Comment expliquer la vague de débaptisations? «Ca montre que la religion garde une place importante»
Une nouvelle forme de spiritualité, inspirée de la tradition religieuse tout en s’en distanciant, tend à se développer en Europe, estime Vassilis Saroglou, professeur de psychologie à l’UCLouvain.
Professeur à l’UCLouvain, Vassilis Saroglou a une expertise en psychologie de la religion, psychologie interculturelle et psychologie morale. Il est également lauréat du prix d’excellence Ernest Solvay (FNRS) 2020 en sciences humaines et sociales. Ses recherches portent sur l’évolution des normes sociétales, morales et religieuses, notamment en matière d’IVG, de mariage gay ou d’euthanasie.
Quelles pourraient être les conséquences, à moyen et à long termes, du discours du pape pour l’Eglise catholique belge?
En ce qui concerne la débaptisation, des études sur la motivation des personnes qui se détournent d’un culte ont été menées dans d’autres pays, notamment le Canada. La première de ces motivations est le décalage moral qu’elles ressentent par rapport à un groupe religieux ou à ses leaders. Avec ce qui se passe actuellement en Belgique, notamment en matière d’abus sexuels, ce décalage s’affiche de manière très marquée. A côté de cela, il peut exister des motivations cognitives: une remise en question de la théologie, du dogme autour de Dieu, des pratiques religieuses qui apparaissent comme vieillottes. Mais cela constitue rarement la principale raison de l’abandon, étant donné que d’autres éléments lient à la religion. Là où c’est décisif, c’est quand la personne est confrontée à une position qu’elle estime moralement inacceptable. Dans le cas de cette vague de débaptisation, la portée de cet acte symbolique est encore plus forte. Autre explication possible: les enfants sont baptisés sans qu’on leur demande leur avis. Or, nous vivons dans une société valorisant toujours davantage l’autonomie. Certaines personnes ressentent donc le besoin d’affirmer un choix individuel. En Europe occidentale, la débaptisation est un acte qui peut surprendre lorsqu’il est posé, car cela montre que la religion y garde une place importante. Que ceux qui la quittent ont des comptes à régler. Enfin, le discours des institutions religieuses, qui glorifient leur propre histoire, qui se présentent comme des communautés prestigieuses avec un passé prestigieux et une promesse d’éternité, les distinguent des autres groupes d’appartenance. Mais dans une société où les idées religieuses sont créées de façon symbolique et non littérale, la notion d’éternité ne fait plus vraiment écho. Quant au prestige, il a été fortement égratigné par les scandales, lesquels ont fait naître un sentiment de honte.
A quel point le pape –et plus largement l’Eglise romaine– est-il en décalage avec la société belge, ses valeurs, ses normes et sa législation?
Plusieurs microcosmes culturels coexistent en Belgique. Néanmoins, il reste une homogénéité assez forte au sujet des croyances. C’est aussi un pays plutôt progressiste en ce qui concerne la morale. Raison pour laquelle toute position alternative est forcément immorale. C’est aussi ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis, avec des démocrates et des républicains qui pensent fermement que ce qu’ils affirment est moral et que ce qu’affirme l’autre camp est forcément immoral. D’un point de vue purement psychologique, et non éthique, on constate que, d’un côté comme de l’autre, ceux qui défendent leurs convictions sont généralement de bonne foi. Bien sûr, il existe des valeurs universelles: se soucier de l’autre, par exemple. Et d‘autres qui font l’objet de discussions, comme la pureté ou le respect de l’autorité. Plus une société est conservatrice, plus la tradition et le respect des tabous sont importants. Ça l’est moins dans une société progressiste. En Belgique, le conflit de valeurs tient au fait que plus personne ne remet en cause le droit à l’avortement. Et 70% de la population sont même en faveur d’un droit d’euthanasie pour les mineurs. On a également un catholicisme qui, indépendamment des propos du pape, est assez progressiste. Il ne faut pas l’oublier.
A l’avenir, l’Europe ne deviendra pas plus athée mais la proportion de personnes qui croient en un dieu monothéiste diminuera au profit d’une croyance en un esprit, une force de vie.
Vassilis Saroglou
Professeur de psychologie
Le discours du pape aurait-il reçu un accueil différent dans d’autres pays européens?
Une analyse, que j’ai réalisée très récemment au départ de données existantes sur les convictions des citoyens de plus de 30 pays européens, montre que tous évoluent vers plus d’autonomie, d’individualisation et de valeurs d’expression de soi. La part de non-croyants est la plus forte dans les pays scandinaves et la moins forte dans les pays où l’islam est assez présent (NDLR: comme en Albanie). La Belgique, qui ne figure pas parmi les pays analysés, s’inscrit dans une tradition équivalente à celles de la France, l’Italie, l’Espagne et l’Autriche, soit la partie de l’Europe occidentale « catholique sécularisée » (environ 30% croient en un dieu, 40% en une force créatrice, 15% sont athées et 15% agnostiques). Je pense qu’à l’avenir, l’Europe ne deviendra pas plus athée mais que la proportion de personnes qui croient en un dieu monothéiste diminuera au profit d’une croyance en un esprit, une force de vie. Je définirais cette spiritualité comme une spiritualité postreligieuse. Cela ne signifie pas que les individus rejetteront tout ce qui est religieux mais qu’ils souhaitent n’en garder qu’une partie et la transcender en quelque chose de plus fort, de plus important, qui donne sens au monde.
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