
Accidents du travail: quand le secteur public devient aussi dangereux que le privé
En 2023, l’Agence fédérale des risques professionnels (Fedris) a dénombré 194.959 accidents de travail. Le privé est en baisse alors que le public continue de monter.
Si personne n’est épargné par les accidents de travail, le secteur public suit une tendance à la hausse (+1,8% en un an). A l’inverse du privé, où la baisse du taux d’accidents se poursuit depuis une dizaine d’années (-2,7% en un an). Pour 1.000 travailleurs à temps plein, le privé compte 56,5 accidents, et le public en dénombre 55,2. Les secteurs sont au coude-à-coude en termes de sécurité, alors même que la majorité des postes à risques se trouvent dans le privé. Pourquoi la sécurité des ouvriers et chauffeurs poids lourds est-elle en hausse, alors que celle des fonctionnaires, enseignants et policiers recule?
Cette différence d’évolution s’explique par plusieurs constats. Le secteur privé connaît des investissements importants en matière de sécurité de son personnel. Depuis une dizaine d’années, des secteurs comme la construction, l’industrie chimique ou le transport développent davantage leurs formations en sécurité, et misent sur l’ergonomie et sur les équipements de protection. Le taux d’accidents graves a reculé de 8% en un an dans le privé.
«Cela démontre une prise de conscience des entreprises privées sur les enjeux de sécurité. Les accidents du travail ont un impact direct sur la productivité et les profits des entreprises. Il est dans l’intérêt d’une marque, ou d’une entreprise, de montrer patte blanche en matière de risques de sécurité et de santé au travail (SST), confirme Rory Tierney, expert à l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail. La santé et la sécurité au travail ont une valeur économique directe. Investir dans la prévention génère un retour estimé à 2,2 euros pour chaque euro injecté.»
Si le privé s’est autant développé dans la prévention des accidents de travail, c’est donc qu’il est animé par une vision économique qui intègre la sécurité au travail dans une logique d’optimisation des coûts. Ce qui a favorisé une baisse durable des accidents au fil des années. «A cela s’ajoutent l’automatisation croissante des tâches dangereuses et l’importance accordée au bien-être des salariés, devenus des leviers de compétitivité», complète Rory Tierney.
En renforçant leur culture de la sécurité pour des raisons économiques, d’image de marque et d’attractivité sur le marché de l’emploi, le secteur privé donne des leçons au public, qui devient le mauvais élève.
«Dans la fonction publique, la marge de manœuvre d’optimisation et d’investissement dans les mesures de sécurité est plus limitée. Les entreprises privées disposent d’une large marge de manœuvre pour investir rapidement dans la santé et la sécurité au travail», constate l’expert de l’Agence européenne. Par exemple, elles peuvent décider sans délai d’acquérir des équipements de protection innovants ou de moderniser leurs postes de travail pour améliorer l’ergonomie, sans passer par des procédures complexes. A l’inverse, dans le secteur public, les décisions d’investissement sont soumises à des contraintes budgétaires strictes, à des cycles de validation longs, à des appels d’offres obligatoires, et doivent attendre l’adoption d’un budget pour financer leurs aménagements ou leurs nouvelles formations en sécurité.
Mais d’autres facteurs expliquent la réduction de l’écart du taux d’accidents entre les deux secteurs. L’ Agence fédérale des risques professionnels (Fedris) en a dénombré trois principaux.
Danger des machines
Les accidents liés aux machines et outils concernent à la fois le secteur public et le secteur privé, mais leur impact est plus marqué dans le public en raison du vieillissement du matériel. Selon un rapport de l’assureur AXA, 5% des accidents du travail en 2023 étaient liés à l’utilisation de machines ou d’équipements fixes. Parmi celles impliquées, 70% présentaient des protections inexistantes, inadéquates ou contournées au moment de l’inspection, et 18% étaient totalement dépourvues de dispositifs de sécurité. Dans 45% des cas, les blessures concernaient les mains ou les doigts. Le secteur public, confronté à un parc d’équipements plus ancien et à des marges budgétaires réduites pour la modernisation, reste particulièrement vulnérable à ce type de risques.
On peut penser aux agents de voirie, de maintenance ou encore au personnel technique dans les infrastructures publiques qui sont amenés à utiliser des outils loin d’être à la pointe de la technologie.
Retour massif en présentiel
Après les confinements liés au Covid-19, le secteur public a connu une reprise significative du travail en présentiel. En 2023, le nombre d’accidents sur le chemin du travail dans le secteur public a augmenté de 7,3% par rapport à 2022, atteignant 10.583 cas. Cette hausse est attribuée à l’augmentation des déplacements domicile-travail. Selon l’étude d’AXA, la part des accidents impliquant des usagers de la mobilité douce (vélos, trottinettes) sur le chemin du travail est passée de 24% en 2016 à 38% en 2023. Lorsqu’un travailleur se blesse sur la route, c’est aussi comptabilisé dans les chiffres globaux sur la sécurité.
Le secteur privé n’a pas connu d’évolution similaire. Ce dernier a su intégrer durablement le télétravail, réduisant ainsi les risques d’accidents sur le chemin du travail. Cette différence contribue à accentuer l’écart d’évolution entre les deux secteurs.
Vieillissement démographique des effectifs
Le secteur public belge est confronté à un vieillissement notable de ses effectifs. En 2022, plus de 40% des agents fédéraux avaient plus de 50 ans. Cette tranche d’âge est plus exposée aux accidents graves: en 2023, 45% des victimes d’accidents du travail avec incapacité permanente avaient 50 ans ou plus. Le vieillissement entraîne en effet une diminution de la mobilité et des réflexes, augmentant la vulnérabilité aux accidents, notamment dans les métiers physiquement exigeants tels que les agents de voirie ou les aides-soignants.
Cependant, la jeunnesse n’est pas un gage d’invulnérabilité pour autant. Selon Fedris, les travailleurs de moins de 25 ans présentent un taux élevé d’accidents du travail. Le manque d’expérience, un plus grand laxisme dans les procédures de sécurité et des prises de risques plus importantes sont en cause. En 2023, les jeunes de moins de 25 ans représentaient environ 13% des accidents avec incapacité temporaire.
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