Comment rendre les ados (plus) heureux? «Ils doivent sentir qu’ils peuvent influencer leur avenir»
Solitude, anxiété, perte de sens: les ados vont mal, leur entourage s’inquiète. Il n’existe pas de recette miracle pour faire leur bonheur, mais quelques stratégies peuvent être utilisées pour protéger leur santé mentale.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle s’étend sur une période comprise entre 10 et 19 ans. Légalement, elle s’achève à 18 ans. Pour le psychiatre Marcel Rufo, elle peut aller «de l’entrée au collège jusqu’à Tanguy», et la trentaine. Pour les parents qui la subissent, elle semble durer une éternité. L’adolescence est l’une des périodes les plus critiques de l’existence. C’est aussi l’une des plus intéressantes: à la fois excitante et angoissante, merveilleuse et ingrate. Depuis quelques années, elle est surtout source d’inquiétude de la part des professionnels de la santé, des enseignants, des politiques et surtout de tous ces parents qui constatent, avec tristesse et désarroi, que leur ado ne va pas bien.
Ce n’est pas qu’une impression. Les récentes études sur le bonheur révèlent unanimement une dégradation du sentiment de bien-être et de la santé mentale chez les jeunes. Des études qui, pour la plupart, ont été menées pendant ou après les éprouvantes périodes de confinement mais qui reflètent une situation bien antérieure à la pandémie de coronavirus. Un malaise plus profond que les longs mois de restrictions sociales auraient exacerbé et mis en évidence.
Le manque d’interactions sociales, l’anxiété, les expériences traumatisantes (harcèlement scolaire, violences sexuelles et/ou psychologiques, précarité, etc.), la perte de sens et de confiance en l’avenir, la peur de l’échec et la solitude sont les causes individuelles ou sociétales les plus régulièrement citées dans les baromètres.
Quinze cigarettes par jour
Une «épidémie de solitude», liée à un cruel manque de liens sociaux et dont les jeunes seraient les premières victimes, c’est ce que décrit un rapport officiel publié en 2023. La solitude et l’isolement social constituent un véritable problème de santé publique dès lors qu’ils augmentent les risques de décès prématurés de 26% pour la solitude et de 29% pour l’isolement social. Plus largement, le manque de liens sociaux augmenterait autant ce risque de décès prématurés que le fait de fumer quinze cigarettes par jour. Un lien social faible ou insuffisant est également associé à un risque accru d’anxiété, de dépression, de démence, de maladies cardiaques, d’accidents vasculaires cérébraux, ainsi qu’à une plus grande susceptibilité aux virus et aux maladies respiratoires. La santé des ados est également un enjeu pour le marché du travail puisque tous ces jeunes en mal-être seront les adultes et, pour la plupart, les actifs de demain.
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Dans son ouvrage Adolescence et santé (éd. Acadamia, 2022), Nicolas Zdanowicz, chef du service de psychosomatique au CHU Namur-Godinne et professeur de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte à l’UCLouvain, aborde l’épineux sujet de la dépression et du suicide chez l’adolescent. L’une des difficultés pour l’adulte, expose-t-il, est de faire la distinction entre le «normal» et le pathologique quand il s’agit d’adolescents. «S’il est facile de repérer un ado dépressif dans la période juvénile, parce qu’il contraste avec ses pairs, à partir de 16 ou 17 ans, il est en revanche rare de trouver un jeune qui n’a aucun symptôme dépressif. Le repérage du jeune qui présente un épisode de dépression majeure devient, dès lors, beaucoup plus compliqué.» La hantise de passer à côté d’un cas d’un adolescent suicidaire explique peut-être, avance le psychiatre, pourquoi tant d’antidépresseurs sont prescrits. De fait, selon Les Mutualités libres, le nombre d’adolescents qui en consomment a augmenté de 60% entre 2017 et 2022. A lui seul, le suicide représente, selon l’asbl Un pass dans l’impasse et le Centre de prévention du suicide, un quart des décès chez les 15-24 ans.
Que faire pour aider ces ados à se sentir (plus) heureux? La recette du bonheur n’existe pas mais il est possible de leur procurer une sécurité émotionnelle en appliquant quelques principes validés par la science ou dont les professionnels de la santé ont observé les effets bénéfiques.
«La crise d’adolescence n’est pas celle de l’adolescent lui-même… C’est celle de ceux qui s’occupent de l’adolescent.»
Bruno Humbeek
Plus passionnant qu’une série Netflix
Penser l’adolescence passe d’abord par une remise en question de certains préjugés et stéréotypes sur cet «âge ingrat» qui n’est peut-être pas si terrible qu’il en a l’air. «La crise d’adolescence n’est pas celle de l’adolescent lui-même… C’est celle de ceux qui s’occupent de l’adolescent», ironisait Bruno Humbeeck, docteur en psychopédagogie, pédagogie familiale et scolaire, sur la RTBF le 30 mai 2023.
Une vision plus positive que défend également Alain Malchair, pédopsychiatre au CHU de Liège: «Les psychologues ont souvent tendance à parler de cette période comme d’un bouleversement, d’un traumatisme. Ce qui est plus récent, c’est que cette vision devient aussi dominante dans le discours sociétal. Quand un enfant de 6 ou 8 ans fait des bêtises et se montre un peu insupportable, on entend souvent dire qu’il commence son adolescence. Et quand il s’agit d’une personne de 25 ans, 30 ans ou même 40 ans, que c’est un ado attardé. La référence sociale de l’adolescence est finalement toujours négative. Cela témoigne d’une certaine appréhension de la part des parents, d’une peur de perdre le contrôle.»
Alors que, écrit le psychiatre David Gourion dans Le Secret des ados heureux (Odile Jacobs, 2024), «l’ado est plus imprévisible et passionnant qu’une série Netflix». Le cerveau des ados est stochastique, décrit-il. Il comporte une part d’incertitude, de flou et de chaos. Il est également ultrasensible aux récompenses, ce qui peut expliquer sa propension à rechercher de nouvelles expériences. David Gourion suggère d’adopter une posture mentale de curiosité face au goût du risque et aux explosions émotionnelles de ces ados «naturellement équipés pour faire face à l’incertitude» et de «leur offrir des occasions de prise de risques contrôlés».
D’autant qu’il est possible de tirer profit de cette impulsivité pour motiver le jeune et l’aider à améliorer son rapport au monde, souffle Alain Malchair. «Les pulsions peuvent mener à l’anarchie mais si elles sont accompagnées, structurées, elles peuvent produire quelque chose de formidable. Là où un adulte mettra une semaine pour organiser une activité, peser le pour et le contre, l’ado se motivera et se mettra en mouvement immédiatement s’il pense que ce sera super. Avec lui, tout est possible».
4,4%
des 10-14 ans et 5,5% des 15-19 ans souffrent d’un trouble anxieux.
Le rituel contre l’impermanence du monde
L’un de ces moyens qui ont fait leurs preuves, lance Rémy Oudghiri, sociologue du contemporain et auteur de Ces adultes qui ne grandiront jamais. Petite sociologie des grands enfants (Arkhé, 2017) est de réinstaurer un sentiment de permanence afin d’aider les jeunes à se projeter dans l’avenir. «Pendant des siècles, la religion a garanti cette permanence, par ses rituels et en promettant que demain sera meilleur qu’aujourd’hui. Mais la religion est en recul. Les rituels ont volé en éclats et nous n’avons plus du tout la conviction que nous allons vers un monde meilleur. Nous vivons dans une époque où nous nous lassons très vite des choses. Nous sommes sans cesse occupés à réinventer notre vie. Nous commençons quelque chose, mais passons très vite à la suivante. La persévérance fait cruellement défaut à notre époque. A cela s’ajoute le problème de la surconsommation des réseaux sociaux sur lesquels défilent des contenus immatériels. Nous sommes emportés dans un flux permanent et nous n’avons plus la maîtrise de nous-mêmes».
«Les études que nous avons menées sur le bonheur, poursuit Rémy Oudghiri, ont montré que les personnes les plus heureuses sont celles qui adoptent des routines de vie, typiquement comme manger chaque soir avec leurs parents ou dîner dans leur restaurant préféré, car ce sont autant de rendez-vous qui suscitent l’attente. Ce sont aussi celles qui voient régulièrement les personnes qu’elles aiment, qui fréquentent des clubs de sport, des associations ou tout autre groupe.» L’une des pistes pour sortir la jeunesse de sa solitude serait donc de recréer, au sein de la famille comme de la société, des espaces communs où les interactions sont possibles, favorisées et encouragées, préconise le sociologue.
«Je suis frappé par la tolérance des parents face au décrochage scolaire, de la façon dont ils reportent la faute sur l’école.»
Alain Malchair
Psychiatre
Se mobiliser, pour soi et pour les autres
L’engagement et l’investissement font aussi partie des ingrédients du bonheur, s’accordent à dire Rémy Oudghiri et Alain Malchair. Les études montrent, par exemple, que les personnes qui consacrent une partie de leur temps aux autres sont moins déprimées car elles trouvent dans cet engagement une source de gratification personnelle, une forme d’accomplissement. Une enquête mondiale sur les valeurs montre aussi que les jeunes qui privilégient des valeurs telles que le sentiment d’affiliation et la contribution à la communauté se disent plus satisfaits de leur vie, plus heureux et en meilleure santé, que ceux qui valorisent le succès financier et le pouvoir.
La diminution de la réalité physique du contact qu’il observe chez les jeunes inquiète Alain Malchair. «La présence physique de l’autre à côté de soi est rendue inutile par l’existence des réseaux sociaux. Dès lors, toute la sensorialité propre à la réalité physique des liens disparaît. Mais ce qui est bien avec les ados, contrebalance-t-il, c’est qu’ils se montrent généralement réceptifs quand on aborde le problème et qu’on leur propose d’y réfléchir ensemble. En réalité, ces jeunes restent dans une situation d’appétence relationnelle. Les réseaux sociaux les laissent sur leur faim.»
Le problème, résume le psychiatre, n’est pas tant les écrans que le manque d’activités relationnelles hors des écrans. Sur ce point, les parents ont un rôle à jouer en s’assurant que leurs ados continuent à pratiquer un sport ou toute autre activité qui les sort régulièrement de leur bulle numérique. «Une fois que les écrans ont pris le dessus, il est très difficile de faire marche arrière.» Une recommandation qui se heurte à deux difficultés: les contraintes organisationnelles et financières et le temps consacré à la scolarité. «Or, la scolarité est trop souvent considérée comme une variable d’ajustement lorsque les activités extrascolaires et les écrans prennent trop de place.»
La perte de sens pose également problème aux jeunes d’aujourd’hui. Ce «à quoi bon?» qui trahit un manque de confiance en l’avenir et de foi en ses promesses. «Pour un certain nombre de jeunes, l’école n’est d’ailleurs plus une obligation, c’est une option. On constate aussi qu’ils sont de moins en moins responsabilisés. Je suis souvent frappé par la tolérance des parents dont l’enfant est en décrochage scolaire et de la manière dont ils reportent la faute sur l’école.»
Magali Lahaye est professeure de psychologie clinique de l’enfant à l’UCLouvain. Elle encourage les parents à valoriser les compétences de leurs enfants, sans les survaloriser. «La survalorisation produit une baisse de la motivation et n’encourage pas à persévérer. Il est important de soutenir son enfant mais également de poser un cadre. Car l’absence de cadre peut être source d’anxiété. Pour un jeune, c’est comme dévaler une piste noire de ski sans le moindre repère. Comment savoir si on est toujours sur la piste ou hors piste?»
«L’important est de pouvoir identifier les besoins du jeune en prenant le temps de l’écouter, sans vouloir à tout prix trouver une solution.»
«C’est pas le moment»
Ecouter, soutenir et accompagner l’ado tout en faisant preuve de fermeté lorsque les limites sont dépassées, c’est aussi ce que conseille le Dr. David Gourion dans son ouvrage. A un adolescent qui avait tendance à se victimiser et qui tenait un discours dénigrant envers sa mère, le psychiatre a fait comprendre que s’il restait dans cette posture de victime, il resterait une victime toute sa vie, même avec ses propres enfants. Un entretien assez dur pour le jeune mais qui l’avait fait réfléchir. «Il est essentiel de promouvoir la responsabilisation personnelle et d’encourager nos adolescents à reconnaître leur rôle dans leurs propres succès ou échecs. Seule cette attitude pourra les aider à se sentir maîtres de leur vie et moins dépendants des circonstances extérieures. Cela contribue au développement de la résilience face aux défis mais aussi de l’empathie.» Des recherches montrent que les ados ayant une forte tendance à la victimisation expriment un désir accru de vengeance, avec un besoin élevé de reconnaissance du préjudice. «Aider les ados à pardonner quand c’est justifié peut améliorer leur vie relationnelle, actuelle et futur.»
Encore faut-il distinguer responsabilisation et culpabilisation. La jeunesse actuelle évolue dans un monde qui change très vite et dont le futur inquiète. Face à la question climatique, aux conflits armés, aux crises économiques, à la montée des populismes et à l’instabilité du marché du travail, ils sont nombreux à présenter des signes d’anxiété. Selon l’OMS, 4,4% des 10-14 ans et 5,5% des 15-19 ans souffrent d’un trouble anxieux. Les filles sont deux fois plus susceptibles que les garçons d’en développer.
Faut-il rassurer les adultes en devenir, leur promettre comme le chante Orelsan que «tout va bien», que «tout va s’arranger» et qu’«on en rira quand on l’verra sous un jour meilleur»? «Ce qui est important, évalue Magali Lahaye, c’est de pouvoir identifier les besoins du jeune en prenant le temps de l’écouter, sans vouloir à tout prix trouver une solution. Il faut qu’il puisse sentir qu’il existe une forme d’ouverture, un espace pour identifier et nommer les choses. On peut aussi lui faire comprendre qu’il n’est pas responsable de tous ces événements mais qu’il peut, en développant ses compétences et en se fixant des objectifs atteignables, changer les choses à son échelle et avancer dans le monde. Il est important aussi de lui faire comprendre qu’il n’est pas seul, qu’il a une équipe autour de lui.»
Pour la professeure de l’UCLouvain, il est préférable de ne pas anticiper systématiquement les questions existentielles ou délicates mais de se montrer disponible et à l’écoute lorsqu’elles seront formulées. «Certains sujets, comme les comportements à risque ou la sexualité peuvent être discutés très tôt. Pour d’autres, il vaut parfois mieux attendre que ce soit le bon moment pour lui.» Il faut également pouvoir admettre son ignorance sur certains points plutôt que de balayer ou de minimiser ses craintes et ses doutes. «Et si ce n’est pas le bon moment pour le parent ou qu’il ne sait pas quoi répondre, il peut expliquer à son enfant que, là tout de suite, il n’est pas prêt à avoir cette discussion mais qu’il va se renseigner et revenir vers lui quand il aura des éléments de réponse.» Une autre stratégie est de profiter de l’occasion pour inviter le jeune à réfléchir ensemble à ce qui le préoccupe, de l’inclure dans la recherche d’une solution et dans la prise de décision.
Quand la famille rend malheureux
Développer une écoute active, une communication ouverte et sans jugement, procurer aux ados un soutien pratique et émotionnel, c’est aussi ce qu’encourage à faire le Dr. Gourion. «Les adolescents doivent sentir qu’ils peuvent influencer leur avenir et réaliser leurs aspirations. Montrer de l’enthousiasme pour leurs projets et intérêts peut les encourager à poursuivre leurs passions et à croire en leurs rêves.»
Et si la famille est dysfonctionnelle et elle-même source d’angoisse? Les temps sont durs… pour les ados mais aussi pour leurs parents qui sont souvent aimants et de bonne volonté mais qui se sentent submergés par les problèmes, écrasés par les pressions et les injonctions sociales, ou qui ne savent tout simplement pas comment communiquer avec leurs enfants. Dans un monde idéal, la famille serait un merveilleux bastion pour l’ado. Hélas, c’est dans un cadre terriblement toxique que certains tentent de naviguer, avec plus ou moins de succès, rappelle l’auteur du Secret des ados heureux. Pour ces jeunes qui évoluent dans un environnement chaotique, les thérapies familiales mais également le soutien de l’école et des proches peuvent jouer un rôle important dans le maintien de leur stabilité.
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