Congélation d’ovocytes: « Si je n’ai pas d’enfant à 38 ans, ma tristesse me coûtera plus cher que ces 3500€ »
La congélation d’ovocytes permet aux femmes de préserver leur fertilité et de reporter leur projet de grossesse à un moment ultérieur. Pour beaucoup, l’investissement financier se justifie par une volonté de maîtriser son destin et d’ôter une certaine pression de ses épaules.
Savoir que j’ai cette assurance, cette petite certitude dans un frigo, cela m’a complètement libérée ». L’année dernière, comme des centaines de femmes en Belgique, Sabrina (35 ans) a décidé de congeler ses ovocytes. « Un peu sur un coup de tête. Mon objectif, c’était vraiment de gagner du temps. »
Après de premiers rendez-vous gynécologiques et psychologiques au printemps 2022, Sabrina a entamé le véritable processus de congélation fin juin. Une dizaine de jours d’injections pour stimuler les ovaires, d’abord. Une première ponction ovarienne, ensuite. « A l’issue de l’intervention, le 8 juillet, j’ai pu congeler six ovocytes », se remémore-t-elle. Idéalement, les médecins préconisent de récolter une vingtaine d’œufs pour maximiser les chances de grossesse future. Ce qui oblige généralement les patientes à répéter le cycle plusieurs fois. « Comme je répondais très bien au traitement, on a décidé d’enchaîner assez rapidement. Ma deuxième ponction a eu lieu le 30 août. Cette fois, on a récolté 10 ovocytes. Début septembre, tout était déjà derrière moi. »
Si Sabrina a peu tergiversé, la majorité des femmes traversent une phase légitime de questionnements avant de franchir le cap de la congélation. Il y a d’abord l’investissement financier à considérer (il faut compter environ 3.000€ par ponction), mais aussi toute une série de doutes à affronter. « Je me suis beaucoup interrogée, se souvient Stéphanie, qui a congelé ses ovocytes à 37 ans. J’avais l’impression que dans la démarche, il y avait peut-être quelque chose de négatif et pessimiste : cela voulait-il dire que je ne croyais vraiment pas rencontrer quelqu’un ? Je me questionnais aussi sur mon véritable désir d’avoir des enfants. Au vu de l’état actuel du monde, n’est-ce pas un acte égoïste de donner naissance, simplement pour avoir une descendance ? »
« Un privilège de riches »
Face à ces interrogations, le soutien des proches peut généralement s’avérer être un moteur. « Ma famille m’a encouragée, confie Sabrina. Ma sœur m’a dit : ‘Quand bien même tu rencontres quelqu’un, tu ne regretteras jamais d’avoir mis tes œufs aux frigos. Tu n’as rien à perdre’. Cela m’a convaincue ». Malgré la normalisation de la démarche ces dernières années, la congélation des ovocytes reste parfois encore incomprise et peut entraîner avec elle son lot de stigmatisations. « La première fois que j’en ai parlé à mes parents, ils étaient réticents, témoigne Stéphanie. Ma mère ne comprenait pas la démarche. Mon père tempérait, me disait d’attendre un peu. Il craignait que j’aie un enfant toute seule. Au fil des mois, ils ont compris que je voulais simplement m’assurer la possibilité de devenir mère un jour. Ils ont vu que cela me tenait à cœur, donc ils ont voulu me soutenir dans le projet, comme ils l’ont fait dans le cadre de notre éducation ou de nos études. Ils ont donc financé l’entièreté de ma congélation. Finalement, j’ai eu l’impression de faire cette démarche en famille, et cela m’a vraiment aidée à passer le cap. »
Le coût financier est généralement l’aspect qui réfrène le plus de femmes avant d’entamer le processus. Si la congélation est remboursée en France, elle ne l’est pas en Belgique, sauf pour raisons pathologiques, telles qu’un traitement de chimiothérapie qui peut altérer la fertilité. « Chez nous, la congélation reste un privilège de riches, résume Stéphanie. Personnellement, si mes parents ne m’avaient pas aidée, j’y aurais peut-être réfléchi à deux fois. J’aurais pu me le payer, mais au vu de la crise actuelle, l’aspect financier aurait clairement pesé dans la balance. »
« Ma tristesse me coûtera bien plus cher »
Pour beaucoup, le désir de maternité justifie amplement l’investissement. « Finalement, le coût physique et financier que cela représente, ce n’est pas si important, expose Sabrina. Bien sûr, c’est un investissement d’argent – et de temps aussi, parce que pendant deux mois, il y a beaucoup de rendez-vous médicaux et de complications – mais qu’est-ce que c’est à côté de connaître un jour la maternité ? Le calcul a été vite fait. Si je n’ai pas d’enfants à 38 ans, je sais que ma tristesse coûtera bien plus cher que ces 3500€. »
« Parfois quand on est en couple, dans la trentaine, on peut sans le vouloir exercer une certaine pression sur son partenaire pour avoir un enfant »
Surtout, congeler ses ovocytes permet de se débarrasser d’une certaine pression, tant sociétale que personnelle. « Aujourd’hui, je me concentre sur ce que je veux vraiment, insiste Stéphanie. Je ne ressens plus ce stress pesant, qui me disait toujours ‘Il faut que je trouve quelqu’un, il faut que je me dépêche pour faire des enfants’. La pression, aujourd’hui, elle est mise de côté. Je sais que je peux avoir un enfant toute seule. Je rêve évidemment toujours de faire un bébé avec quelqu’un, mais si jamais je n’y arrive pas, j’ai toujours mes œufs de côté. »
« On voit un père en n’importe qui »
Cette sérénité permet également d’envisager la vie sentimentale différemment. « Quand on a ce stress d’avoir des enfants, on voit un père en n’importe qui. On en vient à faire abstraction des éléments importants qui conditionnent la paternité. Cela explique selon moi le haut taux de divorce chez les trentenaires, estime Stéphanie. Maintenant, quand je vais prendre un verre avec un homme, je sais exactement pourquoi je le fais : c’est simplement parce que je le trouve intéressant, parce qu’on a une vraie connexion ». « Parfois quand on est en couple, dans la trentaine, on peut sans le vouloir exercer une certaine pression sur son partenaire pour avoir un enfant, renchérit Sabrina. Le fait de congeler mes ovocytes, cela m’a permis d’enfin entamer une relation sereinement. »
« Si je peux contrôler mon désir de maternité grâce à la médecine, je le fais. Ma situation financière et le progrès médical me le permettent, donc pourquoi hésiter ? »
Pour nombre de femmes, la congélation reste finalement un moyen comme un autre d’être maître de son futur. « Personnellement, je suis quelqu’un qui aime bien contrôler sa vie, concède Sabrina. Si je peux contrôler mon désir de maternité grâce à la médecine, je le fais. Ma situation financière et le progrès médical me le permettent, donc pourquoi hésiter ? Dépenser 3500€, c’est beaucoup d’argent, mais c’est un investissement que je ne regretterai pas, même si je n’ai finalement jamais recours à mes ovocytes. »
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