. Aujourd’hui, pourtant, je le suis aussi», se marre-t-il.

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Des majorettes sur un air de Lady Gaga

Dans la rue de Marcinelle, les premières notes ont résonné en ce samedi de la mi-juillet. Les deux groupes de majorettes ont commencé à avancer vers le centre sur l’air d’une marche folklorique de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Entre les stands des brocanteurs et les terrasses des cafés, il y a du monde sur les trottoirs. Des proches mais aussi des inconnus dont on a l’impression, parfois, qu’ils mettent quelques secondes avant de comprendre. Cela ne dure pas. Les premiers applaudissements arrivent et viennent rythmer l’avancée des Barjoret.tes. Il y a encore du stress dans l’air. Mais dorénavant, aussi, quelques sourires sur les visages.

Arrivés au centre, les membres de la troupe marquent quelques secondes de pause. Retentit alors Bloody Mary de la chanteuse Lady Gaga. C’est la «grosse partie» de cette première sortie. Les Barjoret.tes s’animent et entament la chorégraphie. Les gestes sont précis et plutôt coordonnés. Les bâtons vont à droite, à gauche, dans les airs puis repiquent vers le bas. Comme c’est prévu. Car, une fois formée, au mois de mai, la troupe a commencé à répéter. Elle le fait à Montignies-sur-Sambre, au Cercle Saint-Charles, un vieux théâtre repris il y a quelques années. Les Barjoret.tes y prennent leurs quartiers un mercredi soir sur deux. A force, un des trois propriétaires les surnomme les «majorettes socialistes» – référence à Présence et action culturelles (PAC), le mouvement d’éducation populaire dont provient Charlotte et qui accompagne le projet. Ou les «majorettes écolos» – allusion peut-être à l’idée que ce dernier se fait des projets «inclusifs». Aux dernières nouvelles, il n’avait pas encore définitivement choisi entre les deux…

Une jolie mosaïque d'âges et de parcours différents pour faire revivre les troupes qui, autrefois, animaient systématiquement ducasses, cavalcades et fêtes de village.
Une jolie mosaïque d’âges et de parcours différents pour faire revivre les troupes qui, autrefois, animaient systématiquement ducasses, cavalcades et fêtes de village. © Hatim Kaghat

Souvent, Christine et Roxane préparent la séance en répétant de leur côté sur un parking proche de chez elles. Le mercredi, elles montrent le tout aux autres: ce qu’elles ont ajouté, ce qu’elles ont gommé à la chorégraphie. Puis la troupe s’exerce en enchaînant les versions. De semaine en semaine, les bâtons sont de plus en plus sous contrôle, les corps de plus en plus à l’aise et les gestes comme les déplacements de plus en plus précis. Dans les oreilles, la chanson de Lady Gaga sonne comme un hymne, sublimant les mouvements sous l’éclairage un peu blafard de la salle mais se laissant aussi embellir par les majorettes et tout ce qu’elles incarnent et dégagent d’énergie et d’optimisme.

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Un mercredi, il faut choisir un nom pour la troupe. Un autre, le logo à imprimer sur les tee-shirts parmi les trois versions réalisées par Sandrine. A chaque fois, Charlotte organise des petits moments de «démocratie» pour s’assurer que tout le monde est d’accord. Un autre mercredi encore, les Barjoret.tes arrivent une heure plus tôt pour orner leurs tee-shirts de rubans, de paillettes ou encore d’épaulettes. Ou de rien de tout cela pour celles qui n’aiment guère les froufrous.

Dans la dernière ligne droite, le stress monte. Christine veut entourer tout le monde. Et tout le monde essaie de prendre soin d’elle: «On veut vraiment que son projet réussisse», glissent discrètement les autres.

Retour à la rue de Marcinelle. La chanson de Lady Gaga se termine. Les quelques dizaines de personnes qui se sont massées là applaudissent fort. Un tel engouement n’était pas forcément prévu. Les Barjoret.tes se congratulent. Au moment de se retourner, plusieurs ont les yeux qui brillent anormalement sans qu’on sache vraiment à quelle fierté personnelle, quelle victoire, quel début de transition ou quelle cicatrice attribuer cette émotion. A chacun ses secrets…

De nouvelles sorties s’annoncent. Elles seront aux fêtes de Wallonie à Charleroi, début septembre. Dans la foulée, elles pourraient défiler à l’occasion d’un match d’un club carolo de football féminin. L’entame, peut-être, d’une longue carrière pour la troupe. D’ici là, Manu pense à inviter tout le monde pour un spaghetti. Ce sera l’occasion de se remémorer tous les souvenirs de ce bel été..

Séance de maquillage et d'habillage pour les Barjoret.tes, dont certaines ornent leur tee-shirt de rubans, paillettes voire d'épaulettes.
Séance de maquillage et d’habillage pour les Barjoret.tes, dont certaines ornent leur tee-shirt de rubans, paillettes voire d’épaulettes. © Hatim Kaghat
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