Bienveillance vs fermeté: pourquoi les parents (et les experts) s’affrontent sur l’éducation
Le débat entre les partisans de l’éducation positive et ceux de la méthode du «Time Out» – la mise à l’écart de l’enfant pour un court moment – fait rage. Les uns ou les autres ont-ils forcément raison?
C’est une tribune collective, signée par 350 spécialistes de l’enfance et publiée en octobre dernier dans Le Figaro, qui a mis le feu aux poudres. Parmi les signataires: Caroline Goldman, psychologue pour enfants et adolescents et docteure en psychopathologie clinique. Tous entendent dénoncer les dérives de la parentalité exclusivement positive et s’inquiètent du fait que cette doctrine, «qui voit dans toute fermeté, contrainte ou effort exigé, une forme de violence faite aux enfants», gagne du terrain. Dans le camp adverse, la riposte s’organise.
Quelques mois plus tard, une contre-tribune est publiée dans Le Monde, cette fois. Les 280 signataires, dont Philip Jaffé, vice-président du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, s’en prennent nommément à l’autrice de File dans ta chambre! Offrez des limites éducatives à vos enfants (InterEditions, 2020), Caroline Goldman. Ils reprochent à sa méthode, qui s’appuierait principalement sur «des stratégies répressives peu efficaces», d’augmenter l’anxiété de l’enfant, de nuire au développement de son raisonnement moral et de le rendre moins altruiste.
La psychothérapeute Isabelle Filliozat et la pédiatre Catherine Gueguen, autrices de nombreux ouvrages à succès et qui incarnent, en France, le courant de l’éducation positive, n’ont pas signé le texte. En laissant la plume à d’autres, elles voulaient ainsi démontrer qu’elles ne sont pas les seules à s’étrangler quand elles lisent les interviews de Caroline Goldman (fille de Jean-Jacques) ou écoutent ses podcasts.
Expliquer aux parents comment se développe le cerveau sera plus efficace que punir.
Et voilà que ce qui, jusque-là, semblait se limiter à une querelle de clochers entre les figures de proue de deux approches éducatives radicalement différentes s’est enflammé au point de virer au débat de société. Plutôt crispé.
Mais sur quoi Caroline Goldman, Isabelle Filliozat, Catherine Gueguen, ceux qui les écoutent et les soutiennent, s’écharpent-ils exactement? Pour comprendre ce qui les oppose, mais aussi ce sur quoi ils sont plus ou moins d’accord, il faut s’intéresser à la notion de limite et à l’interprétation qu’ils en font. Dans l’un de ses podcasts où elle tire à vue sur l’éducation positive «qui menotte les parents dans l’exercice de leur autorité», Caroline Goldman vante les vertus du «Time Out», ou la mise à l’écart temporaire de l’enfant hors de l’espace commun.
Elle énumère ainsi de nombreuses situations de désobéissance à interdire dès l’âge de 1 an – cela va de parler trop fort à ne pas prendre soin de son cahier d’écriture en passant par les cris et les bouderies – et propose une feuille de route pour rétablir la place de papa et maman à la maison. En cas d’opposition, de résistance, elle préconise de rester «stoïque et inatteignable comme une girafe», de ne pas formuler de menaces en l’air mais aussi de ne pas humilier l’enfant, de lui expliquer fermement l’interdit, pas plus de trois fois, suite à quoi il sera consigné dans sa chambre, sans la fermer à clé. Combien de temps? A 1 an, pas plus d’une minute.
S’il tente de sortir ou tambourine sur la porte, le parent n’aura d’autre choix que d’allonger le temps du time out pour éviter l’escalade vers la violence répressive.
Comme le lait qui déborde
Contrairement à l’amalgame qui est souvent fait à tort avec le laxisme, les limites ont aussi leur place dans l’éducation positive, lorsque celle-ci n’est pas poussée à son paroxysme. Pour la pédiatre Catherine Gueguen (Pour une enfance heureuse, Robert Laffont, 2014), l’enfant est incapable de provoquer. Il vit des tempêtes émotionnelles qu’il ne contrôle pas. S’appuyant sur «ce que disent» les études scientifiques, Catherine Gueguen certifie que dire à un enfant qu’il est infernal (pour rester poli), par exemple, empêchera son cerveau de maturer. A contrario, lui parler de ses émotions et faire preuve d’empathie favorisera le développement de son cortex orbitofrontal et fera de lui un être empathique. Elle formule aussi la nécessité de poser un cadre éducatif pour que l’enfant puisse se sentir en sécurité, qu’on lui signifie ce qui est possible ou non, interdit ou non. Car «laisser son enfant faire tout et n’importe quoi mène à un chaos inimaginable».
Chez Isabelle Filliozat (Au cœur des émotions de l’enfant, Marabout 2019), la notion de limite est plus floue. Pour la psychothérapeute, qui prend également la science à témoin, l’enfant crie et pleure lorsqu’il est soumis à trop de pression. Le trop-plein exprimé en cas de crise n’est pas un trop-plein d’émotions mais une surcharge de stress causé par un stimulus extérieur qu’il doit évacuer. Il faut encourager l’expression des émotions jusqu’au bout, mais «98% de ce que nous appelons les émotions n’en sont pas, ce sont des réactions émotionnelles parasites» liées au stress.
A chaque débordement, il s’agira pour le parent de vérifier s’il s’agit de l’un ou de l’autre pour ne pas nuire à son enfant et d’adopter la réaction adéquate. Mettre des limites, prêche Isabelle Filliozat, c’est comme mettre un couvercle sur le lait qui bout, «le lait déborde quand même, il faut tenir solidement [le couvercle] et il faudra nettoyer tout autour». Elle préconise plutôt d’«éteindre le gaz». Or, en criant, en punissant et en posant des limites, on ne «s’adresse pas au gaz». On ne peut le faire qu’en prenant le temps d’identifier à chaque débordement les causes du comportement d’un enfant.
Il est important de rappeler aux parents qu’en matière d’éducation, il n’existe pas de méthode toute faite.
Dans la vraie vie
Que reprochent à ces trois femmes et, plus objectivement aux méthodes éducatives qu’elles véhiculent, leurs détracteurs? Dans le cas de l’éducation positive, la faiblesse de la méthode serait son manque de réalisme, son décalage avec la réalité que vivent les parents et le sentiment de culpabilité, voire d’échec, qu’ils éprouvent lorsqu’ils ne parviennent pas appliquer à la lettre ces méthodes clé sur porte ou à identifier les causes profondes des cris et des pleurs.
Nicolas Marquis est sociologue. Il fait partie du Centre d’anthropologie, sociologie, psychologie – études et recherches (Casper) de l’université Saint-Louis Bruxelles. Il s’est intéressé au discours de celle qui a fondé l’Ecole des intelligences relationnelle et émotionnelle, Isabelle Filliozat, et a assisté à plusieurs ateliers de coaching parental. «D’un point de vue sociologique, l’éducation positive n’apporte pas grand-chose de neuf, dit-il.
Ce qui alimente les débats ces derniers mois fait l’objet de discussions depuis plusieurs décennies. Ce qui a changé, c’est la virulence. Le fait que les représentants de ces méthodes éducatives viennent y loger des considérations sur ce qu’est un bon individu dans une bonne société. L’enfant est devenu un personnage central dans les histoires qu’on se raconte de nous-mêmes.»
Pour le sociologue, les tenants et les opposants à l’éducation positive se rejoignent sur le risque de dommages graves et irréversibles dans la construction de l’enfant que comporte une mauvaise façon d’éduquer. Leurs avis divergent par contre sur ce qu’est bien éduquer. «Quand quelque chose ne va pas, on l’exprimera avec souffrance, ce qui est une bonne chose dans l’absolu. Le problème, c’est qu’on ne sait pas ce qu’on entend par souffrance, ni quelles en sont les causes. L’éducation positive a le mérite d’avoir levé le tabou sur le time out et sur la violence que cette pratique peut représenter. Mais ne pas laisser un enfant être un enfant, le charger d’être un partenaire de la relation parent-enfant, c’est aussi de la violence. Ce que les enfants demandent, ce n’est pas d’être rassurés mais qu’on leur pose des limites.»
Au cours des ateliers qu’il a suivis, Nicolas Marquis a observé que les questions sur l’infaillibilité de la méthode arrivaient très vite et que, dans la plupart des cas, la formatrice répondait aux parents qu’il fallait alors isoler l’enfant et lui expliquer que «c’est comme ça».
Professeur à l’ULiège et chef de service en psychiatrie infanto-juvénile au CHU de Liège, Alain Malchair fait partie des signataires de la carte blanche dénonçant les dérives de l’éducation exclusivement positive. «Je signe peu de cartes blanches car elles portent souvent sur des sujets très polémiques, mais dans ce cas-ci, la situation est problématique, assure-t-il. La parentalité bienveillante, lorsqu’elle est bien comprise, est une très bonne chose pour la société car elle structure le rapport au réel.
Dans la parentalité exclusivement positive, on assiste à une suppression du réel pour raisons idéologiques. On considère que l’enfant est naturellement bon et évoluerait dans un monde sans agressivité où rien n’est négatif. Or, dans la pratique clinique, rien n’est plus angoissant pour un enfant que de se retrouver face à lui-même et à sa propre loi.
Physiologiquement parlant, les enfants qui sont pris dans un mouvement émotionnel n’ont pas les outils pour le contrôler. Ils se trouveront donc confrontés à leur négatif sans savoir comment gérer cela. Par ailleurs, n’aborder l’agressivité que sur le mode de la réflexion, sans mettre de balises, me paraît très insuffisant. […] Certains enfants sont plus raisonnables que d’autres, ou capables de comprendre plus spontanément, mais ce n’est pas le cas de tous.
Se dire que la société sera là pour les recadrer, qu’ils comprendront plus tard, est une erreur. Ils ne seront pas capables de comprendre s’ils n’acceptent pas les limites du réel.»
Saine frustration?
Une vision que partage Didier Pleux, docteur en psychologie du développement, psychologue clinicien et psychothérapeute. Il dirige l’Institut français de thérapie cognitive et enseigne à l’université populaire de Caen. Auteur de l’ouvrage au titre sans équivoque L’Education bienveillante, ça suffit (éd. Odile Jacob, 2023), il s’insurge contre la «psychologisation effrénée de l’éducation», conteste les positions de Françoise Dolto et défend la place de la frustration, sans pour autant cautionner l’autoritarisme, «à côté de celle de l’amour et de l’empathie». Selon lui, l’éducation positive a été dénaturée, dévoyée même, pour devenir une version «à la française» caricaturale dans laquelle les limites n’ont plus leur place, avec pour conséquence l’apparition d’enfants-tyrans. «C’est une imposture. J’ai participé à deux grands programmes d’éducation positive – «Positive Parenting Program» et «You can do it! Education» – et je suis tout à fait favorable à ces méthodes éducatives d’apprentissage dans lesquelles on renforce tout ce qui marque le progrès à l’aide de boîtes à outils.» Dans la version française, déplore-t-il, les enfants ont des droits mais, surtout, les parents n’ont que des obligations. «On invoque la théorie de l’attachement (NDLR: façon dont l’enfant déstabilisé, stressé, demande et obtient du réconfort de la part d’un adulte) pour valider le fait que le climat doit forcément être positif pour que l’enfant puisse s’épanouir. On évoque des études sur le taux de cortisol (NDLR: hormone du stress) mais qui ont été menées sur des enfants maltraités tous les jours, battus. Ou des observations faites en laboratoire sur de petits rats. Et voilà que les parents interprètent cela comme “il faut rester dans le positif”.»
Autant de griefs qu’Héloïse Junier n’est pas surprise d’entendre. Psychologue, docteure en psychologie, formatrice petite enfance et autrice d’ouvrages, dont certains ont été préfacés par Catherine Gueguen, elle décrit un phénomène de balancier. «Sur les réseaux sociaux, on lit tout et n’importe quoi à propos de l’éducation positive. Il existe une réelle confusion dans la tête de nombreux parents entre le laxisme et l’éducation positive, que je préfère appeler l’éducation non violente. Il s’agit d’appliquer le cadre de manière non violente, dans le respect des droits de l’enfant et en phase avec les données scientifiques actuelles.»
La France, retrace la psychologue, s’inscrit dans «la tradition d’une éducation à la dure, autoritariste et défavorable. L’éducation bienveillante, lorsqu’elle est poussée à l’extrême, produit elle aussi des exagérations, raison pour laquelle les médias en parlent aujourd’hui de manière caricaturale ou en extrapolant les propos.»
Pour l’éducation positive comme pour l’éducation punitive, gardons-nous d’instrumentaliser la science.
Comme d’autres spécialistes de la petite enfance, Héloïse Junier rencontre des parents désemparés et angoissés à l’idée de ne pas se comporter de manière adéquate: «Ils en viennent à penser qu’ils vont abîmer le cerveau de leur enfant s’ils crient. Alors que les violences éducatives deviennent défavorables quand elles sont régulières et/ou intenses. Il arrive à tous les parents de perdre le contrôle de soi. Si c’est le cas, on peut simplement s’excuser auprès de son enfant et aller de l’avant. Il est important de rappeler aux parents qu’en matière d’éducation, il n’existe pas de méthode toute faite. La parentalité est un monde de nuances. Il existe toujours un décalage entre la théorie et la pratique.»
«Les études disent»
D’où sortent-ils cela, ces parents angoissés à l’idée de freiner le développement de leurs enfants s’ils haussent le ton? Des études scientifiques. Du moins, des interprétations qui en sont faites. C’est le deuxième gros reproche formulé à l’encontre de l’éducation positive ou bienveillante. Il l’est également à l’encontre de l’éducation dite traditionnelle, incluant la sanction et le time out, qui utilise les mêmes ressorts, bien que faisant davantage appel à la psychanalyse. Mais au fond, que disent les neurosciences, puisque ce sont elles qui sont allègrement citées en matière de pratiques éducatives?
«Le problème ne réside pas nécessairement dans l’interprétation des données mais dans l’approche très peu scientifique de la méthode éducative: les recommandations sont formulées sur la base d’une analyse très partielle de la littérature scientifique et des neurosciences. On en vient alors à faire dire à certains résultats ce qu’ils ne disent pas réellement. Les neurosciences n’ont pas vocation à déterminer les pratiques parentales, évalue Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’université Paris Cité et directeur du Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant (LaPsyDE – CNRS).
Concrètement, ce que montrent les neurosciences, c’est que des environnements dans lesquels les enfants subissent des violences familiales, par exemple, ont des conséquences sur le développement cérébral jusqu’à l’âge adulte. Il est important de rappeler à ceux qui ont une vision traditionaliste basée sur la punition que le stress chronique et la violence peuvent avoir des effets sur les connexions, dans le cerveau, entre le système limbique (NDLR: ou cerveau émotionnel) et le cortex préfrontal impliqué dans régulation de la réponse de ce système limbique, ce qui peut entraîner l’émergence de difficultés psychologiques non seulement pendant l’enfance mais également à l’adolescence et à l’âge adulte.
C’est la raison pour laquelle il faut être particulièrement vigilant à garantir un environnement socio-émotionnel de qualité à l’enfant. Néanmoins, il faut également faire attention à ne pas surinterpréter ces résultats et à ne pas leur donner un caractère trop déterministe. Pour l’éducation positive comme pour l’éducation punitive, gardons-nous d’instrumentaliser la science en simplifiant des phénomènes qui se définissent précisément par leur complexité».
Ni torture, ni panacée
Le time out, abréviation de «time out from positive reinforcement», est ce qui, avec la question des limites, oppose les partisans d’une éducation très à l’écoute des émotions de l’enfant à ceux qui prônent un retour à plus de fermeté et de règles éducatives. Régulièrement attaquée sur sa vision du time out et sur les modalités de sa mise en application, Caroline Goldman rétorque que ses détracteurs confondent limites éducatives et maltraitance. Il est vrai que même au sein de la communauté scientifique, le fait d’envoyer un enfant se calmer dans sa chambre divise.
Le time out est une stratégie disciplinaire utilisée dans le cadre des programmes d’entraînement aux habiletés parentales pour le traitement des troubles du comportement chez l’enfant, clarifie Edouard Gentaz, psychologue du développement et spécialiste de l’approche neuropsychologique des apprentissages chez l’enfant. Il s’agit d’une méthode de punition dite «négative» qui consiste à placer l’enfant dans un environnement moins stimulant et ce, pour une période déterminée, connue de l’enfant, afin de réduire les comportements considérés comme inadaptés.
Le time out prive donc l’enfant de tous les renforcement positifs habituels, comme le fait d’être en présence d’autres personnes, de recevoir de l’attention de la part des parents ou des pairs, ou de participer à une activité. Il ne s’agit cependant pas, à ce moment précis du moins, d’engager l’enfant dans une réflexion sur son comportement. Le time out se fonde sur un raisonnement simple: si l’attention nourrit le comportement inapproprié, alors il faut interrompre brièvement tous les types d’attention pour mettre fin à ce comportement.
Il existe une réelle confusion entre le laxisme et l’éducation positive, que je préfère appeler l’éducation non violente.
Le fait de brandir à tout bout de champ des données extraites d’études et de faire appel à l’imagerie cérébrale pour soutenir des consignes éducatives agasse plus d’un scientifique, dont Edouard Gentaz: «Ces études ont principalement porté sur des enfants présentant des comportements opposants et défiants, comme il en existe dans le trouble oppositionnel avec provocation ou le trouble des conduites mais aussi dans le déficit de l’attention-hyperactivité.
Dans de telles situations, le time out est une mesure de sécurité qui permet d’enrayer l’escalade d’hostilité entre les parents et les enfants. Mais le time out ne doit jamais être enseigné aux parents tant que ceux-ci ne maîtrisent pas les compétences parentales axées sur l’établissement d’une relation bienveillante et étayante avec leur enfant. Il ne doit pas, non plus, être utilisé dans les situations où l’enfant a peur ou s’il est en détresse à cause d’un incident.»
«Ce qui me préoccupe surtout, dans ce débat, poursuit-il, c’est que les représentants des deux courants mettent en opposition des principes alors qu’ils ne réalisent eux-mêmes aucune recherche et qu’ils lisent mal celles sur lesquelles elles s’appuient. Ils sont légitimes pour parler de ce qu’ils observent dans leur cabinet mais pas pour faire des interprétations ultra-abusives de données scientifiques. Et pourtant, ce sont elles que les médias appellent. Ça donne l’impression que si on aborde le problème avec nuance et dans toute sa complexité, personne ne voudra écouter.»
«Le time out n’est ni une pratique de torture des enfants éthiquement inacceptable ni la pierre angulaire d’une feuille de route qui permettrait à des parents déboussolés de rasseoir leur autorité. C’est un outil au sein d’une boîte à outils comportementale ayant fait la preuve de son efficacité, et que l’on peut englober sous le nom de “renforcement du comportement positif”, évalue pour sa part Franck Ramus, directeur de recherches au CNRS en sciences cognitives. Prôner le temps mort hors du cadre théorique et pratique dans lequel il a fait ses preuves, en ne donnant aux parents aucune des clés qui conditionnent son efficacité, c’est les précipiter vers des pratiques qui risquent d’être inefficaces et inutilement répressives.»
Quand on écoute les uns et les autres, on a pourtant l’impression qu’ils ont plus en commun que ce qu’ils ne laissent penser. «Il y a effectivement consensus sur la bienveillance à l’égard des enfants et le refus de toute violence. Mais ce consensus ne suffit pas à définir une méthode de parentalité qui fonctionne, et cela laisse donc de la place à des théories et des pratiques très différentes», ajoute Franck Ramus.
Repenser la parentalité
Edouard Gentaz, qui est Suisse, remarque aussi que les crispations autour des questions éducatives ne sont pas seulement le reflet d’une divergence de points de vue et de positionnements inconciliables autour des limites ou du time out, ou d’une remise en cause de la psychanalyse au profit de la neuroscience. Elles sont devenues un véritable enjeu politique entre une droite plutôt pro-time out et une gauche plutôt pro-éducation positive. Alors qu’en Suisse, comme en Belgique, le débat est plus mesuré.
«La discussion devrait plutôt porter sur la manière dont on pense la parentalité dans le monde d’aujourd’hui, dont on parle aux parents et sur les connaissances dont ils disposent, pour sortir des recettes toutes faites. Si l’enjeu est d’éviter tout type de violence envers l’enfant, alors peut-être faut-il expliquer aux parents comment se développe son cerveau. Ce sera plus efficace que punir», propose Grégoire Borst.
On donne trop d’importance à ces polémiques, le rejoint le sociologue de l’université Saint-Louis Bruxelles, Nicolas Marquis. «Comme c’est aussi le cas avec le développement personnel, on compte, d’un côté comme de l’autre, quelques aficionados, des personnes fascinées qui appliquent les principes à la lettre, jusqu’à l’absurde. Dans les débats, les positions sont toujours relativement tranchées, mais dans les faits, on est toujours dans un entre-deux.» Or, dans un société polarisée, la nuance ne fait pas recette.
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