Ces parents qui pratiquent l’éducation non genrée : « Nous laissons notre enfant utiliser tous les pronoms » (reportage)
Dans l’éducation non genrée, les enfants doivent eux-mêmes poser des choix. Psychologues et pédagogues sont divisés sur les avantages et désavantages du modèle. En Allemagne, certains tentent l’expérience.
Hano et Meru ont respectivement deux ans et quelques semaines. Dans certains cercles militants, on dirait d’eux qu’ils sont des enfants enbies, des enfants non binaires. Non pas parce qu’ils seraient nés «intersexués» – sans sexe clairement défini à la naissance – mais parce que leurs parents ont décidé de les élever hors du carcan genré que la société imposerait depuis des siècles. Le courant de l’éducation non genrée est archiminoritaire. Mais il se développe dans certaines villes d’Allemagne comme la libérale Berlin, en Suède ou aux Etats-Unis… De ses enfants, Liesel dit qu’elle les élève «de façon neutre du point de vue du genre, ou libres à l’égard du genre».
Education non genrée : pas de « il » ou « elle »
Concrètement, elle n’emploie pas les pronoms «il» ou «elle» pour parler d’eux et demande à son entourage d’en faire autant. Hano et Meru doivent grandir sans notion de genre, afin de choisir librement, vers 5 ou 6 ans, pense Liesel, leur identité de genre: masculin, féminin, neutre, non binaire, trans…
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L’identité de genre, c’est quelque chose qui peut changer tout au long de la vie.
L’exemple n’est pas isolé. Jule et Fin_ja élèvent également quelque part en Allemagne leurs enfants sans notion de genre. Nova, cinq ans, s’est d’abord vu proposer trois prénoms au choix: Nova, Noah ou Nora… Après avoir testé les trois, l’enfant s’est finalement décidé pour «Nono» puis pour Nova.
Vêtements non genrés
«Nous lui offrons la possibilité d’utiliser tous les pronoms, et toutes les identités de genre possibles, explique Fin_ja qui, pour sa part, a choisi une identité neutre, et ne veut ni du pronom masculin «il» ni du pronom féminin «elle». Sa compagne Jule, la mère des deux enfants, se définit par le pronom «elle».
«L’identité de genre, c’est quelque chose qui peut changer tout au long de la vie, explique Jule. Le sexe ne se développe pas seulement autour de facteurs biologiques mais aussi au gré des expériences de la vie.»
«La notion de sexe est liée à des stéréotypes», ajoute Fin_ja. Nova pioche naturellement à sa guise le matin dans une pile de vêtements de toutes couleurs, coupes, avec ou sans paillettes et sa chambre regorge de livres mettant en scène des enfants trans, issus de toutes les cultures ou souffrant de handicaps.
Les couleurs du genre
Pour les adeptes de l’éducation non genrée, le «diktat du genre» imposé par la société commence dès la naissance, par le célèbre «c’est un garçon» ou «c’est une fille» prononcé par le médecin. Il se poursuit par les codes vestimentaires «bleu» ou «rose», les codes de jeux – poupée contre petites voitures –, le choix d’une profession ou le tempérament supposé des filles, plus calmes et serviables, tandis que les garçons seraient plus impulsifs et dominants.
Des préjugés qui empêcheraient les enfants de développer librement leur personnalité. «Les organes génitaux de mon enfant ne regardent personne», s’emporte sur un forum spécialisé une jeune mère, exaspérée par la rituelle question autour du sexe posée par des inconnus au-dessus de la poussette de son bébé, baptisé du prénom neutre Alex.
L’éducation non genrée est-elle bonne pour l’enfant ?
L’éducation non genrée peut-elle fonctionner, dans une société plutôt stéréotypée, où les questions de genre polarisent? Et est-elle bonne pour l’enfant? Autant de questions complexes, en l’absence d’études sérieuses à ce sujet.
«Je commencerais plutôt par me demander s’il n’est pas préjudiciable pour les enfants d’être si tôt catégorisés comme “filles” ou “garçons”, qu’on leur demande de se comporter comme ceci ou comme cela en fonction de stéréotypes de genre, estime à ce sujet Heinz-Jürgen Voss, sexologue à l’université de Meserburg. De la même façon, ça peut être aussi difficile pour eux de devoir se comporter de façon extrêmement neutre, s’ils ressentent cette attente de la part de leurs parents. Les enfants ont besoin de sentir qu’ils sont acceptés tels qu’ils sont et aimés pour ce qu’ils sont, pas parce qu’ils se comportent comme on l’attend d’eux.»
Besoin d’un adulte
L’éducatrice de Nova au jardin d’enfants, ouverte dès le début aux attentes de Jule et Fin_ja, se demande toutefois si l’enfant ne serait pas dépassé par tant de décisions à prendre. «On lui demande, “quels vêtements veux-tu mettre?”, “comment veux-tu t’appeler?”, “que veux-tu être?”… Il me semble que les enfants ont besoin d’un adulte qui prend des décisions pour eux, qu’ils ont besoin d’orientation, que c’est bon pour eux de sentir: regarde, j’ai décidé ça, pour toi! Je pense que tant de neutralité dans l’éducation, c’est extrémiste.»
Allan Guggenbühl, psychologue de la famille, voit certains parallèles avec l’éducation antiautoritaire pratiquée dans certains milieux de gauche de l’Allemagne des années 1960 et 1970 et aujourd’hui très critiquée, pour avoir privé les enfants d’orientation.
«Comme l’éducation antiautoritaire à l’époque, l’éducation non genrée est le produit d’une idée utopique, avec la volonté de changer la société, estime le thérapeute suisse. De mon point de vue, ça ne marche pas. Il y a une grande différence entre le discours que les enfants entendent, et ce qu’ils font. J’ai observé que les enfants qui viennent de jardins d’enfants pratiquant une éducation plutôt neutre en matière de genre ou ayant une mère très féministe se développent souvent en petites poupées ou en petits machos.»
Faire évoluer la loi
«Une éducation totalement non genrée? C’est impossible, estime pour sa part Lucie Veith, de l’association des personnes intersexuées à Berlin. Il y a une grande différence entre ce que les parents souhaitent et la réalité. Les enfants grandissent dans une société donnée, en contact avec les stéréotypes… Et finalement, quand ils devront se décider, les parents seront ceux qui auront le moins d’influence.»
A la traîne face à ce genre de mouvement, le gouvernement allemand prépare une réforme qui permettra à chacun de choisir son identité de genre ou de changer de sexe, sans avis médical, dès l’âge de 14 ans. Avec l’accord parental pour les mineurs.
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