Comprendre les nouvelles censures
Isabelle Barbéris explique comment la censure d’Etat s’est transformée en phénomène dominé par l’autocensure et la censure «populaire». A appréhender différemment.
Perturbations de pièces de théâtre, annulations de conférences, déboulonnages de statues… Les censures ont évolué au gré du changement de la société vers plus d’individuation. Maître de conférences à l’université Paris Cité, Isabelle Barbéris détaille avec brio cette mutation dans Censures silencieuses.
«Nous assistons […] au fil des siècles à un double mouvement, conjoint et solidaire, de silenciation et de moralisation de la censure.» Silenciation: l’autocensure est de plus en plus répandue. L’autrice en donne comme emblème «la disneylandisation de la culture globale [qui] correspond à une réécriture d’ensemble de notre substrat mythologique et populaire, en effaçant et en lissant tous les éléments rugueux.» Moralisation: la censure est passée de l’âge de la conservation à celui du militantisme. La censure «populaire», «culturelle», «horizontale» a pris le pas sur la censure d’Etat, verticale, et a vu ses sources se démultiplier.
«Dans un monde qui nous angoisse toujours plus, nous partons naïvement en quête d’œuvres qui nous rassurent, nous confortent, soit parce qu’elles tiennent un discours linéaire, attendu, identifiable, catégorisable; soit parce qu’elles nous renvoient à nous et qu’elles suscitent une agréable sensation de reconnaissance», souligne Isabelle Barbéris. Une évolution favorisée par le biais de confirmation que renforcent la révolution digitale et la «censure algorithmique».
«D’arme contre le scandale, la censure devient alors objet de scandale.»
Qui plus est, «l’individu des sociétés libérales et démocratiques s’est mis à croire qu’il détenait un droit de propriété sur les représentations qui concernent son histoire et son identité, dans un sens toujours plus large». Mais les effets de cette censure peuvent être relatifs, ou même contreproductifs, d’après l’autrice de Censures silencieuses. «Les scandales en chaîne de la cancel culture produisent des effets de focalisation sur des œuvres qui, la plupart du temps, s’avèrent mineures et notoirement dénuées d’authentique intérêt artistique.»
D’arme contre le scandale qu’elle était au temps où l’Etat en était le principal pourvoyeur, la censure devient alors objet de scandale, voire source de violence alors qu’elle est censée en combattre une autre. La censure mérite réflexion. Cet essai y contribue.
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