Comment la justice a fait de la Belgique un paradis pour les humoristes
Le droit belge est particulièrement clément avec les auteurs de vannes. Une protection, pas une impunité.
Avocat au barreau de Bruxelles et auteur de l’ouvrage Le Droit à l’humour (Larcier, 2011), Bernard Mouffe a examiné les affaires portées devant les tribunaux belges, français et néerlandais, de 1830 à nos jours. Dans 90% des cas, la justice a donné raison aux humoristes.
Le droit à l’humour, tel qu’il est considéré en Belgique, est un droit très fort, assure-t-il. Il est englobé dans la liberté d’expression, laquelle est fixée dans la Constitution. La France, a contrario, n’a pas intégré cette disposition dans sa Constitution. Elle figure dans une loi qui peut donc être facilement modifiée. Les humoristes peuvent aussi invoquer le droit à la critique, qui inclut fatalement une certaine subjectivité.
L’argumentaire des décisions prises dans ce type de dossier s’appuie en général sur des éléments sociologiques, parmi lesquels la dimension sociale du rire, le rire comme acte de légitime défense, mais aussi la fonction du comique apotropaïque, destiné à conjurer le mauvais sort, à se décharger de sa nervosité. Celui aussi qui établit que l’humour est légitime lorsque la victime peut s’attendre à recevoir des coups en raison de son statut. Un politicien, par exemple. Les tribunaux belges, enfin, ont tendance à donner raison aux 50 personnes qui ont ri de la blague plutôt qu’à celle qui ne l’a pas appréciée.
Un eldorado pour les auteurs de vannes, dont a profité un petit temps le polémistes Dieudonné, lequel s’est vu plus rapidement condamné en France qu’en Belgique pour ses sketchs racistes, rappelle Bernard Mouffe. «Dans son cas, qui fait figure d’exception, il n’a plus pu se prévaloir de la bonne foi en tant qu’humoriste puisqu’il ne se trouvait plus dans ce registre mais dans la propagande politique.»
Justice et humoristes, terrain glissant
Que ce soit en France ou en Belgique, la justice tient également compte du contexte dans lequel la blague est formulée. En France, Philippe Bouvard et l’animateur de télévision Vincent Perrot se sont ainsi retrouvés sur le banc des prévenus d’une chambre parisienne pour avoir fait un rapprochement, dans Les Grosses Têtes, entre le vol dans les supermarchés et la communauté musulmane. Le parquet avait estimé qu’il ne s’agissait plus d’une vanne potache mais d’une incitation à la haine ou à la violence raciale.
«Le problème, dans le cas des Grosses têtes, commente l’avocat, c’est que l’émission était écoutée par un public très large, composé notamment d’enfants qui ne pouvaient pas comprendre qu’il s’agissait de second degré. Le contexte particulier dans lequel la blague a été racontée l’a rendue inadmissible.»
Certains contextes sont d’ailleurs plus propices à une interprétation en défaveur de l’auteur de la blague. Un entraîneur de foot qui se laisserait aller à une blague raciste en bord de terrain pourra difficilement se retrancher derrière le paravent de l’humour et de la bonne foi, vu les précédents. Car, oui, on a le droit d’être raciste et même de l’exprimer. Mais pas d’inciter les autres à le devenir.
La justice tient également compte du contexte dans lequel la blague est formulée.
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