2025, la génération bêta commence à peupler la planète: «Un monde nouveau, oui, mais gare aux stéréotypes»
Le 22ème siècle en ligne de mire, les nouveau-nés de 2025 tournent une nouvelle page générationnelle, à l’aube d’une vie saturée par la technologie. Alors que leurs parents appartiennent souvent aux générations Y ou Z, les voilà initiateurs de la bêta. Classement pertinent ou foutaise managériale?
Leur compteur affiche à peine quelques jours d’existence, et on leur prête déjà le statut d’êtres d’une «nouvelle ère». Depuis le passage à l’an neuf, aux quatre coins de la planète, les naissances humaines ne constituent pas qu’une addition de nouvelles vies isolées qui se dévoilent au monde: ensemble, elles propulsent le départ d’une nouvelle génération. C’est ce que postule le démographe australien Mark McCrindle, pour qui les bébés de 2025 amorcent ainsi le développement de la génération bêta. En 2035, cette génération constituera 16% de la population mondiale. Ses représentants naîtront jusqu’en 2039.
Génération bêta: bienvenue dans une infusion de technologie
Environnements virtuels immersifs, technologies de santé portables, accélération de la hausse démographique sur une planète où l’habitabilité diminue toujours plus vite, transport autonome à grande échelle… Mark McCrindle identifie une liste fournie de repères chargés d’impact sociétal pour dessiner les contours de la génération bêta. Bien qu’elle soit loin d’être la première à grandir dans un environnement hautement technologique, le démographe prévoit que la génération bêta, en plus de regarder le 22ème siècle comme un horizon de vie probable, présente la spécificité de baigner dans un monde où l’intelligence artificielle est structurée et non plus émergeante. Elle s’apprête à cet égard à expérimenter les mondes physique et technologique comme confondus en une unique entité.
À l’origine des catégories lettrées de générations semblent s’identifier deux auteurs, Charles Hamblett et Jane Deverson, coutumiers de la notion de génération X dans un ouvrage de 1964. Leur idée, largement partagée, postule que des événements historiques ou des contextes sociotechniques évolutifs –ce que le sociologue Karl Mannheim nomme «l’esprit du temps»– entraînent des dynamiques sociologiques lisibles par l’établissement de générations distinctes successives. C’est aussi le point de vue de Mark McCrindle, lequel a de son côté initié l’utilisation de l’alphabet grec pour poursuivre la démarche catégorielle. «Ces transitions ne sont pas que chronologiques, assène l’Australien. Les générations alpha et bêta se différencient des précédentes vu la totale intégration technologique qu’elles expérimentent dès leur arrivée dans le monde.»
Générations et effet d’âge
«Distinguer des générations, indépendamment des labels que l’on y ajoute, a du sens du point de vue scientifique», confirme Laura Merla. Pour la sociologue, professeure à l’UCLouvain et directrice du Centre interdisciplinaire de recherche sur les familles et les sexualités (CIRFASE), la succession des contextes historiques confère une pertinence scientifique à celle de générations distinctes. Bernard Fusulier, professeur de sociologie à l’UCLouvain et Directeur de recherches honoraire FNRS, confirme la pertinence du découpage générationnel, par contraste avec l’effet d’âge: «L’effet d’âge se réfère aux changements de comportements qui se produisent à mesure que les individus vieillissent. Les sociologues et démographes se demandent néanmoins si ce qui est perçu comme un effet d’âge, ne serait pas plutôt un effet générationnel. Par exemple, on pourrait penser que les personnes âgées utilisent moins les smartphones parce qu’elles sont moins à l’aise avec la technologie, ce qui serait perçu comme un effet d’âge. En réalité, cette différence est souvent mieux expliquée par un effet de génération, dans le sens où les personnes âgées d’aujourd’hui ont grandi et vécu une grande partie de leur vie sans smartphones ou Internet. Inversement, la génération labellisée «milléniaux» ou «Z», qui a grandi avec ces technologies, continuera probablement à les utiliser largement même en vieillissant.»
Les générations: plus que des successions filiales, des tranches de siècle
En famille, il est plus fréquent de décrire les générations en termes relatifs. Enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants y balisent classiquement les raisonnements et les réflexions comme «par rapport à toi, est-ce une nièce ou une cousine?». Dans ce contexte, fixer des termes absolus, des charnières fixées à des années précises a-t-il un sens? «Les charnières datées sont une simplification de confort qui permettent de situer les générations dans un contexte socio-historique plus large, expose Bernard Fusulier. Pour les chercheurs, cela facilite la comparaison et la synthèse des résultats de différentes recherches, parfois la théorisation. Toutefois, l’important n’est pas la date elle-même, mais la période plus ou moins balisée qui exprime un état de société», nuance-t-il. Pour le chercheur, différencier les générations peut par exemple aider à mener des politiques en lien avec des changements observés, grâce à l’éclairage qu’ils apportent sur le phénomène. C’est le cas au sujet de la transformation générale du rapport à l’apprentissage et à l’éducation, largement débattue actuellement dans les réformes liées à l’enseignement.
Les labels, ces appellations d’origine non-contrôlée
«Les gens aiment faire partie d’un groupe», rappelle Sarah De Gieter, psychologue du travail à la VUB, pour qui ces divisions de générations par lettres recouvrent en réalité «tout un business». Bernard Fusulier tempère à son tour: «Il y a un côté arbitraire dans la fixation des charnières datées et un côté homogénéisant, d’où la nécessité d’un usage prudent et nuancé du concept pour ne pas basculer vers le stéréotype.» S’agissant de la génération bêta, le sociologue se montre prudent quant à la «charnière 2025», préférant observer les générations en les catégorisant éventuellement à condition de recul sur l’époque en question, comme c’est le cas pour parler des baby-boomers (personnes nées entre 1946 et 1964). «Je ne peux pas nier que l’une des caractéristiques de cette nouvelle génération est de naître dans un monde où l’intelligence artificielle et les réalités virtuelles seront des éléments courants, admet-il. Il n’en demeure pas moins qu’en fonction du milieu social d’origine, de l’appartenance ethnoculturelle, du genre, du lieu de vie… d’importantes différenciations internes à cette génération labellisée seront toujours plus intéressantes à analyser.»
Derrière le choc des générations, un choc «sociologues-DRH»
Parmi de nombreuses parutions du genre, une étude insiste sur le poids des différences de générations dans le domaine du travail. Selon ses auteurs, les générations catégorisées qui se succèdent charrient bel et bien des valeurs, des motivations, des objectifs et des comportements très différents au fil du temps. Leur enquête montre l’existence de charnières tangibles et situées dans le temps, assimilables aux pivots entre générations, en ce qui concerne les approches entrepreneuriales et managériales. Si l’édification de labels générationnels fait largement écho dans les publications de recherches liées aux ressources humaines, certains chercheurs en sciences sociales adoptent de leur côté un regard plus critique sur le sujet. Pour les sociologues François Pichault et Mathieu Pleyers, cet étiquetage résiste rarement à l’épreuve des faits, relayant plus souvent des conclusions basées sur des clichés que des tendances de fond. «Ces dernières peuvent même générer des effets pervers pour le bon fonctionnement des organisations», avancent-ils.
Si nombreuses soient les dénonciations de «foutaise managériale» ou de «baratin commercial vide de sens» à l’évocation des catégories de générations, la force de leur relais les impose selon Bernard Fusulier comme un objet d’étude, indépendamment de l’avis que l’on en a. «Si les médias s’en emparent même de façon critique, que les campagnes marketing les mobilisent, qu’ils circulent sur les réseaux sociaux, que les politiques les évoquent… ils finissent par s’ancrer dans la conscience collective et, par conséquent, devenir un phénomène social, c’est-à-dire un vrai sujet d’étude pour les sociologues.» Reste à interroger les premiers représentants de la génération bêta, encore peu loquaces à ce jour.
Quels changements pour quels labels? Aperçu des générations depuis l’entre-deux guerres
• 1925-1945: les builders
Ses membres ont largement construit la société dite «moderne», ses institutions, ses infrastructures. Ils sont nés dans les années de crise, ont entendu leurs parents parler de la Première Guerre mondiale et ont ensuite vécu eux-mêmes la Seconde Guerre mondiale.
• 1946-1964: les baby-boomers (ou boomers)
Leur naissance coïncide notamment avec celle du modèle social de l’État-providence et avec l’aspiration à la démocratie comme forteresse commune. Ils sont marqués par la croissance économique des années 1950 et 1960, ce qui a façonné tendanciellement leurs attitudes envers la consommation, la famille et l’environnement.
• 1965-1979: la génération X
Deux parents au travail, environnements changeants et compétitifs, travail comme moteur social… elle est parfois affublée de l’expression «génération perdue».
• 1980-1994: la génération Y (ou millennials)
Elle a «grandi avec l’internet et l’informatique» et avec l’avènement du néo-libéralisme dominant. Elle serait à l’initiative d’une plus large considération des diversités culturelles, ethniques ou religieuses. Le 11 septembre a marqué un tournant dans la vie de ses membres en «changeant leur vision du monde».
• 1995-2009: la génération Z
Formée pendant la période Covid-19, elle est soumise à une plus grande flexibilité économique et sociale. Ses membres bouleversent en nombre le monde du travail en revendiquant davantage d’équilibre entre domaines privé et professionnel.
• 2010-2024: la génération Alpha
Il s’agit de la génération iPad, car il apparaît dès sa naissance en 2010. Elle marque le début de l’existence d’une population qui évolue dans un environnement où la technologie est d’emblée totalement intégrée et structurante.
• 2025-2039: la génération bêta
Elle baigne dans un monde où l’intelligence artificielle est installée et non plus émergeante. Elle s’apprête à cet égard à expérimenter les mondes physique et technologique comme confondus en une unique entité.
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