Transmission, origine, létalité… Les mystères de la variole du singe (analyse)
Dans un contexte sanitaire toujours instable, voilà qu’un autre virus nous tombe dessus. Moins virulent, moins déconcertant et moins létal que le Covid-19, certes, mais galopant. Et c’est ce qui inquiète.
Jusqu’ici, on la regardait un peu de loin, sans réellement s’en méfier. Après tout, la maladie est généralement bénigne et on avait déjà fort à faire avec ce Covid qui n’en finit pas. Mais en déclenchant, le 23 juillet, son plus haut niveau d’alerte et en parlant d’«urgence de santé publique de portée internationale» et de situations «graves, soudaines, inhabituelles ou inattendues», l’OMS a mis fin à cette relative insouciance.
C’est que le virus circule. Et plutôt vite: au moins 17 000 cas de variole du singe (ou orthopoxvirose simienne) ont été recensés dans 74 pays alors qu’on en comptait un petit millier début juin. L’Espagne, le Royaume-Uni, l’Allemagne et les Etats-Unis sont actuellement les plus touchés. Selon le bilan épidémiologique de Sciensano du 26 juillet, la Belgique compte 393 cas confirmés contre 331 la semaine précédente: 55% en Flandre, 34% à Bruxelles et 11% en Wallonie.
Bien connu en Afrique
La présence de la variole du singe en Europe est, comme l’a souligné Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, tout à fait inhabituelle. Depuis le signalement du premier cas, en République démocratique du Congo en 1970, le Monkeypox n’ avait que très peu circulé au-delà de l’Afrique centrale et occidentale (Cameroun, République centrafricaine, Côte d’Ivoire, RDC, Gabon, Libéria, Nigeria et Sierra Leone).
En 2003, une septantaine de cas ont été signalés aux Etats-Unis après l’importation d’animaux provenant du Ghana, et trois autres quinze ans plus tard en Angleterre. Le virus peut, en effet, infecter un large éventail d’espèces de mammifères. Le réservoir reste inconnu même si on pense qu’il s’agirait de rongeurs. Quel rapport avec le singe? Le nom est effectivement trompeur. Il vient du fait que lorsque la maladie a été découverte, en 1950, c’était précisément chez des primates.
Le 7 mai 2022, un voyageur de retour du Nigeria a été diagnostiqué positif à la maladie. Par la suite, d’autres infections pour lesquelles il n’y a aucun lien avec un voyage à l’étranger ont été recensées.
Symptômes atypiques
Toujours selon le dernier bulletin de Sciensano, tous les cas pour lesquels le sexe est connu sont des hommes âgés de 20 à 71 ans. La quasi-totalité des patients présentaient une éruption cutanée, les trois quarts d’entre eux avaient de la fièvre, les ganglions lymphatiques enflés et se plaignaient d’un malaise général. Très inconfortables, les lésions cutanées étaient présentes dans la région anale-génitale dans 70% des cas. Depuis l’apparition de la maladie en Belgique, une vingtaine de personnes ont été hospitalisées, souvent en raison du traitement ou d’une impossibilité de s’isoler à domicile.
Avant 2003, elle faisait partie des maladies négligées qui intéressaient peu le monde scientifique.
Quatre patients ont été traités au CHU Ambroise Paré, à Mons. Tous présentaient des signes de la maladie mais pas forcément ceux observés habituellement, comme le décrit le docteur France Laurent, infectiologue: «Classiquement, les symptômes évoluent en deux phases. La première, la phase prodromique, est caractérisée par de la fièvre, des maux de tête, une fatigue et des ganglions enflés. Quelques jours plus tard apparaissent les lésions cutanées qui évoluent progressivement en papules, vésicules puis en croûtes qui finissent par tomber après deux à quatre semaines d’évolution. Les symptômes présentés par les personnes atteintes au cours de cette épidémie qui affecte l’Europe sont légèrement différents de ceux décrits antérieurement. Premièrement, la fièvre et la fatigue sont moins souvent présentes. Les atteintes cutanées semblent surtout localisées au niveau des zones génitales. Il semblerait également que certains patients ne présentent pas la première phase et arrivent d’emblée avec des lésions cutanées. Enfin, d’autres localisations sont possibles telles que des pharyngites et des inflammations du rectum. Ces atteintes peuvent être très douloureuses et justifient parfois une hospitalisation.»
Les mystères de la variole du singe: une maladie négligée
Peu d’études ont été menées sur la variole du singe et, a fortiori, sur les épidémies qui ont précédemment frappé les différentes régions du globe. Les principales caractéristiques de la maladie ont été identifiées mais des zones d’ombre subsistent.
Dans un article publié en 2018 dans la revue scientifique Frontiers, l’épidémiologiste Nikola Sklenovska et le virologue Marc Van Ranst (KULeuven) décrivent la variole du singe comme «l’infection à orthopoxvirus la plus importante chez l’homme dans l’ère postéradication de la variole». «La maladie, écrivent les deux chercheurs, a toujours été considérée comme rare et spontanément résolutive, mais des rapports sporadiques récents suggèrent le contraire. Malheureusement, les données collectées sont limitées, dispersées et souvent incomplètes. […] Monkeypox est un problème de santé important pour les personnes vivant dans des régions endémiques telles que la RDC et d’autres pays africains où la circulation du virus est confirmée, mais c’est aussi un problème de sécurité sanitaire mondiale comme l’a démontré l’épidémie aux Etats-Unis en 2003.» Et comme le démontre l’épidémie actuelle.
«Il est vrai qu’il y a peu de littérature sur le sujet alors que le premier cas détecté date de 1970 et qu’un grand nombre de pays d’Afrique centrale et de l’Ouest cohabitent avec ce virus depuis plus de soixante ans, abonde le Dr Laurent. Avant 2003, elle faisait partie des maladies négligées qui intéressaient peu le monde scientifique. Que la recherche puisse avancer aujourd’hui, notamment sur les vaccins et les traitements, serait une bonne chose pour nous mais surtout pour les pays africains. Sur le plan éthique, c’est important.»
Les mystères de la variole du singe: pas un virus gay
L’autre particularité de cette forme de variole du singe est qu’elle affecte principalement les hommes. Et plus spécifiquement ceux qui ont des relations avec d’autres hommes. Cependant, il ne s’agit ni d’une infection sexuellement transmissible, ni d’une maladie qui ne toucherait que la communauté gay. Nombre de spécialistes des maladies infectieuses se sont déjà exprimés sur le sujet pour couper court aux idées reçues et aux discours stigmatisants.
Alors comment expliquer que le virus touche la population de façon si différenciée? D’autant que parmi les personnes atteintes, on compte aussi des bisexuels. «Il ne faut pas oublier que l’apparition de ces nouveaux cas en Europe est assez récente, souligne France Laurent. Nous n’avons pas l’impression d’être face à une nouvelle maladie, mais il est vrai que la transmission se fait surtout chez les hommes, et particulièrement chez ceux qui ont des rapports avec d’autres hommes, ce qui n’avait pas été décrit auparavant. Rien ne prouve, à l’heure actuelle, que le virus puisse s’attraper par voie sexuelle. Il semble que la transmission ait surtout lieu par des contacts cutanés très rapprochés.»
Dans les précédentes épidémies, on a déjà pu constater que les hommes représentaient plus de 50% des cas. Rien n’indique toutefois qu’il s’agisse d’une susceptibilité de genre, cela pourrait être lié à un risque d’exposition plus important (professionnelle ou occupationelle, par exemple). «Dans l’épidémie actuelle, l’atteinte essentiellement masculine pourrait être liée au fait que le virus circule principalement dans la communauté gay mais je pense qu’il est trop tôt pour tirer des conclusions», énonce l’infectiologue.
Si la vigilance est de mise pour tout le monde, certains profils restent plus à risque. C’est le cas des femmes enceintes, des enfants et des personnes immunodéprimées, notamment celles atteintes du VIH. «Les traitements contre le VIH ont changé la donne. Il faut distinguer les personnes qui font l’objet d’un suivi régulier, et qui ont un statut immunitaire satisfaisant, et celles qui sont immunodéficientes et donc plus susceptibles de faire des formes sévères de la maladie.»
Si les hommes représentent plus de 50% des cas, rien n’indique qu’il s’agisse d’une susceptibilité de genre.
Dans les pays où elle est bien plus présente, la variole du singe présente un taux de létalité de 1% à 10%, affirme l’OMS. Des chiffres qui ne sont pas représentatifs de la situation que nous vivons dans les pays industrialisés dont les standards en matière de soins de santé sont bien plus élevés que ceux de la plupart des pays d’Afrique. Depuis l’apparition des premiers cas récents, deux patients sont décédés en Europe (en Espagne) de la variole du singe, auxquels il faut ajouter un décès au Brésil, un autre au Pérou et un en Inde. Ce qui porte à cinq le nombre de décès hors Afrique, au 2 août. Cependant, l’OMS Europe, «compte tenu de la propagation du virus», s’attend à plus de décès.
Vaccination tardive
Le 25 juillet, la Commission européenne a approuvé l’extension à la variole du singe du vaccin du groupe pharmaceutique danois Bavarian Nordic. L’agence européenne du médicament avait déjà donné son feu vert à l’extension du vaccin Imvanex, autorisé depuis 2013 dans l’UE contre la variole humaine. La Belgique dispose actuellement de 3 040 doses et vient d’en acheter 30 000 supplémentaires. «C’est trop peu, estime le Dr Laurent. Les 30 000 doses arriveront à l’automne. Or, pour une couverture vaccinale complète, il faut deux doses administrées à un mois d’intervalle. Il faudra donc attendre trois à quatre mois pour mener une vaccination préventive. Par ailleurs, les vaccins ne sont disponibles actuellement que dans neuf centres hospitaliers en Belgique, ce qui limite l’accès et n’ a aucun fondement logique.»
Pour se prémunir de la maladie, Sciensano recommande aux personnes infectées d’observer une période d’isolement jusqu’à la guérison complète des lésions cutanées (entre deux et quatre semaines) et de porter un préservatif pour tous rapports sexuels pendant encore douze semaines.
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