Bientôt une assurance spécifique pour les violences intrafamiliales? Le ministre Rob Beenders (Vooruit) appelle les assureurs à «prendre leurs responsabilités» © Getty Images

Bientôt une assurance spécifique pour les violences intrafamiliales? «Ça soulève des interrogations éthiques»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Le ministre Rob Beenders (Vooruit) souhaite que les violences intrafamiliales soient systématiquement couvertes par les assurances protection juridique. Une idée saluée par les associations, qui pointent toutefois certains obstacles à la mise en œuvre du dispositif.

Près d’une Belge sur trois a déjà subi des violences psychologiques, physiques ou sexuelles de la part d’un partenaire intime. Ces statistiques alarmantes, révélées par l’enquête EU-GBV en 2021, rappellent que le foyer familial reste un lieu menaçant pour de nombreuses femmes, quel que soit leur âge. Or, ces drames conjugaux font rarement l’objet de plaintes de la part des victimes, souvent incapables de supporter les coûts inhérents à une telle procédure judiciaire.

Les assurances ont-elles un rôle à jouer dans la prise en charge de ces frais? Oui, répond le ministre Rob Beenders (Vooruit), en charge de la Protection des consommateurs et de l’Egalité des chances. Pour le socialiste flamand, le secteur se doit d’intervenir dans les dossiers de violences intrafamiliales, pour éviter que les victimes «soient abandonnées à leur sort».

Aujourd’hui, la protection juridique proposée dans le cadre d’une assurance familiale (ou vie privée) couvre généralement l’ensemble du foyer. Les deux partenaires (à la fois l’auteur des violences et la victime) sont ainsi protégés par la même police, ce qui empêche généralement l’intervention de l’assureur. «Le principe-même d’une assurance protection juridique est de protéger toute la famille contre un sinistre ou un litige extérieur, et non de protéger un membre contre l’autre», confirme Nevert Degirmenci, porte-parole d’Assuralia, la fédération des assureurs belges. Certaines protections juridiques étendues offrent toutefois la possibilité d’intervenir pour les honoraires d’avocat ou les frais d’expertise inhérents à la plainte, dans certaines circonstances. Mais là encore, la victime est souvent tenue d’apporter la preuve du comportement violent pour obtenir l’indemnisation, qui relève parfois de la mission impossible. «Ce sont des dossiers complexes et généralement délicats», reconnaît Nevert Degirmenci.

Lutter contre l’exclusion

Face à ce constat, le ministre Rob Beenders a entrepris des discussions avec le secteur pour tenter d’apporter des solutions collectives à la problématique. Ces négociations, qui devraient encore se prolonger dans les mois à venir, devront définir les contours de cette aide, tout en «restant dans la légalité» et en «conservant l’essence-même de la protection juridique», insiste Assuralia.

Une initiative saluée par les associations de défense des victimes. «Les violences conjugales et intrafamiliales doivent absolument faire l’objet d’un soutien pluridisciplinaire, à la fois psychologique, social et juridique, insiste Jean-Louis Simoens, directeur du Pôle de ressources spécialisées en violences conjugales et intrafamiliales. Or, c’est justement ce dispositif juridique qui fait généralement défaut. Nous sommes donc tout à fait favorables à la multiplication des ressources en ce sens.»

Cette proposition doit toutefois ne laisser personne au bord de la route, insiste le directeur de l’asbl. «Un grand nombre de victimes sont en situation de précarité économique ou sociale, ce qui pourrait les exclure de ce dispositif.» Quid des victimes qui n’ont souscrit à aucune assurance familiale? Ou qui n’ont aucune idée des clauses comprises dans le contrat? Et si l’assurance est au nom du conjoint violent, pourrait-il s’opposer à la prise en charge? «Les conditions d’accès au dispositif devront être les plus larges possibles pour éviter ce phénomène d’exclusion sociale», plaide Jean-Louis Simoens. La protection des données privées pourrait également être mise en péril. «Comme les protections juridiques sont souvent des contrats familiaux, comment s’assurer que les informations sensibles, par exemple le lieu de résidence momentané de la victime, ne soit pas divulgué à l’ensemble du foyer?», s’interroge le directeur de l’asbl.

Un relogement?

Plus globalement, les associations de défense des victimes questionnent la pertinence de confier une telle mission aux compagnies d’assurance, inévitablement régies par un impératif de rentabilité financière. «Est-on en train de basculer dans une idéologie où le public demande à des partenaires privés de prendre en charge une problématique sociétale et d’intérêt général?, s’enquiert Jean-Louis Simoens. Cela soulève en tout cas des interrogations éthiques et politiques

Bref, les modalités de ce dispositif devront encore être précisées pour convaincre entièrement le secteur associatif. Assuralia et le ministre Beenders pourraient toutefois s’inspirer des modèles déjà existants à l’étranger. En France, AXA vient tout juste de lancer une «garantie violences conjugales». Concrètement, l’assureur a ajouté deux nouvelles clauses à ses contrats habitation: un dispositif d’accompagnement juridique et psychologique aux victimes de violences conjugales, ainsi qu’un relogement d’urgence. Une solution d’accueil temporaire qui n’est pas à l’ordre du jour des discussions en Belgique, mais qui pourrait soulager des foyers actuellement surchargés. Les vingt maisons d’accueil spécialisées en violences conjugales du pays font aujourd’hui face à des listes d’attente grimpant parfois jusqu’à huit semaines, rappelle Jean-Luc Simoens.

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