Carte blanche
2.176 places en crèche perdues: il faut stopper l’hémorragie
Considéré comme essentiel pendant la période Covid, le secteur de la Petite Enfance est en souffrance. Selon le rapport d’activités de l’ONE 2022, la Fédération Wallonie-Bruxelles compte en 2022, 45.591 places en crèche, contre 46.975 en 2019, écrit Florence Couldrey, Echevine (DéFI) de la Petite Enfance à Auderghem.
Triste constat : entre 2019 et 2022, le secteur non subventionné boit la tasse et perd 2176 places, soit près de 5% de la capacité d’accueil globale en Fédération Wallonie-Bruxelles. (1). Parallèlement, le secteur subventionné gagne 792 places. Les crèches privées craignent pour leur avenir. Certaines mesures de la Réforme Milac entraînent une complexification des démarches administratives et impactent directement la viabilité des crèches non subventionnées.
Vers une mort annoncée des crèches privées ?
Depuis la mise en place de la Réforme Milac, ouvrir une nouvelle crèche relève du parcours du combattant.
Désormais, une crèche doit avoir une capacité minimale de 14 places ce qui implique de trouver un espace de près de 100 M2. Dans une grande ville, trouver une telle superficie à prix abordable revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Une fois la pépite trouvée, nouveau défi : la mise en conformité avec les normes de l’ONE, avec celles de l’urbanisme et celles des services de secours. Mauvaise surprise : le cadre légal pour se mettre en conformité au niveau des services de secours se base sur au moins 7 sources de droits différentes, laissant place aux interprétations, et donc à l’insécurité quant au montant à engager pour se mettre en conformité. Un problème soulevé il y a plus d’un an auprès du Cabinet de la Ministre en charge de la Petite Enfance, Bénédicte Linard… qui promettait d’agir. Un an après, force est de constater l’absence de cadre légal clair, pourtant existant depuis longtemps en Flandre. Autre difficulté : ouvrir une crèche suppose désormais un statut d’ASBL ou de société à finalité sociale. Plus question d’ouvrir une crèche en personne physique. Du coup, adieu la possibilité de déduire des frais forfaitaires par jour par enfant. Place à une comptabilité réelle. A-t-on pensé qu’engager un comptable suppose des frais impossibles à répercuter sur la facture des parents ? Autres épreuves : désormais, pour travailler avec du personnel indépendant ou, par exemple, ouvrir une crèche dont la capacité d’accueil n’est pas un multiple de 7, il faudra décrocher une dérogation auprès de l’ONE. Comment dans ces conditions espérer la création de nouvelles crèches ?
Soutenir plutôt que complexifier
Soutenir les crèches privées est important. Leur offre est complémentaire à celle du service public. Par ailleurs, les finances publiques ne permettent pas de pouvoir se passer de crèches privées au profit de structures uniquement publiques.
Outre l’annulation de certaines mesures de la Réforme Milac, mettre en en place des aides efficaces est une nécessité.
Pour soutenir le secteur privé, la Ministre choisit d’offrir aux crèches privées la possibilité d’un subside pour un poste de direction à mi-temps (2). Souci : la Ministre impose une nouvelle formation pour occuper un poste de direction aux personnes qui n’étaient pas en fonction avant la mesure et réduit ses attributions. Dorénavant, plus question d’être directeur.trice de crèche et d’encadrer les enfants, les deux missions sont distinctes. D’où question : qui va être intéressé de suivre une nouvelle formation pour devenir directeur.trice de crèche à mi-temps, créer une ASBL ou une société à finalité sociale, employer des salariés et supporter tous les risques ?
Afin d’assurer l’accessibilité aux crèches privées (coût d’une place à temps plein entre 650 et 1250 euros/mois selon la localité contre 450 à 500 euros par mois en crèche subventionnée pour une famille aux revenus moyens), à l’instar d’autres pays, il pourrait être développé un système de chèques service-accueil enfant, c’est-à-dire d’une aide financière qui accorde une allocation aux parents en fonction de leurs revenus. Pour répondre à l’urgence d’assurer une stabilité de l’offre tout en veillant à la sécurité, il pourrait être misà disposition à tarif réduit des bâtiments équipés conformes aux normes de l’ONE et à celles des services de secours. Une sorte de partenariat public -privé utile à tous.
Plan Cigogne : le désenchantement ?
La promesse de création de 5200 nouvelles places subventionnées d’ici 2026 émise par la Ministre Bénédicte Linard en 2022 était-elle réaliste ? Le délai donné pour soumettre une candidature était court tandis que le dossier à remettre était complexe. A l’inverse, le délai pour obtenir une réponse de l’ONE était tellement long que des projets ont été abandonnés. A Bruxelles, d’emblée, le nombre de projets soumis a été insuffisant, notamment parce qu’il très difficile de trouver dans la capitale un terrain ou un bâtiment immédiatement disponible et suffisamment grand pour accueillir une crèche.
Le bon sens impose le lancement d’un second appel à projets pour Bruxelles avec une procédure simplifiée et un engagement de l’ONE à donner une réponse dans les trois mois. Problème : il se dit que la Ministre n’aurait pas le budget nécessaire à la création des 5200 places promises. Or, selon la Ligue des Familles, il aurait fallu créer au moins 10.000 nouvelles places. Et dire que 2176 places en crèche privée ont été perdues depuis 2019…
Agir plutôt que de colmater les brèches
Il est urgent de stopper l’hémorragie. La pluralité de l’offre d’accueil est importante et le secteur privé doit être soutenu. Il est nécessaire dès maintenant d’évaluer les décisions prises, d’annuler certaines mesures de la Réforme Milac et d’en ajuster d’autres, de relancer un appel à candidatures pour Le Plan Cigogne à Bruxelles, d’analyser ce qui se fait au niveau européen concernant la Petite Enfance et de mettre en place des mesures impactantes destinées à assurer une disponibilité suffisante de professionnels.les de la Petite Enfance ainsi qu’une attractivité pour le métier.
(1) De 2019 à 2022, on passe de 13494 à 11318 places d’accueil dans le secteur non subventionné. Accueil non subventionné rassemble les crèches privées et les accueillantes indépendantes. De 2019 à 2022, on passe de 33481 à 34273 places d’accueil subventionnées. La perte globale se limite à 1383 places d’accueil
(2) A partir de 70 places d’accueil, un subside est octroyé pour un temps plein de direction.
Florence Couldrey, Echevine (DéFI) de la Petite Enfance à Auderghem
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