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Comment nous rendons nos chats fous : « L’homme a déplacé ses désirs sur eux »

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Les chats se comportent comme des chiens, pour mieux répondre aux attentes des humains. Ce qui peut  les rendre «fous».

Gustav a disparu. Ses «parents» l’ont cherché partout, en vain. «Ce n’est pas un vagabond, juste un jeune homme avec l’œil droit voilé», précisait l’appel à témoins diffusé en janvier sur les réseaux sociaux. Gustav, un an, est un chat. Retrouvé peu après, il doit à nouveau rôder dans les jardins, équipé désormais d’un collier GPS.

Plus tôt, c’est un autre minet qui a fait les gros titres: «Mélanie et Idan choqués en découvrant ce que la commune a fait de leur chat décédé», lisait-on sur Info, le 12 novembre dernier. Disparue en septembre, recherchée durant plusieurs semaines par ses maîtres, Tardis est récupérée dans le congélateur du bureau des objets perdus de la Ville de Bruxelles. La cellule Désinfection, chargée d’enlever les animaux morts sur la voie publique, l’a ramassée mais personne n’a été prévenu. Résultat, des propriétaires qui se disent «choqués», des autorités embarrassées et qui doivent se justifier.

Il est loin le temps où pépé jetait des sacs de chatons dans la rivière sans que cela n’émeuve grand monde. Seul félin a avoir été domestiqué (il y a près de neuf mille ans, en Asie mineure), le chat est omniprésent, vedette d’Internet et des réseaux sociaux. Il a remplacé les enfants dans les bêtisiers, la tête coincée dans un cintre, chutant dans la cuvette des toilettes, massacrant le canapé ou saucissonné tel un rôti clignotant dans la guirlande du sapin. Dans les vidéos de bébé, les parents présentent le nourrisson à son «grand frère» moustachu et postent des séances de cododo ou de jeu au sein du nouveau foyer.

Un membre de la famille à part entière, qui semble, en outre, incarner de nouvelles manières de vivre. En plus d’être mignon, le minou est commode: il peut vivre en ville ou en appartement, être laissé seul deux, trois jours, n’aboie pas quand ses maîtres s’absentent. Il est devenu iconique, tant il correspond aux valeurs de l’époque, de l’ère post-MeToo et post-Covid. «Ils sont les hérauts de certaines valeurs: le respect du corps, le repli sur son territoire, la banalisation du télétravail et le “cocooning”», observe Claude Béata, vétérinaire clinicien formé à la science de l’éthologie, spécialiste en médecine du comportement et auteur de La Folie des chats (Odile Jacob, 2022).

Les chats, animaux préférés des Belges

En une vingtaine d’années, le chat est devenu un objet d’études scientifiques et comportementales prolifiques. Et s’il reste beaucoup à apprendre, la plupart des spécialistes s’accordent sur le fait que l’animal préféré des Belges (2,3 millions en 2022, pour 1,5 million de chiens) a modifié son comportement. L’homme exige de lui qu’il soit un véritable compagnon, qu’il interagisse avec lui, qu’il joue et réponde à ses sollicitations. Par ricochet, il a su s’adapter à ces nouvelles exigences. Ainsi en est-il de ses miaulements. «On voit des chats qui miaulent beaucoup plus», constate Claude Béata. Plus bavard, il s’adapte à la voix humaine. Des travaux, menés aux Etats-Unis et au Japon, ont montré que les matous sont perméables aux différences culturelles: ils ne se comportent pas de la même façon au Japon et aux Etats-Unis. Et ces différences se transmettent de génération en génération.

De même, les vocalisations différent. Les chats américains, japonais et allemands ne vocalisent pas de la même manière et s’adaptent à la prosodie (soit l’intensité, la longueur des sons, la hauteur de la voix et son timbre) de la langue qu’ils entendent. Leurs miaulements sont donc différents. Le minet domestique a aussi progressivement transformé ses miaulements. Nicholas Nicastro, du département de psychologie de l’université Cornell (New York), a étudié ses miaulements et ceux du chat sauvage d’Afrique. Ceux du chat domestique sont plus brefs, ont de plus hautes fréquences et, surtout, sont jugés plus plaisants par l’oreille humaine.

Pas un chat de compagnie, mais un chat compagnon

«L’homme souhaite un chat-chien, beaucoup plus solliciteur, joueur, interactif, proche. Il a déplacé sur lui les désirs qu’il avait auparavant à l’égard du chien de compagnie», note Claude Béata. Bref, il attend une relation identique à celle qu’il noue avec le chien, collant aux basques et toujours prêt à rapporter la baballe. Beaucoup de chats sont traités comme tels, laissant derrière eux leur légendaire indépendance. Un nouveau type de mistigri, le «chat Velcro» est un comportement observé par les vétérinaires. Depuis quelques années, ils voient les cas de souffrance d’attachement, de troubles d’angoisse de séparation chez le chat augmenter – que connaissait déjà le chien. Un symptôme nouveau. Est-ce lié à l’absence de l’être d’attachement ou au fait qu’en l’absence de cette relation, il perd le contrôle sur son territoire (le fait qu’on ne leur ouvre plus une porte, par exemple)? Cela peut être les deux à la fois. Le petit félin demeure mal compris – selon les scientifiques, la recherche sur les chats a pris du retard – et reste enfermé dans des représentations fausses qui lui portent parfois préjudice.

Un ennemi de la biodiversité?

C’est une nouvelle accusation: celle d’être responsables de la disparition de milliards de lézards, oiseaux, campagnols et autres mulots. Et nombreux sont ceux qui voudraient empêcher les chats de sortir, presque aussi nombreux que ceux qui considèrent que ne pas les laisser sortir est une forme de maltraitance.

L’espèce, en effet, pose d’autres problèmes que de laminer les plantes ou les canapés. Les chats tuent entre 1,4 et 3,7 milliards d’oiseaux et entre 6,9 et 20,7 milliards de petits mammifères par an aux Etats-Unis, selon une étude de Nature parue en 2013. Elle indique également que les chats sans propriétaires, errants ou harets (qui ont rejoint la vie sauvage), sont les principaux responsables. Une étude de l’Institut des sciences naturelles et du Muséum d’histoire naturelle indique qu’entre 2000 et 2015, la mortalité des oiseaux de jardin due à la prédation du chat a augmenté de 50% en Belgique et en France. Ce phénomène croît à mesure que le nombre de matous grossit. Selon les experts, 16% des morts d’oiseaux étaient dues aux chats.

Des recherches de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères, publiées en décembre 2023, révèlent que les proies rapportées chez eux par les chats domestiques sont très diverses et qu’aucune espèce n’est mise en danger. La proportion des proies vertébrées est similaire à celles reprises dans des travaux menés en Europe, en Australie ou encore en Chine. Les auteurs estiment cependant qu’il existe des pistes pour réduire la prédation, comme, par exemple, limiter l’exposition des chatons aux proies. En effet, les chats plus jeunes (âgés de moins de 5 ans) sont plus enclins à ramener leur butin chez eux. Réduire leur exposition pourrait diminuer leur comportement de chasseur à l’âge adulte.

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