Levée partielle des brevets Covid : « Cet accord ne permettra pas de réduire les inégalités »
Les 164 Etats membres de l’OMC se sont accordés sur la levée temporaire des brevets sur les vaccins anti-Covid destinés aux pays en développement.
L’accord obtenu vendredi met un terme à un rude bras de fer entamé ces derniers mois entre les sociétés pharmaceutiques, qui voyaient dans cette mesure l’affaiblissement de la propriété intellectuelle, les pays en voie de développement et les ONG qui militaient pour que cesse « l’apartheid vaccinal ». Des organisations représentant la société civile avaient également plaidé pour que des mesures soient prises pour stopper le monopole exercé par une poignée de firmes. Un monopole qui conduit, faisaient-elles valoir, à une distribution des tests, des vaccins et et des traitements selon une logique purement commerciale. A contrario, l’Union européenne, la Grande-Bretagne et la Suisse se montraient fermement opposées à l’idée que l’on ouvre toutes les vannes.
Que va changer cette levée temporaire pour les pays concernés ? Deux textes étaient sur la table : l’un visant à faciliter la circulation des ingrédients nécessaires à la lutte contre les pandémies, l’autre à permettre une levée temporaire des brevets des vaccins anti-Covid. La suspension temporaire des brevets a pour objectif de permettre aux pays à revenu faible ou intermédiaire de produire et de s’approvisionner de manière autonome en doses de vaccins. Mais dans les faits, les possibilités restent très limitées, comme l’explique Dimitri Eynikel, expert en politique européenne pour Médecins sans frontières (MSF) qui militait en faveur d’une levée totale des brevets: « En octobre 2019, l’Inde et l’Afrique du Sud avaient formulé une proposition qui consistait à lever toutes les propriétés intellectuelles pour tous les médicaments, les tests et les vaccins. En levant les brevets sans restrictions, on aurait donné à d’autres firmes l’autorisation légale de commercialiser d’autres produits et d’avoir accès aux données Covid – actuellement protégées par la propriété intellectuelle – pour pouvoir produire leurs propres médicaments, tests ou vaccins. La proposition mettait également fin au secret industriel entourant le mode de production des vaccins, des tests et des diagnostics, autant d’informations qui sont également protégeés par le brevet. Actuellement, les agences des médicaments ont accès à certaines informations mais elles ne peuvent pas les partager avec les autres producteurs de médicaments ».
Or, l’accord dégagé vendredi par l’OMC est loin de « coller » à la proposition initiale, déplore MSF. « Nous sommes clairement déçus. Cet accord ne va pas aider à réduire les inégalités que vous avons pu observer en ce qui concerne l’accès aux médicaments et aux vaccins – bien que la situation se soit déjà améliorée sur ce dernier point – mais surtout aux traitements ». Des régions comme l’Amérique du Sud n’ont en effet pas accès à certains vaccins brevetés comme celui produit par Pfizer étant donné que la société pharmaceutique a conclu des contrats avec les pays les plus riches, à qui elle livre toute sa production.
« Pfizer a par contre donné son accord pour que les pays africains puissent utiliser des médicaments génériques, moyennant la perception de royalties, mais pas ceux d’Amérique du Sud. L’exception à la licence obligatoire que prévoit l’accord de l’OMC permet bien à une autre entreprise que celles qui détiennent les brevets de produire leurs propres produits, ainsi que la possibilité de fournir les pays voisins en vaccins. Le problème, c’est que comme elles n’ont pas accès aux datas et à la technologie, elles doivent tout reprendre à zéro, la recherche, les tests, etc. En Afrique, par exemple, une entreprise est parvenue à copier le vaccin Moderna mais il lui faudra encore un certain temps avant de parvenir à le commercialiser ».
Pour MSF, il est peu probablement que les sociétés qui partent de zéro se lancent dans d’importants investissements, sachant que la levée temporaire n’est valable que pour une durée de cinq ans. Au terme de cette période, il n’est pas impossible qu’on en revienne à la situation actuelle et que les pays concernés ne puissent plus exporter.
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