Charia Hebdo, numéro spécial de Charlie Hebdo paru en novembre 2011: une obsession de l’islam? © GETTY IMAGES

Attentat contre Charlie Hebdo, dix ans après: le charlisme ou l’adieu à la déconnade

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

En endossant la lutte contre l’islamisme comme unique flambeau, Charlie aurait versé dans le camp des sérieux et des dominants, regrette le spécialiste des médias Daniel Schneidermann.

«Le combat pour avoir le droit de faire rire a-t-il pris le pas sur la simple envie de faire rire?» C’est un des nombreux questionnements qu’inspire l’évolution de Charlie Hebdo au journaliste Daniel Schneidermann. Il les expose dans un essai dont le titre résume à lui seul la dérive qu’il dénonce, Le Charlisme. Le fondateur de l’émission (et du site) Arrêt sur images est nostalgique de l’époque où le journal satirique ciblait «les militaires, les curés, les policiers, les chasseurs, les milliardaires, les riches en général, toutes ces verrues visuelles de l’Occident» dans un joyeux déferlement duquel n’étaient jamais absentes l’autodérision et la tendresse. Mais «comment rester antimilitaristes, quand c’est l’armée qui défend votre droit à l’être? Comment rester antiflics, quand c’est la police qui vous protège dans votre quotidien?», interroge l’auteur.

A l’allégresse adolescente des origines, a succédé, selon lui, le charlisme, «la perversion de l’esprit Charlie» née aux lendemains de l’attentat. Ses prémices sont cependant plus anciens. Le 11-Septembre amorce ce grand virage lorsque Charlie «se range aux avant-postes du camp des civilisés contre le danger barbare». Il s’approfondit quand Philippe Val en prend la direction et que le «droit au blasphème» passe de mot d’ordre parmi d’autres à principal. «Il s’agit d’abattre un tapis de bombes sur les islamistes, et eux seuls, avec quelques dommages collatéraux du côté de la masse des musulmans en général, mais on n’a rien sans rien», juge Daniel Schneidermann. Résultat: en prenant la lutte contre l’islamisme comme seule boussole, Charlie Hebdo rallie obligatoirement le camp des dominants. «Né dans le soutien aux civilisés occidentaux contre les barbares de partout ailleurs, le Charlie de Val s’est trouvé par là-même irrésistiblement aspiré du côté des dominants, s’est assis à leur table, et a découvert que les coussins étaient moelleux», assène le théoricien du charlisme.

«Le combat pour avoir le droit de faire rire a-t-il pris le pas sur la simple envie de faire rire?»

Ainsi «les charlistes ont laissé passer entre les mailles du filet toutes les figures de l’oppression d’aujourd’hui, oppression économique, politique, matraquage idéologique…». La désertion de l’hebdo des combats contre le dérèglement climatique et contre l’aliénation publicitaire en serait aujourd’hui les plus éclatantes preuves, à côté de son indifférence au sort des Palestiniens depuis le début de la guerre à Gaza. Portée à cette intensité, le combat anti-islamiste rendrait aveugle. Devant l’hécatombe à Gaza, «que dit Charlie?». «Que disent Reiser, Cabu, Wolinski, Gébé? Que dit Charb qui, dans ses dessins, ses éditos, ses reportages, n’a jamais flanché dans son soutien aux Palestiniens, et dans la dénonciation de l’apartheid en Cisjordanie? Où sont leurs dessins? Où sont leurs rires de rage et de désespoir?», se demande Daniel Schneidermann. Dix ans après, l’heure est-elle aussi à l’introspection?

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire