Biodynamique
© gettyimages

Biodynamie : une agriculture aux dérives sectaires

En France, une récente polémique liée à l’association Goodplanet du photographe Yann Arthus-Bertrand a (re)mis en lumière la biodynamie.  Un type d’agriculture de plus en plus répandu qui combine une grande attention au monde vivant, un penchant pour l’ésotérisme et plonge ses racines dans un courant philosophique douteux.

Greenwashing, soutien à la biodynamie et par extension à l’anthroposophie… L’association Goodplanet a fait grincer bien des dents le 4 juillet dernier. Censée être bénéficiaire du plus gros évènement de jeux vidéo caritatif français qui a lieu en septembre (le Zevent), l’association s’est finalement retirée de l’évènement à contrecoeur. « Pour nous, c’était une opportunité unique de démultiplier notre action environnementale et sociale en profitant aux dizaines d’ONG de terrain avec lesquelles nous travaillons au quotidien », a regretté sur Twitter Albane Godard, directrice générale de la Fondation GoodPlanet.

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Dès que GoodPlanet avait été annoncée parmi les bénéficiaires de cette édition du Zevent, certains participants habituels avaient décidé de boycotter l’évènement. Repérée par certains comme un soutien à la biodynamie, la fondation est au coeur de débats houleux sur Twitter.

Origines funestes

Le problème de l’agriculture biodynamique, polémique depuis la révélation de l’implication de l’association Goodplanet dans ce type d’agriculture, c’est qu’elle prend racine dans les travaux vieux d’un siècle de Rudolf Steiner. Ce théoricien autrichien touche-à-tout a donné naissance au début du XXe siècle à l’anthroposophie et a gâté son bébé d’une vision du monde, d’une esthétique, de lieux de rencontre, d’un culte, d’une médecine, d’une agriculture, d’une diététique, d’écoles. Ce courant spirituel est devenu une véritable puissance internationale silencieuse qui ne semble dormir que d’un œil. En 2017, un article du Monde Diplomatique révélait que les banques Triodos et GLS étaient des établissements fondés et dirigés par des anthroposophes, disposant respectivement de 14 milliards et 4 milliards d’euros d’actifs sous gestion et s’imposaient aujourd’hui comme des références de la « finance durable ».

Pour ses partisans, l’agriculture biodynamique s’articule autour de trois axes :

1. Concevoir la ferme ou le jardin comme une entité autonome et individualisée

2. Avoir recours aux « préparations biodynamiques » à base de plantes médicinales, de bouse de vache et de quartz pour veiller à l’équilibre du domaine

3. Cultiver selon les « rythmes cosmiques » en tenant compte de la position du soleil, de la lune, des planètes et du zodiaque.

Régulièrement pointée comme une dérive sectaire par Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), l’anthroposophie est partie d’un postulat simple : la nature ultime de la réalité repose sur l’esprit. Pour ses adeptes, la rationalité mathématique et la science moderne n’expliquent donc que la partie matérielle, « visible », du monde. Selon eux, d’autres forces surnaturelles et des esprits sont à l’œuvre dans un monde invisible. L’anthroposophie serait alors le phare qui ferait la lumière sur les mystères de ce monde occulte.   

Les abysses de l’oeuvre de Steiner

Dès 1910, Rudolf Steiner affirme que les peuples germains et nordiques font partie d’un même groupe ethnique : la race aryenne. Il condamne aussi « l’effroyable brutalité culturelle que fut la transplantation des Noirs vers l’Europe, [qui] fait reculer le peuple français en tant que race ». Par la suite, plusieurs partisans de l’anthroposophie deviendront membres du parti nazi, de la SS (Schutzstaffel, organisation paramilitaire) ou des SA (Sturmabteilung, forces armées). L’historien Peter Staudenmaier, professeur à l’université Marquette, affirme dans son ouvrage Anthroposophie et Ecofascisme, que le nazisme et l’anthroposophie sont deux doctrines qui ont pu se compléter, collaborer ensemble ou entretenir des rapports de rivalité selon les années. Toujours selon l’historien, la SS (Schutzstaffel) aurait notamment appliqué des programmes d’agriculture biodynamique dans les territoires occupés et des camps de concentration. Celui qui creuse sur le sujet ne s’arrête jamais de trouver.

Rudolf
Rudolf Steiner (Photo by ullstein bild/ullstein bild via Getty Images)

« Parce que les anthroposophes éludent généralement le racisme et les bizarreries disséminées dans l’œuvre de Steiner, parents d’élèves d’écoles Steiner, clients de banques anthroposophiques et agriculteurs pratiquant la biodynamie se trouvent liés à un courant spirituel dont ils méconnaissent généralement l’histoire, les fondements ésotériques, voire les risques de dérives sectaires dont témoignent d’ex-adeptes de l’anthroposophie », déplore le journaliste Jean-Baptiste Malet du Monde Diplomatique en 2018 dans son article L’anthroposophie, discrète multinationale de l’ésotérisme.

Dans un communiqué de presse, le Mouvement de l’Agriculture biodynamique (MABD) a réagi à cet article en dénonçant que ce genre de représentation n’était pas neuve et partait d’un préjugé : l’anthroposophie est une secte. Ainsi pour le MABD, tous les faits collectés seraient instrumentalisés pour démontrer ce préjugé.

En tant qu’associations francophone d’agriculture biodynamique qui s’inspire des indications de Rudolf Steiner mais aussi d’Ehrenfried Pfeiffer, reconnu comme un des fondateurs du mouvement mondial d’agriculture biologique et de nombreux autres pionniers, le MABD et Demeter s’inscrivent totalement en faux contre une telle insinuation.

Préparations biodynamiques

Pour les agriculteurs biodynamistes, il est primordial d’utiliser des « préparations » pour stimuler la vie dans la terre et les plantes. Dans ses « Cours aux Agriculteurs », Rudolf Steiner présente huit préparations : deux à pulvériser sur le sol et les cultures et six à introduire dans les composts.

Label Demeter

Créé en 1928, le label Demeter est le label le plus répandu pour l’agriculture biodynamique.  Demeter décore ses produits alimentaires, cosmétiques et d’entretiens d’orange, de blanc et de vert.

Pour obtenir ce label, les produits doivent d’abord respecter la réglementation en matière d’agriculture biologique. Les produits Demeter ont donc une double certification : ils sont contrôlés et certifiés biologiques selon le règlement européen, et ensuite contrôlés et certifiés biodynamiques selon le cahier des charges Demeter.

Selon les partisans de la biodynamie, la bouse de corne, élaborée à partir de la bouse et des cornes de la vache, favoriserait la vie et la structure du sol. La silice de corne, réalisée quant à elle à partir de quartz broyé et de cornes de vache, agirait comme « un surplus de lumière solaire pour les plantes ».

« Il n’y a aucune étude sérieuse qui montre un avantage de ces préparations », soutient Cyril Gambari, docteur en microbiologie. Brassées (ou dynamisées) dans l’eau tiédie pendant une heure avant d’être pulvérisées, le principe de ces préparations est le même qu’en homéopathie : les quantités de préparation utilisées sont minimes. « Soigner les plantes par les plantes, moi je veux bien mais là c’est quand même à dose anecdotique », rétorque le docteur en microbiologie.

Les agriculteurs biodynamiques utilisent également un compost particulier : le compost de bouse, préparé à partir de bouses de vache auxquelles sont ajoutées des préparations de plantes (camomille, ortie, pissenlit) fermentées dans des organes d’animaux (crânes de chat ou vessie de cerf par exemple), enterré ou suspendu au soleil pendant six mois ou une année, et dynamisé.

« Tout est relié et la lune a certainement une influence sur les cultures »

Dans son Cours aux Agriculteurs, Rudolf Steiner insiste en long et en large sur l’influence de la « périphérie cosmique » sur la vie des plantes et des animaux. Ainsi le soleil et la lune agiraient sur le développement et la croissance des plantes, sur leur maturation et leur capacité à se reproduire. D’autres planètes du système solaire voire même des influences plus lointaines du zodiaque seraient aussi impliquées.

Après Steiner, plusieurs chercheurs en biodynamie se sont intéressés à ces phénomènes et ont établi des liens entre les différents rythmes cosmiques et les processus du vivant comme la germination et la croissance des plantes. Ces travaux ont donné lieu au « calendrier des semis ».

 « Le calendrier donne des indications sur les jours où il est préférable de semer ou travailler selon le type de fructification : fruits, feuilles, racines fleurs. Il indique aussi les jours où l’ambiance est perturbée et où il ne vaut donc mieux pas intervenir sur les cultures », détaille Jacques Paris de l’ASBL « Le mouvement de culture biodynamique de Wallonie ».

Ce calendrier peut parfois être difficilement conciliable avec les réalités de terrain des agriculteurs, mais dans l’idéal, il doit être respecté.

« Les préparations biodynamiques prennent un temps monstre aux agriculteurs et s’ils doivent fixer leur emploi du temps sur la minute précise où il faut planter une tomate, ils ne s’en sortent plus. C’est une perte de temps pour des agriculteurs qui sont déjà à 200% », regrette le microbiologiste. « Les rythmes cosmiques lunaires, ça ne marche pas. Toutes les études montrent que la Lune n’a aucun impact sur la pousse des plantes« , poursuit-il.

« Il faut en tenir compte. Mais il y a le planning idéal qui tiendrait compte de ça et il y a le planning réel, impacté par la météo et le planning de l’entreprise agricole » nuance Eddy Montignies. Cet agronome envisage l’agriculture biodynamique pour Brioaa (Belgian Research Institute of Organic Agriculture and Agroecology), une toute nouvelle structure privée indépendante de recherche, de formation, d’information et de conseil qu’il a co-fondée, dont l’objectif est de développer un « Laboratoire bio à ciel ouvert ».

L’anthroposophie et la biodynamie, indissociable ?

« Nul n’est besoin d’être anthroposophe pour pratiquer biodynamie. Personnellement, je trouve que beaucoup d’anthroposophes sont étroits d’esprit et je ne les fréquente d’ailleurs pas », affirme Jacques Paris tout en ayant « beaucoup de gratitude pour l’impulsion que Steiner a donnée ».

Pour le docteur en microbiologie Cyril Gambari, toutes les préparations biodynamiques ont une signification pour l’anthroposophie. In fine, selon les écrits de Steiner, ces préparations doivent respiritualiser le monde. La biodynamie et l’anthroposophie vont donc inévitablement ensemble. « Je suis convaincu que les agriculteurs en biodynamie ne sont pas tous anthroposophes. Par contre, l’anthroposophie avance en se cachant, c’était d’ailleurs l’objectif de Steiner de répandre l’anthroposophie dans le monde de manière cachée », ajoute-t-il.

Pour Jacques Paris, agriculteur biodynamiste, ce type d’accusation est courant dans tous les domaines à l’heure actuelle : « Le journalisme ne cherche que le sensationnel ou s’autocensure, les penseurs alternatifs sont considérés comme des complotistes ».

Sans le vouloir, l’agriculteur se retrouve dans un mouvement spirituel qui lui échappe

« Il y a une emprise forte de l’anthroposophie sur les biodynamistes. En étant derrière le label Demeter, l’agriculteur est souvent affilié au Mouvement pour l’Agriculture Biodynamique (MABD). L’agriculteur, même s’il n’est pas anthroposophe, se trouve dans un cercle où les idées de l’anthroposophie vont se diluer dans ses pensées. Il faut être hyper critique pour ne pas tomber dans les travers de ces mouvements », précise Cyril Gambari qui dénonce le risque d’une dérive sectaire.

Quel avenir pour l’agriculture biodynamique ?

Avec ses 60 hectares de cultures en agroécologie bio à Upigny (Eghezée), le Brioaa ne ferme pas la porte à la biodynamie pour ses futurs projets. Pour l’instant, cet institut « financièrement et intellectuellement indépendant » se heurte à un problème de matériel : « Le frein, c’est le matériel et sa disponibilité. Ce n’est pas comme demander à un entrepreneur conventionnel d’aller faire un litre et demi de glyphosate à l’hectare, c’est une autre démarche. Il faut voir si en préparant des solutions nous-mêmes et en demandant à un entrepreneur de venir répandre ces solutions sur la surface, si nous obtenons le même résultat que de l’appliquer nous-mêmes avec notre propre matériel », précise Eddy Montignies, cofondateur du Brioaa.

« Malheureusement, la biodynamie est souvent réduite à la prise en compte des influences lunaires alors que d’autres aspects sont primordiaux : le regard global sur la ferme ou le jardin et l’utilisation des préparations », insiste Jacques Paris, agriculture biodynamiste.

L’agriculteur biodynamiste ne peut avoir recours aux engrais et aux pesticides. Pour Jacques Paris, fermier biodynamiste : « Quand tout est en bonne santé et que l’agriculteur respecte la vie, les pesticides ne sont plus nécessaires. Leur usage découle d’une mauvaise compréhension de la nature, avec en toile de fond tous les intérêts financiers du système agro-alimentaire ».

« C’est une agriculture respectueuse de l’environnement, ça on ne peut pas le nier. Mais il y a tellement de problèmes derrière, ça ne fait pas tout », nuance Cyril Gambari.

En Italie, la Chambre a tranché en février sur le statut de l’agriculture biodynamique et a décidé de ne pas l’intégrer à sa loi sur l’agriculture biologique. Elle la considère comme une pratique ésotérique et non scientifique.

A ce jour il n’existe pas d’étude scientifique qui prouve l’amélioration des rendements ou de la qualité des récoltes par la biodynamie par rapport au bio classique. L’efficacité de la force cosmique sur une corne de vache restera difficile à prouver scientifiquement.

Le problème de la dimension spirituelle de cette agriculture restera toujours son lien avec l’anthroposophie. Quelle est l’ampleur de l’héritage de ce courant spirituel dans les pratiques biodynamiques ?  Et surtout, les eaux troubles de son passé pourraient-elles noyer ses espoirs de devenir l’agriculture du futur ?

Emily Degrande

Le Conseil de déontologie journalistique a constaté des fautes déontologiques dans cet article. Sa décision peut être consultée ici.

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