Ce que les smartphones font aux cerveaux des jeunes: « Même pendant l’amour, ils n’arrivent plus à se concentrer »
Les smartphones affectent la concentration et la mémoire, surtout chez les jeunes et les enfants. Avec quelles conséquences pour la «génération écran»?
Sans nous en rendre compte, nous consultons notre smartphone quatre-vingts fois par jour en moyenne, soit trois heures et cinq minutes. Chez les jeunes Belges, cela peut grimper jusqu’à cinq heures.
La majeure partie de ce temps est consacré aux réseaux sociaux. Ou «médias antisociaux», comme les appellent le neuropsychiatre Theo Compernolle, auteur de Comment déchaîner votre cerveau (éd. Compublications, 2017) et professeur, entre autres, à la Solvay Business School.
«Utiliser les réseaux sociaux pour rencontrer des gens est une belle idée, mais depuis 2009, les choses ont complètement dérapé. Ce n’est plus nous mais l’intelligence artificielle qui détermine comment nous utilisons notre temps. Des milliers de produits et de services sollicitent notre attention en permanence. Auparavant, c’était avec des boutons “cliquer ici”. Aujourd’hui, les applis utilisent la science la plus évoluée et les astuces les plus détestables.»
Il faut apprendre aux jeunes à être les maîtres de la technologie, non ses esclaves.
Le retour au papier et au stylo?
Alors que les jeunes naviguent aisément entre les reels sur Instagram, les X-posts (les anciens Tweets) et les vidéos TikTok, plusieurs études montrent que les enfants en âge scolaire éprouvent de plus en plus de difficultés à lire et à écrire.
C’est pourquoi le gouvernement suédois a décidé récemment de ralentir la digitalisation de l’enseignement et d’échanger ordinateurs portables et tablettes contre des manuels scolaires, du papier et des stylos.
«La Suède a pris la bonne décision, estime Theo Compernolle, la seule compatible avec la science. En principe, les logiciels didactiques de qualité, accompagnés par des enseignants compétents en informatique, permettent d’individualiser le processus et le rythme d’apprentissage des enfants. Dans la réalité, bon nombre de ces programmes ne sont pas encore au point et sont imposés pour des raisons commerciales. »
Scroller n’est pas lire
« Ce n’est pas parce que la technologie est disponible qu’elle est nécessaire. Un jour, quelqu’un m’a demandé pourquoi apprendre aux enfants à écrire alors qu’ils passeront le reste de leur vie à taper sur un clavier? Cette question est stupide. La lecture et l’écriture sont des exercices fantastiques pour notre cerveau. Hélas, les jeunes lisent beaucoup moins qu’auparavant. Se contenter de lire ce qui apparaît sur un smartphone n’est pas vraiment lire. Scroller, c’est se laisser aller aux pulsions primitives de notre cerveau reptilien. Nous n’apprenons et nous ne retenons quasiment rien. Ne me comprenez pas mal: je ne suis pas contre l’utilisation de la technologie en classe, je la vois plutôt comme un complément.»
La bataille contre les réseaux
La tendance à lire et écrire de moins en moins est la conséquence de ce que le neuro- psychiatre qualifie de «chunk brain», un cerveau incapable de prêter une attention soutenue et ininterrompue à un sujet qu’il a lui-même choisi.
Contrairement au reste de notre cerveau, notre cerveau pensant ne peut faire qu’une seule chose à la fois. Parfois, ce «chunk brain» est d’origine génétique, comme dans le cas du trouble du déficit de l’attention (TDAH), mais le principal problème pour la plupart des enfants et des adultes est clairement notre addiction aux écrans.
«Même le professeur le plus enthousiaste ne pourra gagner la bataille contre l’attractivité des réseaux antisociaux, assure Theo Compernolle. Si notre cerveau pensant doit sans arrêt passer d’un sujet à un autre, cela lui prend du temps et de l’énergie. Nous commettons alors des erreurs et nous sommes plus vite fatigués.»
Sexualité et smartphone
La crise de l’attention ne se limite pas à l’apprentissage scolaire. «Vous n’allez pas le croire mais les jeunes adultes se laissent même distraire par leur smartphone pendant qu’ils font l’amour. Près de 70% considèrent leur téléphone comme le principal élément perturbateur de leur intimité. »
L’effet de l’opium
A cause de ces petites machines à distraire, nous ne sommes plus jamais réellement dans l’instant présent, nous profitons moins des choses que nous faisons et des personnes avec qui nous interagissons. Les stimuli de ce que nous connaissons comme le “centre du plaisir”, un petit réseau de notre cerveau qui fonctionne à la dopamine, a priorité sur les activités qui nous apportaient auparavant un sentiment de joie ou de satisfaction. Le cerveau libère des neurotransmetteurs qui ressemblent à l’opium et dont l’effet dure plus longtemps. La dopamine ne procure une sensation de bien-être que pendant un temps très court, ce qui nous pousse sans cesse à en redemander.»
Esclaves du smartphone
L’usage excessif des réseaux sociaux peut parfois avoir des conséquences funestes sur le développement émotionnel et la santé mentale des jeunes. «Les recherches montrent clairement qu’être en permanence connecté aux réseaux antisociaux est à l’origine du déclin de la santé mentale dans le monde entier – en particulier chez les jeunes filles et jeunes femmes – avec une augmentation des troubles de l’image corporelle, du nombre de dépressions et de suicides. Vu que les filles sont plus sensibles aux relations sociales, elles réagissent plus intensément à ce qui se passe dans le monde social virtuel. Les garçons considèrent davantage leur téléphone comme un gadget.»
Et d’ajouter: «J’ai le cœur serré lorsque je pense à ce qu’il adviendra de la génération smartphone si nous la laissons livrée à elle-même dans cette folle économie de l’attention. Les enfants sont confrontés aux écrans avant même de pouvoir marcher. Au début, j’étais persuadé que les digital natives finiraient toujours par retomber sur leurs pattes, il semble que ce ne soit pas le cas. Les adultes doivent aider ces jeunes. Il faut leur apprendre à être les maîtres de la technologie et non ses esclaves.»
Cinq conseils pour améliorer sa concentration
Vous ne parvenez pas à lire une page d’un livre sans être distrait? Consultez-vous votre téléphone en regardant la télé? Laissez-vous vos messages perturber vos moments d’intimité? Vous avez répondu oui à l’une de ces questions? Alors, ces conseils sont pour vous…
1. Déposez votre téléphone dans une autre pièce. Selon certaines études, sa simple présence réduit vos capacités cognitives.
2. Entraînez-vous à ne plus regarder votre smartphone. Commencez par trente minutes, répétez l’exercice tous les jours et ajoutez cinq minutes chaque semaine. Peu importe la vitesse à laquelle vous progressez si vous réussissez à vous sevrer.
3. Essayez d’identifier le moment de la journée où votre cerveau est le plus productif et réservez cette période au travail intellectuel. Coupez votre messagerie et rangez votre téléphone. Réservez également des moments pour consulter votre messagerie ou les réseaux sociaux.
4. Lisez. Commencez par un livre qui vous plaît vraiment et augmentez le rythme.
5. Passez du temps à l’extérieur, sans écran.
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