Affaire Luigi Mangione : la violence revient en politique et les populistes n’y sont pas pour rien
Le meurtre du PDG de l’assurance santé United Healthcare Brian Thompson aux Etats-Unis par un ingénieur diplômé traduit l’arrivée de la violence dans le discours politique. Aux Etats-Unis comme en Europe, le populisme n’y est pas pour rien.
«Delay» et «Deny». Retard et refus. Ce seraient les mots écrits sur les douilles des balles qui ont mortellement transpercé la peau de Brian Thompson, samedi à 6h45 dans les rues de Manhattan à New York. Ce sont aussi les mots qui sont apposés par United Healtcare et d’autres compagnies d’assurance américaines pour signifier un refus d’indemnisation des soins.
Le suspect, Luigi Mangione, a été arrêté à 500 kilomètres à l’Ouest, en Pennsylvanie, trahi par son sourire charmeur auprès d’une employée d’un McDonald’s qui a alerté la police. Son profil, pourtant, ne ressemble en rien à celui d’un tueur. Ingénieur diplômé de l’Université de Pennsylvanie, fils de bonne famille, et bien intégré dans différents cercles étudiants, lecteur… Partout où il a vécu, les médias américains sont allés et n’ont trouvé des témoignages que de personnes le considérant comme un type banal, incapable de commettre un tel acte. La piste qui relie Mangione à Thompson serait un problème de dos du suspect qui aurait subi une opération inefficace et aurait dès lors porté la responsabilité de ce fardeau l’incapacitant dans des tâches sommaires sur les compagnies d’assurance. A noter tout de même que ces informations n’ont pas été confirmées par les autorités judiciaires et que le mobile de Luigi Mangione reste inconnu officiellement.
De tueur à héro
Depuis l’arrivée de l’affaire dans les médias, nombreux sont ceux sur les réseaux sociaux à manifester leur sympathie envers Luigi Mangione.
L’affaire prend donc une tournure politique. L’acte pour lequel Luigi Mangione est suspect réintroduit le débat de la violence et de l’action directe comme manœuvre. «On est dans un moment d’intrusion de la violence dans la sphère politique», avance le philosophe et chargé de recherche au Crisp, Vincent Lefebve. Il note cependant que celle-ci n’est pas inédite, et qu’elle fait presque partie de «la culture fondatrice» des Etats-Unis à travers le second amendement. «Le fait que Luigi Mangione soit loué sur les réseaux sociaux fait écho à une polarisation, une radicalisation de nos sociétés. C’est également le cas en Belgique, on se souvient de l’affaire Jurgen Conings (NDLR: ce militaire d’extrême droite, antivax, qui voulait s’en prendre à Marc Van Ranst, aux musulmans et était considéré comme une menace grave d’attentat par l’Ocam)».
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Mangione et Conings auraient en commun d’avoir une certaine aversion envers des institutions étatiques. «Ce genre d’individus veulent se substituer à ces institutions politiques jugées défaillantes, explique Vincent Lefebve. Ils le font en s’appropriant et en faisant usage de moyens de violence, là où la politique s’est justement construite sur le monopole de la violence légitime par l’État (NDLR: la police et l’armée). Mais cette méthode unilatérale contribue paradoxalement à la destruction de l’espace public et du débat public.» Les partisans de Mangione, et de Conings probablement, estiment que la violence est un recours dans une société et face à des institutions qui ne les écoutent plus, et que l’action directe ou l’attentat deviennent les derniers moyens pour se faire entendre. «La dimension unilatérale de cette violence doit sans doute retenir l’attention, estime Vincent Lefebve. L’usage de la violence semble sur ce point différent quand il s’inscrit dans un cadre de résistance à un acte politique à venir, comme dans le cas d’une Zad, par exemple, où la violence est bilatérale et met face à face les institutions étatiques – et éventuellement les forces de police –, d’une part, et des groupements organisés qui articulent des revendications politiques, d’autre part».
Brutalisation du discours politique
Cette résurgence de la violence n’arrive pas par elle-même. Elle est validée, voire même utilisée, par la sphère très politique. «On fait face à une brutalisation de la parole publique. Cela se voit à travers la montée des différents populismes. Il s’agit aujourd’hui de faire de l’adversaire politique un ennemi.» Pour ce faire, les populistes mélangent faits et opinions, ce qui correspond à une première forme de violence politique, explique encore Vincent Lefebve.
Au vu de la montée des populismes à travers le monde, il y a lieu de se demander si les sociétés ne courent pas vers un monde où la violence devient monnaie courante, et l’outil ultime pour asseoir sa vision politique sur le monde. Tout n’est pas foutu, répond Vincent Lefebve. «En Belgique, les corps intermédiaires sont moins touchés par la défiance des citoyens. Il y a encore une forte syndicalisation et un bon lien avec le secteur associatif.» Ils sont donc, eux aussi, des piliers démocratiques.
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