Paracétamol: les risques de dommages irréversibles pour le foie
L’antidouleur réputé non dangereux et non toxique s’obtient très facilement. Son abus peut pourtant endommager le foie. Dans les cas les plus graves, de façon irréversible.
Il se glisse partout: dans l’armoire à pharmacie, la trousse de voyage, le sac à main, le tiroir du bureau. Disponible sans ordonnance, le paracétamol est l’un des médicaments les plus utilisés au monde. Mal de tête, hop, un cachet. Poussée de fièvre, hop, un cachet. Règles douloureuses, hop, un cachet. Mal de dent, hop, un cachet… Très vite, c’est toute la boîte qui y passe.
Une étude de Sciensano, publiée en 2018, confirme l’énorme consommation d’analgésiques des Belges. Ainsi, 36,8% des médicaments non remboursés commandés en pharmacie agissent sur le système nerveux central. Les deux principaux sont l’acétaminophène, l’autre nom du paracétamol, et les calmants ou tranquillisants que sont les benzo- diazépines. Sur dix analgésiques consommés, six sont des analgésiques dits «ordinaires», presque exclusivement des cachets de Dafalgan, Perdolan et autres déclinaisons du paracétamol. Les quatre autres sont des opioïdes, comme le tramadol, l’oxycodone ou le fentanyl. Clairement, le paracétamol présente d’indéniables atouts: efficace, disponible sous plusieurs formes, il combat tant la douleur que la fièvre et convient aux enfants et aux femmes enceintes.
L’excès de paracétamol peut entraîner une nécrose du foie nécessitant une transplantation.
Pour son enquête, Sciensano a demandé aux participants à quand remontait leur dernière prise d’analgésiques. Pour 6,5%, la réponse fut moins de 24 heures. Sur le long terme aussi, la consommation décolle: le pourcentage de personnes ayant pris un analgésique ordinaire au cours de la journée écoulée est resté relativement stable entre 2004 et 2013 mais a augmenté de manière significative entre 2013 et 2018, passant de 3,1% à 4,5%. Chez qui? Les femmes en consomment le plus. Principalement le groupe des 35-54 ans (5,5% en avaient consommé au cours des dernières 24 heures) mais surtout les plus de 75 ans (10%). Les différences sont aussi socio-économiques: les utilisateurs, tous genres confondus, «plus éduqués» en consomment moins.
Un allié qui peut vous tuer
Si le paracétamol est de loin l’antidouleur le plus connu du grand public, ses effets sur notre organisme en cas de surconsommation le sont nettement moins. Depuis vingt ans pourtant, les médecins et les chercheurs ne cessent d’alerter sur les ravages de la consommation excessive de ces cachets largement perçus comme inoffensifs, ou en tout cas moins néfastes que les anti-inflammatoires, alors qu’elle représentait déjà la première cause d’insuffisance hépatique observée dans les centres d’urgence européens et américains, comme le mentionne une étude de grande envergure parue, en 2005, dans le magazine Hepatology.
En Belgique, le paracétamol est la première cause d’hospitalisation pour les cas d’hépatite médicamenteuse. En 2022, 2 640 appels passés au centre antipoison, sur un total de 61 699, concernaient le paracétamol, soit une augmentation d’un tiers en cinq ans.
Dans les cas les plus graves, l’excès de paracétamol peut entraîner une nécrose du foie nécessitant une transplantation. En Angleterre, où il est encore plus facile de s’en procurer qu’en Belgique, c’est la première cause de transplantation hépatique d’origine médicamenteuse. Chez nous, ça reste actuellement la stéatohépatite non alcoolique (maladie du foie gras, Nash) et les hépatopathies alcooliques. Les transplantations pour cause d’hépatite fulminante au paracétamol sont nettement plus rares, de l’ordre de quelques cas par an, mais elles existent.
Ce qui inquiète aussi certains médecins, c’est qu’émergent des cas d’hépatotoxicité sévère alors que les patients n’ont consommé des cachets qu’à dose thérapeutique, relevait déjà, en 2007, la Revue médicale suisse dans une analyse sur les populations à risque. Bien sûr, le potentiel hépatotoxique du paracétamol peut varier d’un individu à l’autre et dépend fortement de la présence ou non de facteurs de risque. Sont considérés comme tels le jeûne ou la malnutrition, la consommation régulière d’alcool, l’interaction avec d’autres médicaments, comme des antiépileptiques, par exemple, ainsi que d’autres facteurs génétiques. Les personnes dont le foie est déjà fragilisé par des pathologies aiguës ou chroniques sont plus à risque également.
Comme il est accessible sans ordonnance, le patient ne reçoit pas forcément de mise en garde sur sa toxicité.
Métabolisation
Selon les recommandations, la dose de paracétamol à ne pas dépasser est de trois ou quatre grammes par jour. Le problème est que le paracétamol, un peu comme le sucre, peut se cacher un peu partout. En France, par exemple, plus de deux cents médicaments disponibles sur le marché – notamment ceux utilisés pour traiter les allergies, le rhume ou l’état grippal – en contiennent. On peut également le retrouver associé à des anti-inflammatoires ou de la caféine. Sa présence est généralement mentionnée dans la notice, mais encore faut-il la lire…
Pour comprendre pourquoi le para- cétamol peut s’avérer toxique, il faut connaître la manière dont il agit sur notre organisme. L’antidouleur a une action centrale, cela signifie que son effet analgésique est le résultat de sa métabolisation dans l’organisme. Concrètement, le paracétamol est d’abord transformé en une substance, le p-aminophénol, dans le foie. Cette substance passe ensuite dans le sang et se combine, lorsqu’elle atteint le cerveau, à l’acide arachidonique pour donner un acide gras. Ce dernier agit alors sur des récepteurs situés à la surface des neurones et impliqués dans la modulation de la douleur.
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C’est cette action sur le cerveau qui différencie les analgésiques des anti- inflammatoires non stéroïdiens (AINS) qui, eux, bloquent la formation des prosta- glandines, les substances responsables de l’inflammation. «Les deux types de médicaments n’agissent pas du tout au même niveau. Si vous voulez traiter une céphalée, vous prendrez du paracétamol, décrit le Pr Sergio Negrin Dastis, chef du service d’hépato-gastro-entérologie au Grand hôpital de Charleroi (GHdC). Si vous vous blessez au genou et que vous ne prenez qu’un analgésique, la douleur diminuera mais pas l’inflammation. C’est la raison pour laquelle on préconise d’alterner les deux.»
Comme un coup de marteau
La prise régulière, voire quotidienne, d’antidouleurs n’est pas dangereuse en soi. Ni pour le foie, ni pour d’autres organes, rétablit le Dr Negrin Dastis. A condition de ne pas dépasser le seuil limite, que le médecin du GHdC fixe à trois grammes, et non quatre.
Ce que les utilisateurs ignorent souvent, c’est que les effets d’une surdose, même unique, peuvent être dévastateurs. «Il s’agit typiquement d’un médicament dont la toxicité est dose-dépendante et non le résultat d’un mécanisme immuno- allergique. A dose thérapeutique, soit en dessous de trois grammes par jour, le foie est capable de métaboliser la substance. Dès que l’on dépasse ce seuil et qu’on arrive à un surdosage, des métabolites toxiques sont libérés, ce qui provoquera une cascade inflammatoire», éclaire le Dr Negrin Dastis. Contrairement à l’abus d’alcool, cette cascade inflammatoire n’engendrera pas de fibrose du foie mais bien une nécrose, comme c’est le cas pour une hépatite virale aiguë, par exemple. «Le foie est littéralement détruit. Chez les personnes pour qui une transplantation est nécessaire, on observe qu’elles n’ont quasiment plus de foie, que celui-ci est remplacé par des plages de nécroinflammation. Pour le dire de manière imagée: avec l’alcool, c’est comme si vous donniez des petits coups de marteau de manière répétée. Avec le paracétamol, c’est un gros coup de marteau. Si gros qu’il peut mettre votre foie à l’arrêt.»
Les causes de l’intoxication sont régulièrement des tentatives de suicide mais aussi le manque d’informations. Nombre de patients sous-estiment encore les dangers d’une surdose. «Comme il s’agit d’un médicament accessible sans ordonnance, le patient ne reçoit pas forcément de mise en garde sur sa toxicité. Le pharmacien a dès lors un rôle important à jouer dans la prévention.» Le patient, lui, peut essayer de trouver d’autres solutions non médicamenteuses pour soulager sa douleur sans risquer de malmener son système digestif.
2 640
appels passés en 2022 au centre antipoison, sur un total de 61 699, concernaient le paracétamol.
Heureuse erreur de livraison
A dose thérapeutique, le paracétamol est un formidable allié contre la douleur et la fièvre. Au départ, les deux médecins strasbourgeois qui firent l’heureuse découverte n’avaient pourtant pas conscience de ce qu’ils avaient entre les mains. Nous sommes en 1886. Alors qu’ils étudient les effets d’un composé chimique, le naphtalène, comme antiparasite, les scientifiques se retrouvent en rupture de stock. Ils passent alors commande auprès d’un pharmacien qui leur livre par mégarde un autre produit. Constatant que ce qu’ils pensent être du naphtalène ne produit pas les effets escomptés, ils effectuent d’autres tests. C’est ainsi qu’ils découvrent le potentiel analgésique et antipyrétique de l’acétanilide, qui sera à l’origine de deux molécules: la phénacétine et le paracétamol. Dans un premier temps, seule la phénacétine est utilisée. On pense alors que le paracétamol peut s’avérer toxique pour les reins. Mais l’apparition de cas d’insuffisance rénale chronique pousse les médecins à reprendre leurs recherches sur le paracétamol. Finalement, le paracétamol obtient son autorisation de mise sur le marché en 1955 et la phénacétine, elle, en est retirée en 1983.
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