Coût virilité
Quel est le coût de la virilité en Belgique ? © Getty Images/fStop

16 milliards d’euros, ce que coûte la « virilité » à la société belge (et c’est un minimum)

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Les préjudices liés à la virilité pèsent seize milliards d’euros par an. Une estimation imparfaite, mais qui livre un ordre de grandeur. Un coût largement ignorépar les premiers concernés, les hommes.

C’est un facteur qui n’apparaît presque jamais. Que tout le monde ferait semblant de ne pas voir : les violences et les comportements à risque, avant d’être le fait de mineurs, de pauvres ou d’étrangers, sont d’abord une affaire de sexe, l’affaire des hommes. Violences, homicides, infractions routières, trafics… Les statistiques sont sans appel : les auteurs sont le plus souvent, parfois quasi exclusivement, des hommes. Mis bout à bout, ces comportements masculins à risque coûtent cher et sont supportés par l’Etat et la société. Leurs coûts sont de deux ordres.

– Le premier, direct : les dépenses pesant sur le budget de l’Etat (frais de justice, de police, de services de santé, etc.).

– Le second, indirect : endossés par la société et liés aux souffrances ­physiques et psychiques ou à la perte de productivité des victimes mais aussi des responsables des faits, ou encore à la destruction et au remplacement de biens.

Estimer cet écart entre les dépenses imputables aux conduites des hommes et celles attribuables aux conduites des femmes est un exercice unique auquel s’est livré l’historienne française Lucile Peytavin dans Le Coût de la virilité (Anne Carrière, 2021). Il se solde par un montant impressionnant : le préjudice pour la collectivité des comportements virils s’élèverait, chaque année, en France, à 95,2 milliards d’euros. Une recherche dupliquée depuis en Italie et en Suisse, notamment.

Le Vif s’est modestement livré à l’exercice pour la Belgique et aboutit à une facture d’au moins 16,40 milliards d’euros annuels. Une estimation basse et forcément imparfaite – les données sexuées manquent s’agissant de la santé publique, des affaires judiciaires ou encore des viols et actes incestueux largement sous-déclarés – mais qui permet d’entrevoir les dégâts provoqués par ce que Lucile Peytavin appelle « le système viriliste ». Un minima, donc, et non un montant exact.

Méthodologie

Compte tenu de lacunes en matière de données, le résultat – 16,40 milliards d’euros – indique un ordre de grandeur et non un montant exact. On aurait pu ainsi y ajouter les fraudes, aux prestations sociales, à la TVA, douanières, fiscales, mais aussi le faux-monnayage, les vols commis dans les magasins ou encore le coût des attentats du 22 mars, dont tous les protagonistes sont des hommes.

Le coût de la virilité est le différentiel existant, pour chaque poste ou chaque catégorie d’infractions, entre le montant des dépenses imputables aux hommes et celui des dépenses attribuables aux femmes. Ce qui correspond au surcoût induit par les comportements masculins par rapport à ceux des femmes, dans des domaines où l’on compte autant d’hommes que de femmes. C’est le cas, par exemple, pour le coût lié aux prisons : 95,5 % des détenus sont des hommes et 4,5 % sont des femmes. L’Etat dépense environ 640 409 765 euros pour l’administration pénitentiaire. Résultat : (95,5/100 – 4,5/100) x 640,41 = 582,77 millions d’euros de préjudice lié à la virilité.

Dans les secteurs où l’on compte majoritairement des hommes, la formule est ajustée. Il est en effet légitime qu’une population plus nombreuse à pratiquer une activité soit également plus susceptible de commettre des infractions. C’est le cas de la conduite automobile (les détenteurs d’un permis sont majoritairement des hommes, et ils roulent davantage). Dans ce cas, le coût de la virilité est le différentiel existant entre la somme des dépenses imputables aux hommes et celle des dépenses attribuables aux femmes si celles-ci étaient aussi nombreuses que les hommes à pratiquer l’activité en question. Ainsi, vu que les conducteurs totalisent 61 % des distances parcourues annuelles et que, selon le ministère de l’Intérieur français, 75 % des auteurs présumés de l’ensemble des accidents sont des hommes (une donnée non communiquée en Belgique mais sans doute pas très éloignée de la réalité belge) et que le coût total de l’insécurité routière, en 2019, se chiffre à 13 milliards d’euros, le coût de la virilité est estimé à 10,14 milliards d’euros concernant les accidents, soit (75/100 – 15/100 x 61/39) x 13 milliards d’euros.

1. Le coût direct de la virilité

La police

Le budget de la police fédérale et locale s’élevait, en 2022, à 2,566 milliards d’euros. La majeure partie de l’activité des services de sécurité est vouée à enrayer les infractions commises par des hommes, puisque ces derniers représentent 85 % du total des mis en cause pour des délits et crimes. Ils représentent 92 % des suspects dans le trafic de drogue, 90 % en matière d’armes et explosifs, 89 % des cambriolages dans les habitations ou encore 82 % dans les vols et extorsion. Le taux atteint presque 99 % dans les cas de violences sexuelles dans les transports publics.

Coût : 1,796 milliard d’euros, soit (85/100 – 15/100) x 2,566 milliards d’euros.

La justice

Après le travail de la police vient celui de la justice. Son budget s’élevait à 2,41 milliards d’euros en 2022. Au vue de l’implication des hommes dans la délinquance, soit 85 % des suspects des délits et crimes, on pourrait les tenir responsables d’environ 85 % des dépenses engagées. L’exercice ne serait pas probant. D’abord, parce que la police fédérale enregistre les faits de ­criminalité avant leur jugement. Tous ne s’exposent pas à des poursuites judiciaires et les parquets ne donnent pas suite à toutes les affaires entrantes. Ensuite, des comportements asociaux (agressions faites aux femmes, dégradations dans la rue, agressions verbales…) ne font pas l’objet de poursuites pénales. Enfin, échapperaient les affaires liées aux droits commercial, fiscal ou encore familial qui mobilisent également les personnels ainsi que les cours et tribunaux.

A la lecture des données, cependant, il apparaît que les activités des ministères de la Justice et de l’Intérieur seraient largement dédiées aux hommes. Ainsi, selon la banque de données du Collège des procureurs généraux, 94 % des prévenus impliqués dans les affaires de viol traitées par les parquets correctionnels entre 2018 et 2021 sont des hommes, 94 % dans les attentats à la pudeur et 92 % s’agissant des dossiers de harcèlement sexuel. Quel que soit leur âge, les hommes sont surreprésentés. Au sein des parquets de la jeunesse, le nombre d’affaires « faits qualifiés d’infraction » (contraventions, délits et crimes) enregistrés en 2022 se chiffre à 60 669 : 81 % sont le fait de mineurs masculins.

In fine, les hommes représentent 95,5 % des détenus écroués en 2022. Des chiffres stables depuis dix ans.

Le coût annuel d’une année de prison pour un détenu se monte à 55 624 euros, 55 514 euros en centre de psychiatrie légale (CPL), 69 488 en maison de transition. En Belgique, en moyenne, 11 036 personnes sont emprisonnées dans les établissements pénitentiaires, 459 sont en CPL et quinze en maison de transition. Chaque année, selon la Direction générale des établissements pénitentiaires, l’Etat dépense ainsi quelque 640,41 millions d’euros pour l’administration pénitentiaire. Et ce, sans compter le nombre de détenus sous surveillance électronique, soit 2 678.

Coût : 582,77 millions d’euros, soit (95,5/100 – 4,5/100) x 640,41 millions d’euros.

La santé

Dans les rapports produits par les organismes et les institutions, les données prennent en compte le sexe mais sans estimation des coûts qui lui sont liés. Il en ressort cependant que quel que soit l’âge, le taux de mortalité prématurée des hommes (avant 65 ans) est 1,7 fois plus élevé que chez les femmes et leur taux de mortalité prématurée évitable (avant 65 ans et causée par un comportement à risque) est 1,4 fois plus important.

Tout au long de leur vie, les hommes se mettent plus en danger que les femmes et ce, dans une même situation. S’agissant de la consommation de tabac et d’alcool, ils sont plus enclins à présenter un profil à risque. Selon la dernière enquête de ­santé menée par Sciensano, 9,5 % des hommes et 5 % des femmes présentent une consommation excessive d’alcool. Le taux de fumeurs quotidiens est plus élevé chez les hommes (18 %) que chez les femmes (12 %). En 2012, l’étude Socost, réalisée par la police scientifique fédérale, évaluait les coûts directs et indirects des drogues légales à 3,82 milliards d’euros, soit 1,19 % du PIB. Les soins de santé représentent deux millions d’euros, c’est-à-dire 69 % des coûts directs, suivis par les 784 millions d’euros (27 %) attribuables au volet pénal et environ 100 millions d’euros (3,5 %) liés aux accidents de la ­circulation. La plus grande partie de ces coûts directs sont imputables à l’alcool (45 %) et au tabac (25 %).

Les coûts indirects ont été estimés à 1,76 milliard d’euros. La perte de productivité est principalement causée par les problèmes de santé liés à l’abus de substances (1,5 milliard d’euros). Sans oublier les coûts intangibles, mesurés par le concept d’« années de vie corrigées de l’incapacité » (AVCI). En 2020, 199 000 AVCI ont été causées par la consommation abusive d’alcool et de tabac. Par convention, une AVCI vaut 40 000 euros ; la perte pour la société se chiffre à 7,96 milliards d’euros.

Du fait de leurs comportements à risque ou violents, les hommes sont aussi plus nombreux à décéder accidentellement. Entre 10 et 24 ans, plus de 60 % des décès sont dus à des causes non naturelles. Les accidents sont les principales causes pour 36 % d’hommes et 21 % de femmes ; 18 % d’hommes et 10 % de femmes dans la tranche 25‑44 ans.

Les passages aux urgences des hommes semblent également plus fréquents que ceux des femmes – principalement liés aux accouchements entre 20 et 40 ans, selon le SPF Santé : entre 16 et 50 ans, ils représentent 52 % des personnes admises. D’autres études livrent des chiffres plus élevés. Ainsi, dans la tranche des 25‑64 ans, ils forment 58 % des patients de ­l’hôpital Saint-Pierre, à Bruxelles, et 54 % de ceux d’Ixelles.

En 2022, le budget des services d’urgence atteint 88,98 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 131 millions d’honoraires des personnels, soit 219,98 millions.

Le coût pour les urgences se chiffre alors à 114,39 millions d’euros, soit (52/100 – 48/100) x 88,98 + (52/100 – 48/100) x 131. S’y ajoutent encore les frais pour les hospitalisations consécutives à un passage aux urgences.

Coût total : manque de donnés disponibles.

2. Le coût indirect de la virilité

Il s’agit ici d’une partie des conséquences des violences et des comportements à risque masculins. En effet, pour calculer le coût de tous ces actes, il faut y ajouter les dommages matériels, les pertes de production des victimes et leurs préjudices physiques et moraux. Ceux-ci ont des répercussions qui peuvent être chiffrées : c’est le coût humain indirect.

Pour l’estimer, les économistes et les politiques utilisent, depuis 2013, la « valeur de la vie statistique », ou VVS, fondée sur les travaux de l’Organisation de coopération et de développement éco­nomiques (OCDE). L’organisme chiffre le coût pour la société à 3,241 millions d’euros pour une personne tuée, à 405 180 euros pour un blessé hospitalisé plus de 24 heures, à 16 207 euros pour un blessé léger et à 4 970 euros pour les dégâts matériels. Ces montants englobent les frais médicaux et sociaux (premiers secours, convalescence, etc.), les coûts matériels (dommages des véhicules, par exemple, en cas d’accident), les frais ­généraux (administratifs, expertise…) ­ainsi que la perte de production des tués et des blessés.

Sécurité routière

En 2022, il y a eu sur les routes de Belgique 37 643 accidents corporels : 45 534 personnes ont été blessées, dont 3 400 gravement, et 540 sont ­décédées, parmi lesquelles 216 automobilistes. Une analyse de l’institut Vias, s’appuyant sur des chiffres de 2019, relève de grandes disparités entre les hommes et les femmes quant aux infractions et délits au volant. Les hommes représentent 56 % des blessés légers, 66 % des blessés graves et 77 % des tués. Autrement dit, ils sont impliqués dans des accidents plus graves que les femmes. Celles-ci ont d’ailleurs moins de PV et sont moins souvent condamnées devant le tribunal de police. Les hommes forment ainsi les deux tiers des conducteurs qui reçoivent une perception immédiate et les trois quarts des contrevenants condamnés. Logiquement, 90 % des automobilistes qui participent à une ­formation délivrée par Vias dans le cadre de peines alternatives sont des hommes.

L’explication tient en partie au fait que les détenteurs d’un permis sont majoritairement des hommes, et qu’ils roulent davantage. Surtout, ils adoptent un comportement moins prudent, qu’il s’agisse de vitesse, de port de la ceinture ou de conditions de conduite.

Les moyens développés par l’Etat pour prévenir et enrayer ce phénomène sont faramineux. Le coût total de l’insécurité routière, en 2019, se chiffre à 13 milliards d’euros, soit 2,9 % du PIB. Ce montant, calculé par l’institut Vias, correspond aux dégâts matériels, aux frais administratifs et médicaux, à la perte de production et au préjudice moral.

Les conducteurs hommes totalisent 61 % des distances parcourues et, selon le ministère de l’Intérieur français, 75 % des auteurs présumés de l’ensemble des accidents sont des hommes (une donnée non communiquée en Belgique mais sans doute pas très éloignée de la réalité hexagonale).

Coût des accidents : 10,14 milliards d’euros (75/100 – 25/100 x 61/39) x 13 milliards).

Homicides et tentatives d’homicides

Pour 2022, les données policières font état de 179 homicides et 1 196 tentatives d’homicides. Au total, 88 % des suspects identifiés étaient des hommes. A l’instar de la chercheuse Lucile Peytavin, l’hypothèse retenue est que la moitié des tentatives d’homicides correspondent à des blessés graves, dans la mesure où il s’agit majoritairement de règlements de comptes, dans un contexte d’extrême violence. L’autre moitié est considérée comme des blessés légers.

Coût : 632,42 millions d’euros, soit (179 x 3,2 millions) + (598 x 405 180****) + (598 x 16 207*****) = 832,13 millions x (88/100 – 12/100).

**** le coût d’un blessé grave

***** le coût d’un blessé léger

Les statistiques sont sans appel : les auteurs de violences, homicides, infractions routières, trafics sont le plus souvent, parfois quasi exclusivement, des hommes.

Coups et blessures volontaires

En 2022, les violences physiques commises hors de la sphère intrafamiliale enregistrées par les statistiques policières s’élèvent 20 151 faits avec au moins un suspect. Comment distinguer les victimes souffrant de lésions graves ou légères, de blessures morales et/ou physiques ? Le rapport le plus récent, réalisé par Jérémie Vandenbunder, chercheur au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), considère que la moitié d’entre elles n’ont pas de séquelles, soit 10 075 si l’on prend en compte une victime déclarée par fait enregistré ; les blessures graves forment 12 % du total restant. Ainsi elles représentent 1 209 blessés graves, les 8 866 autres ­victimes étant considérées comme des blessés légers. En 2022, les hommes constituaient 86 % des suspects.

Coût : 456,16 millions d’euros, soit (1 209 x 405 180****) + (8 866 x 16 207*****) = 633,55 millions et (86/100 – 14/100) x 633,55 millions).

**** le coût d’un blessé grave

***** le coût d’un blessé léger

Violences conjugales

En moyenne, 45 000 dossiers sont enregistrés par les parquets chaque année auprès de la police. Une femme sur trois vit ou a vécu des violences conjugales. L’auteur est un homme dans 88 % des cas. Le coût de ce phénomène a notamment été estimé par Psytel, cabinet spécialisé dans les études de coûts en santé publique et la prévention des violences faites aux mineurs et aux femmes, pour le compte de l’Union européenne. Il l’estime à 439,45 millions d’euros par an pour la Belgique.

Coût : 333,98 millions d’euros, soit (88/100 – 12/100) x 439,45 millions d’euros.

Crimes et délits sexuels (hors famille)

On estime que 18 viols ont lieu chaque jour en Belgique. Selon les données du Collège des procureurs généraux, au cours des années 2018 à 2021, le nombre de prévenus impliqués dans un viol est de 17 423 personnes et dans un délit sexuel à 14 973, dont respectivement 95 % et 94 % d’hommes. Selon la méthodologie de la VVS, le coût d’un viol correspond à 2 % d’une vie perdue, soit 65 000 euros et celui d’une victime d’un délit sexuel à celui d’un blessé léger multiplié par deux, soit 32 414 euros.

Coût : 1,46 milliard d’euros (95/100 – 5/100) x 1,132 milliard* et (94/100 – 6/100) x 485,334 millions**.

*17 423 X 65 000 (la somme a été arrondie à trois chiffres après la virgule)

** 14 973 X 32 414 (la somme a été arrondie à trois chiffres après la virgule)

Vols

Les chiffres totaux englobent les préjudices globaux liés aux cambriolages et aux vols de voitures, incluant les indemnisations des victimes versées par les compagnies d’assurances. Une estimation du préjudice matériel des cambriolages est donnée par Assuralia, la fédération du secteur de l’assurance : le coût moyen avoisine 3 800 euros par cambriolage ou tentative de cambriolage. En 2022, il y a eu quelque 40 459 cambriolages ; les suspects sont des hommes à 92 %.

Coût des cambriolages : 129,15 millions d’euros, soit ((92/100 – 8/100) x 40 459) x 3 800.

Concernant les vols et les tentatives de vol de voitures, 38 393 conducteurs en ont été victimes en 2022. Le coût moyen est chiffré à 4 000 euros par vol ou tentative de vol. Les auteurs de ces vols sont à 95 % des hommes.

Coût des vols de voitures : 138,22 millions d’euros, soit ((95/100 – 5/100) x 38 393) x 4 000.

Trafic de stupéfiants

Selon la police scientifique fédérale, le « coût social » de drogues illicites, qui comprend les coûts directs (prévention, traitement, répression), indirects (perte de productivité, victimes d’accidents routiers, etc.) et intangibles (perte de la qualité de vie des consommateurs eux-mêmes) est estimé à 736 millions d’euros annuels. D’après Sciensano, 78 % des consommateurs de drogues sont des hommes. Ils représentent également 92 % des auteurs de trafic de stupéfiants.

Coût : 618,24 millions euros, soit (92/100 – 8/100) x 736 millions.

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