Comment l’art d’être distrait dope le pouvoir de création
Professeur de littérature comparée, Marina van Zuylen convoque les grands auteurs pour réhabiliter le droit à la rêverie et à l’oisiveté, portes d’accès à la créativité.
«A l’ère numérique, les deux extrêmes de la plénitude mentale que sont la concentration absolue et la distraction assumée semblent de plus en plus hors de portée», énonce dans L’Art d’être distrait (1) Marina van Zuylen, professeure de littérature comparée au Bard College dans l’Etat de New York. La concentration absolue est devenue impossible parce qu’«il se passe rarement une minute sans que notre attention soit captée par un texto, un appel ou tout autre forme de notification». Et la distraction assumée est de plus en plus impraticable parce que «dans notre culture, la tendance [est] à assimiler activité et valeur». Pourtant, pour l’autrice, s’accorder du temps libre, se laisser aller à l’oisiveté, s’ennuyer, même, est utile parce qu’une telle mise à distance nous ressource et peut nous rendre plus créatif et plus fort. Nombre d’idées brillantes ne sont-elles pas nées lorsque la concentration et l’attention de leurs concepteurs avaient baissé la garde?
Etre ouvert à la distraction vraie n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. D’abord parce que souvent, une abondance d’activités est hâtivement perçue comme maladive. «L’agitation mentale que nous qualifions aujourd’hui un peu vite de trouble de déficit attentionnel […] – l’incapacité de rester longtemps concentré sur un même objet, l’ennui qui s’empare de nous quand il s’agit d’attendre ou de flâner – n’a pas toujours résulté en ordonnances pour des médicaments psychotropes ou en réunions parents-professeurs», rappelle Marina van Zuylen. Ensuite, parce que céder à la distraction requiert de solliciter des facultés inédites. «Le travail, contrairement aux activités de loisirs, suit en général une seule direction et vise un but clairement défini. Cela lui confère une automaticité rassurante. L’art et le jeu, inversement, mobilisent des zones du cerveau moins sollicitées, exigeant davantage d’effort et de souplesse, ce à quoi n’est pas toujours prêt un esprit peu entraîné», assure l’essayiste.
Ces «obstacles» ne doivent cependant pas occulter le fait que «loin d’être un vice, la distraction est une nécessité». «Sans elle, l’esprit n’acquerra jamais « une nouvelle vigueur » ni ne verra s’élargir « ses possibilités et ses facultés »», insiste l’autrice de L’Art d’être distrait. Elle en appelle donc à raviver notre relation à l’ennui, à accorder du temps de qualité à des activités «sans qualité» afin, en retour, de doper notre capacité d’attention. Bref, se perdre pour se trouver.
(1) L’Art d’être distrait – Se perdre pour se trouver, par Marina van Zuylen, Flammarion, 112 p.«Loin d’être un vice, la distraction est une nécessité.»
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