Bizutage dans l’armée: “C’est la loi du silence, il n’y a aucune limite”
Le bizutage forcé de certaines jeunes recrues, orchestré par des gradés au sein du bataillon d’Amay, fait scandale. Plus encore que le milieu étudiant, l’armée serait gangrenée par des pratiques de soumission humiliantes. « La peur du supérieur y est entrée dans les mœurs », s’inquiète le psychopédagogue Bruno Humbeeck (UMONS).
Traitements humiliants, chantages, comportements sexuels abusifs… Le bizutage vécu par certaines recrues au bataillon d’Amay, en province de Liège, ne va pas redorer le blason de l’armée belge. Qualifiés « d’inadmissible » par la ministre de la Défense Ludivine Dedonder (PS), ces agissements pourraient concerner d’autres bataillons.
Le psychopédagogue Bruno Humbeeck (UMONS) décortique le bizutage sans borne de ces gradés. « Au sein de l’armée, le principe d’obéissance à la hiérarchie n’est pas remis en question. Dans ce cadre, la loi du silence qui règne devient extrêmement difficile à briser. Il y a une soumission silencieuse liée au respect des supérieurs. Qui, dans cette affaire, ne sont pas dignes de ce respect. »
L’armée est un lieu propice à la mise en place de ce genre de rituels. Dans les casernes militaires, obéir est le mot d’ordre. La soumission illimitée aux chefs, qui ne sont pas assez contrôlés, leur donne un pouvoir énorme, pouvant entrainer ce type de dérives. « La peur du supérieur est entrée dans les mœurs. Cela leur donne une puissance infinie. L’armée est un des derniers lieux fermés – typiques des pratiques de bizutage – où l’autorité verticale s’exerce. »
Au sein de l’armée, la peur du supérieur est entrée dans les mœurs. Cela leur donne une puissance infinie
Le psychopédagogue Bruno Humbeeck (UMONS)
“Certains peuvent perdre le contrôle”
Le bizutage est un ensemble de pratiques et rituels d’initiation visant à l’intégration de personnes dans un nouvel environnement. S’il se pratiquait dans certains milieux professionnels par le passé, le bizutage concerne désormais principalement les scouts, le milieu étudiant et… l’armée. « Ce rituel initiatique intervient lorsqu’un groupe d’êtres humains qui se reconnaissent une identité commune accueillent de nouveaux membres, explique Bruno Humbeeck. Les anciens leur font passer un ensemble d’épreuves pour marquer ce changement d’identité. »
Le problème, souligne le psychopédagogue, c’est que l’humiliation, inévitable, fait partie intégrante du processus. « Le bizutage installe d’emblée une relation d’autorité, physique ou psychologique, qui demande une soumission absolue des nouveaux arrivants. Mais certains, galvanisés par le pouvoir qui leur est donné, peuvent perdre le contrôle ». Certains militaires ont par exemple reçu de force un balais dans l’anus.
Bizutage dans l’armée: pourquoi ça choque
« Ces révélations sont particulièrement choquantes parce que l’armée est vue comme un milieu où la hiérarchie fait régner l’ordre. Paradoxalement, ici, on constate que ces gradés utilisent leur autorité de manière abusive, en adoptant des comportements humainement inadmissibles », contextualise Bruno Humbeeck.
C’est pourquoi le psychopédagogue estime que le bizutage, peu importe le milieu dans lequel il est pratiqué, doit toujours être encadré. « Les personnes d’autorité ne se mettront pas de frein par elles-mêmes. D’autant que ces rites initiatiques s’accompagnent d’un effet de groupe. La responsabilité est diluée entre différentes personnes, qui ensemble expriment leur puissance. L’humiliation de l’autre devient le signe manifeste du pouvoir de celui qui l’affirme ».
L’humiliation de l’autre devient le signe manifeste du pouvoir de celui qui l’affirme
Bruno Humbeeck
Une autorité extérieure pour libérer la parole ?
Pour Bruno Humbeeck, si le bizutage a pu être mieux encadré dans le milieu universitaire, il faut pouvoir le faire aussi pour les militaires. « Plus de contrôles et davantage de transparence sont nécessaires pour accompagner ces rituels. Il est primordial que les bizutés puissent évoquer ces épreuves au sein d’un espace de parole, sans pour autant dénoncer ceux qui les leur font passer. Car les secousses émotionnelles qui accompagnent le bizutage sont importantes. Il faut éviter une installation de la terreur pour les victimes, qui se feront peut-être poursuivre par ces souvenirs toute leur vie. »
Après les révélations du scandale qui touche le bataillon d’Amay, Ecolo a proposé la mise en place d’un point de contact externe pour libérer la parole des victimes de ce bizutage disproportionné. « Ce n’est pas le premier incident de ce genre au sein de la Défense, clame le député fédéral écologiste Samuel Cogolati. Si des efforts sont à noter pour plus d’inclusion, d’égalité de genres et de respect, les auteurs de tels comportements toxiques doivent absolument être sanctionnés. »
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