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Dans la tête des hommes violents: «Je ne m’attendais pas à un tel déni»

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Pendant quatre ans, Mathieu Palain est allé à la rencontre d’auteurs de violences faites aux femmes, de leurs victimes et de ceux qui les prennent en charge. L’écrivain et journaliste n’avait pas imaginé être à ce point bousculé dans ses certitudes.

Le journaliste français Mathieu Palain publie Nos pères, nos frères, nos amis. Dans la tête des hommes violents (éd. Les Arènes). De son propre aveu, il ne s’était jusque-là jamais intéressé aux violences faites aux femmes et pensait trouver dans ces groupes de parole des monstres ou des repentis rongés par les remords. Pas le boulanger du coin ou le voisin de palier en plein déni. Certes, on sait que les violences domestiques auxquelles on a assisté ou que l’on a subies dans l’enfance peuvent amener à répéter des schémas, parce que «le cerveau finit par s’adapter». La réalité, celle qu’il nous livre à travers les portraits de ces hommes ordinaires qui n’ont que les coups pour langage, n’en est pas moins glaçante.

Ils s’inquiètent des violences subies par les membres de leur entourage mais quand ce sont eux les auteurs, elles leur semblent toujours justifiables.

Qu’aviez-vous en tête quand vous avez poussé la porte du groupe de parole?

C’était dans un contexte assez particulier. Le mouvement MeToo avait démarré un an plus tôt et le climat en France était assez incandescent: l’affaire Polanski secouait le cinéma français, Adèle Haenel portait plainte (NDLR: contre le réalisateur Christophe Ruggia, pour attouchements et harcèlement sexuel)Je me suis rendu compte qu’alors que j’étais journaliste depuis dix ans, je ne m’étais jamais emparé de ce sujet. J’ai voulu rattraper mon retard en commençant par la lecture de King Kong théorie, de Virginie Despentes. J’ai été marqué par le fait qu’elle affirmait que la violence envers les femmes était très courante. J’ai commencé à interroger mon entourage et je me suis rendu compte qu’effectivement, ces cas étaient nombreux. Si je n’avais pas posé la question, j’aurais continué à vivre dans l’illusion que ce n’était pas le cas.

(1) Nos pères, nos frères, nos amis. Dans la tête des hommes violents, par Mathieu Palain, Les Arènes, 237 p.
(1) Nos pères, nos frères, nos amis. Dans la tête des hommes violents, par Mathieu Palain, Les Arènes, 237 p. © National

Vous pensiez rencontrer des hommes conscients de leur problème, des repentis, mais la réalité fut tout autre…

J’avais en tête l’image de ces groupes de parole véhiculée par le cinéma: des participants assis en cercle, comme chez les Alcooliques Anonymes, se livrant: «Bonjour, je m’appelle untel et je frappe ma femme.» Au lieu de cela, je suis tombé sur des hommes qui n’admettaient rien. Je ne m’attendais pas à un tel déni.

Est-ce capital, dans leur prise en charge, que ces hommes admettent publiquement ce qu’ils ont fait?

On a envie qu’ils s’expliquent, bien sûr, et que leurs mots puissent agir comme un médicament. D’ailleurs, ceux qui admettent les faits sont généralement à une étape avancée de leur cheminement. Ils ont déjà accompli un travail sur eux-mêmes, ont fait remonter leurs traumatismes à la surface. Parce que la violence, ce n’est pas quelque chose qu’on porte en soi dès la naissance. C’est la société patriarcale qui fait qu’en tant que mec, vous vous en emparez. Ce n’ est que quand ils comprennent qu’ils reproduisent ce qu’ils ont vécu étant jeune que ces hommes sont en mesure de faire des aveux.

Ce rattachement à des schémas explique aussi que certaines victimes restent auprès de leur bourreau. L’une d’elles a ces mots: «Je me retrouve dans cette violence, c’est familier, […] c’est terrible mais c’est aussi chaleureux, je sais comment m’y déplacer»…

Le cas de cette femme est terrifiant parce qu’elle n’a pas été reconnue comme victime par la justice. Elle a, depuis, mené une profonde réflexion sur sa vie, pour identifier ses failles et comprendre pourquoi elle se retrouve toujours avec des hommes violents. Elle est parvenue à remettre en question son éducation, celle que lui a donné un père charismatique mais violent.

Ce que veut l’auteur de violences, c’est dominer sa partenaire, montrer qu’il est seul maître à bord. Pourquoi se sent-il menacé par l’évolution de la société et l’égalité des genres?

Ce qui fait peur aux bourreaux, c’est le déclassement. Ils pensent que, puisque les femmes sont devenues autonomes, elles n’ont plus besoin d’eux. Ça fait deux mille ans qu’on leur dit qu’ils sont les chefs de famille, qu’ils doivent se montrer protecteurs, dominants. Que parce qu’ils ramènent l’argent à la maison, ils peuvent revendiquer un certain pouvoir. Mais avec MeToo, le débat s’est imposé dans la sphère médiatique et la société a commencé à remettre en cause ces modèles. Pour eux, cet accès à l’égalité est vécu comme un changement trop rapide, trop brutal. Ils interprètent cela comme un grand complot fomenté par des femmes devenues dingues et qui cherchent à se venger de la domination masculine. D’autant qu’ils partent souvent d’un modèle où la mère était une femme au foyer et le père un dominateur, ou un tyran, qui n’a jamais été inquiété par la justice. Ils ne comprennent pas qu’ils puissent se retrouver en prison alors qu’ils ont suivi les règles qu’on leur a inculquées. Ces hommes font également preuve d’une certaine immaturité. Ils ont été élevés dans l’idée, véhiculée entre autres par les films ou les séries télé, qu’on résout ses problèmes par la force, qu’on ne communique ses émotions qu’en faisant usage de ses poings.

Le paradoxe, c’est qu’ils se montrent protecteurs envers leurs sœurs, leurs filles, tout en frappant leur compagne…

Ça montre à quel point ils se sentent perdus dans cette société qui a bien changé. Pour eux, il n’y a que deux types de femmes: maman et les autres – qui couchent avec tous les hommes, par exemple. Ils vous exposent ce genre de conception puis, dans la foulée, vous disent: «Qu’est-ce qu’elle a souffert avec mon père, maman.» Ils s’inquiètent des violences subies par les membres de leur entourage, disent qu’ils seraient capables de tuer un homme s’il violait leur femme, mais quand ce sont eux les auteurs, elles leur semblent toujours justifiables.

La question à ne jamais se poser, dites-vous, c’est: qu’est-ce qu’elle a fait pour qu’il la frappe?

Parce qu’il faut se défaire de cette image du mec qui pète les plombs comme si on avait appuyé sur l’interrupteur. Arrêter de se demander pour quelle raison il a frappé sa femme. Elle n’a rien fait, évidemment! Les raisons sont toujours ridicules. La violence et le besoin de dominer l’autre sont présents chez ces hommes en permanence. Elle est là, la vraie raison. Elles se traduit par des insultes, du mépris, puis les coups arrivent…

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