Crack: « Sans la drogue, la vie devient vide ou grise »
Le crack a des effets «brutaux» sur les consommateurs. Sa prise répétée «désensibilise» rapidement les voies naturelles de la récompense du système nerveux.
Professeur de pharmacologie à l’UCLouvain, Emmanuel Hermans s’est intéressé à l’action des drogues. Il attire l’attention sur les effets du crack. Notamment la «concurrence» particulièrement inégale entre les sensations générées par la substance et les plaisirs «ordinaires» du quotidien, jusqu’à ce que la drogue devienne la seule priorité dans la vie des consommateurs.
Quels sont les effets du crack?
En tant que dérivé de la cocaïne, le crack est une substance psychostimulante. La personne qui en consomme montre une hyperactivité, se sent euphorique et est envahie par un sentiment de bien-être, des idées de grandeur, une impression d’invulnérabilité. Elle voit sa vigilance augmenter de même que sa concentration et sa libido. En outre, le crack provoque une désinhibition, de l’insomnie. Il entraîne un excès d’impulsivité, une perte de contrôle et induit des comportements à risque. Le plus souvent, le crack est fumé. C’est un mode d’administration assez facile, peu stigmatisant comparé à l’injection ou au «sniffage». Il favorise une absorption très rapide de la substance par les voies respiratoires, vers le sang et ensuite le cerveau. Les effets sont quasi immédiats, ce qui explique l’effet «flash» ressenti par les consommateurs avant une redescente qui est également rapide et qui incitera à consommer à nouveau dans un délai relativement court.
Avec le crack, le toxicomane se détourne de toute activité plaisante.» Emmanuel Hermans, professeur de pharmacologie (UCLouvain).
Dans quelle mesure cette «envie irrépressible» de consommer à nouveau est-elle effectivement très forte?
L’effet du crack est brutal. La substance stimule la voie de la récompense dans le cerveau. Ainsi, les consommateurs rapportent qu’elle génère des sensations fortes qui dépassent de loin les plaisirs ordinaires du quotidien. La dépendance peut s’installer très vite, après seulement quelques prises. A ce stade, il y a une réelle adaptation du système nerveux, de l’activité de certaines structures cérébrales plus précisément, comme des études réalisées sur des rongeurs par imagerie cérébrale ont pu le démontrer. Ces modifications sont loin d’être anodines. Elles sont persistantes et ont pour conséquence de désensibiliser, voire de neutraliser ce système naturel de récompense qui s’active d’ordinaire en réponse à des activités plaisantes «simples» comme manger un bon repas, rencontrer des amis, faire un sport que l’on aime ou assister à un concert. L’administration répétée de crack affaiblira rapidement ce système de la récompense et seule la consommation de cette drogue puissante parviendra à le stimuler. Par ailleurs, la réponse à la drogue elle-même s’affaiblira progressivement. Cela obligera le consommateur à s’administrer des quantités de plus en plus élevées pour satisfaire sa quête de plaisir. Sans la drogue, la vie devient vide ou grise. L’individu adopte un comportement dépressif, il manque d’énergie et est envahi d’un profond mal-être. Le toxicomane se détourne de toute activité plaisante. Il délaisse ses proches et perd ses relations sociales et professionnelles. Il néglige son propre organisme, son hygiène, son alimentation. Son existence tout entière tourne alors autour du crack. La priorité unique est de s’en procurer et de consommer coûte que coûte.
Quels liens faites-vous entre les effets du crack et le fait qu’il soit surtout consommé par les personnes vivant dans la rue?
Clairement, le crack est une substance qui procure un sentiment de bien-être. Par conséquent, j’imagine que pour des sans-abri, qui connaissent des conditions de vie difficiles, en consommer relève d’une forme de remède contre le mal-être, contre l’isolement. Par ailleurs, le crack, comme d’autres drogues stimulantes, est anorexigène. C’est-à-dire qu’il diminue la sensation de faim et d’appétit. Une propriété qui, de nouveau, peut croiser les réalités des sans-abri. Il ne faut toutefois jamais perdre de vue que lorsqu’on parle de consommation de drogue, nous ne sommes pas tous égaux face à celle-ci. Une série d’études ont ainsi démontré qu’il existait des prédispositions génétiques qui créent chez les individus autant de terrains favorables à la toxicomanie. Là où certains ne verront pas ces prédispositions génétiques, on peut facilement comprendre que les conditions de vie rencontrées par les sans-abri sont certainement propices à faire basculer dans la toxicomanie les individus présentant de telles prédispositions.
Dans quelle mesure est-il compliqué d’arrêter de consommer lorsqu’on est devenu accro?
C’est vraiment compliqué. Les drogues en général et le crack en particulier agissent sur la voie de la récompense et en détruisent le fonctionnement physiologique, comme je vous le disais. Cette voie est particulièrement précieuse, elle soutient la motivation. Sortir de la spirale infernale de l’addiction demande une volonté forte, une réelle motivation. Or, la personne est fragilisée et c’est précisément cette motivation qui est prise en otage par la drogue. Le toxicomane qui veut arrêter peine à se raccrocher à tout ce qui anime un individu au quotidien. Ces plaisirs lui apparaissent comme profondément dévalués. Cela ne signifie pas qu’on ne peut pas s’en sortir. On peut y arriver, mais cela demande un accompagnement médical qui s’inscrira dans la durée. Pour l’heure, à l’inverse de l’héroïne ou de la nicotine, par exemple, il n’existe pas de substance de substitution thérapeutique au crack. Pour autant, la prise en charge du toxicomane peut être accompagnée de divers médicaments afin de réduire les effets indésirables induits par le ralentissement ou l’arrêt de la consommation: irritabilité, anxiété, problèmes digestifs… Tout cela peut aider sur la voie du sevrage.
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